Séminaire ANPA
Programmes d’Amélioration Génétique des Bovins et Conséquences sur les Systèmes d’Elevage – Rabat 7-8 Juin 2012–
Synthèse des Discussions et Recommandations
Première session – Stratégies de développement de l’élevage bovin
Président : Ahmed Bentouhami , Rapporteur : Abdelilah Araba
La première session a été principalement consacrée à l’analyse rétrospective des programmes d’amélioration génétique des bovins et aux perspectives d’évolution des filières bovines dans le cadre du plan Maroc vert (PMV).
Les différents intervenants se sont attachés à mettre en lumière l’état des lieux de la filière bovine en rappelant, pour ce qui est de:
- Les effectifs des différents types génétiques et leur évolution;
- la moitié des 800 000 éleveurs sont intégrés au réseau de transformation de lait et la seconde moitié, considérés comme « traditionnels », produisent les veaux pour la viande;
- une production qui a atteint en 2010 environ 2,23 millions de tonnes de lait et 226 000 tonnes de viande bovine, enregistrant ainsi une amélioration de l’ordre de 20% par rapport à 2008, année de lancement du PMV;
- Un manque à gagner aussi bien en matière de production de lait que de viande dû principalement aux conditions alimentaires et au manque de programme efficace d’amélioration génétique.
Programmes d’amélioration génétique bovine
Les intervenants ont présenté les principales phases d’évolution de la gestion de l’amélioration génétique au Maroc, et qui se caractérisent par:
- Pour la décennie 70: lancement du plan laitier.
- Pour la décennie 80: initiation de l’organisation des éleveurs en associations.
- Pour la décennie 90: transfert de la gestion de l’IA aux Organisations Professionnelles et libéralisation de l’importation des génisses.
- Pour la décennie 2000: Nouvelle stratégie de développement agricole: PMV avec de nouveaux objectifs de production laitière et de viande rouge.
- 2011: Adhésion du Maroc à l’ICAR.
Concernant le PMV, les actions ont concerné surtout:
Pour la filière « viande rouge bovine »:
- Promotion de l’investissement par la mise en place d’une prime à hauteur de 10% du montant des investissements pour les projets d’intensification de la production;
- Soutien spécifique aux projets d’agrégation: 380 Dh/tête agrégée;
-
Promotion de la filière par les actions suivantes:
-
-
Soutien à la production des veaux croisés avec les races à viande;
-
-
-
Exonération des droits de douane pour l’importation des veaux d’engraissement;
-
-
-
Appui aux organisations professionnelles pour la conduite des programmes de développement (amélioration génétique, formation…);
-
-
-
Formation, qualification des producteurs et recherche appliquée (centre zoopôle).
-
Pour la filière « lait » :
- Soutien à l’investissement: Génisses de repeuplement, bâtiments, équipements…;
- Soutien spécifique aux projets d’agrégation: 280 Dh/vache laitière agrégée;
- Création du centre national d’évaluation génétique des bovins laitiers et de gestion informatique des données du contrôle des performances laitières et de la filiation des reproducteurs;
- Appui aux organisations professionnelles pour la contribution à la réalisation des programmes (amélioration génétique, formation…);
- Formation, qualification des producteurs et recherche appliquée (centre zoopôle).
Quelques résultats et bilan
Le nombre d’IA a évolué de moins d’une centaine au début des années 70 à environ 350000 actuellement. Cependant, les participants ont relevé la multitude des intervenants dans cette activité.
L’importation des reproducteurs bovins de races pures a connu des hauts et des bas, avec des pics en 1986 (22000 génisses importées), en 1996 (37000 génisses) et en 2010 (27000 génisses). Néanmoins, l’assistance a relevé que l’Etat subventionne l’achat de génisses d’importation alors que l’achat de génisses produites localement ne l’est pas.
Quant à l’évolution de la structure génétique du cheptel, elle est caractérisée par une augmentation de plus en plus importante de la part des bovins améliorés « d’origine importée » et des croisés, au détriment de celle des bovins de race locale, qui méritent une attention particulière dans des programmes de développement spécifiques.
Cependant, un travail d’enquêtes réalisé dans les régions du Tadla et du Gharb a permis de constater que la spécialisation laitière peine à se concrétiser dans les périmètres irrigués. On assiste parfois même à des situations de concurrence entre le lait et la viande, et dans certains élevages, on passe à des systèmes purement allaitants. Cette concurrence est liée à l’utilisation de l’eau mobilisée pour la production fourragère (1,8 m3 pour la production d’un litre de lait et 10,6 m3 pour la production d’un kg de poids vif), à la main d’œuvre, etc.
Expérience d’ailleurs
Cette session a été aussi l’occasion pour les participants de prendre connaissance de l’expérience de l’Association Wallonne de l’Elevage (AWE) en matière d’encadrement des éleveurs de bovins et d’amélioration génétique à travers ses activités de services (amélioration génétique de l’élevage bovin wallon et amélioration de la gestion économique des exploitations wallonnes) et ses activités commerciales de production et de vente des meilleurs reproducteurs bovins.
Ces activités sont assurées par une équipe de 260 personnes dont 160 sont sur le terrain et un conseil d’administration de 15 éleveurs. Les objectifs de l’AWE sont de mettre à la disposition des éleveurs des reproducteurs de grande qualité et de leur proposer un encadrement technique de pointe afin d’augmenter la rentabilité de leur élevage.
Des questions de l’audience ont porté sur le financement des activités de l’AWE et de sa représentativité.
Cette association bénéficie de ressources financières sous forme de cotisations de ses membres, des services fournis aux éleveurs et d’un soutien public octroyé par la Région Wallonne via son Ministère de l’agriculture. Pour ce qui est des programmes de recherche & développement, ceux-ci sont soumis comme les autres projets auprès d’organismes européens dans le cadre d’appel à projet pour financement.
Pour ce qui est de sa représentativité, l’AWE travaille avec 1100 fermes sur 4000 éleveurs en Wallonie. Il a été souligné que les clients de AWE y restent en raison du suivi assuré et qui génère une amélioration des performances.
Au cours des débats, les intervenants ont formulé certaines recommandations qui se résument comme suit:
- Revoir le rôle des intermédiaires dans les transactions commerciales du bétail;
- Concrétiser les projets de réhabilitation des souks déjà programmés et inclure d’autres;
- Libéraliser la circulation de la viande foraine;
- Améliorer l’état des abattoirs qui sont très vétustes;
- Veiller à agréer plus d’abattoirs;
- Lutter contre le colportage du lait qui concerne entre 30 et 40% de la production nationale;
- Mettre en place un plan d’éradication de la tuberculose (au moins 20% du cheptel étant touché par cette maladie);
- Prendre en considération le contrôle laitier dans tout programme d’amélioration génétique des bovins laitiers;
- Encourager les programmes de croisement terminal qui doivent être envisagés comme option de source de revenu pour les éleveurs en parallèle à ceux du développement de la filière laitière;
- Inclure la subvention des génisses produites localement, à l’instar de celles importées, surtout que leur coût de production est élevé.
Session 2 : Programmes d’amélioration génétique des bovins : Organisation et réalisations
Président : Fouad Guessous, Rapporteur : Ismaïl Boujenane
Les exposés présentés lors de la 2ème session ont traité des aspects relatifs à la mise en place et à l’organisation des programmes d’amélioration génétique des bovins, à la mise en œuvre des contrats programmes dans les zones de Doukkala et Chaouia, à la caractérisation des élevages en croisement industriel et à la présentation de quelques résultats préliminaires sur les performances de croissance et d’engraissement des veaux issus du croisement industriel.
Ces interventions et le débat riche qui a suivi ont mis en exergue les points suivants :
1. Le croisement industriel des bovins a pris une grande ampleur à l’échelle du pays
Il est devenu une opération attractive pour les éleveurs, y compris les éleveurs laitiers. Toutefois, il est nécessaire de piloter de près cette activité afin d’assurer sa pérennité et sa réussite, sans trop affecter le secteur laitier. A ce propos, plusieurs recommandations ont été faites:
Choix des races à viande utilisées en croisement industriel. Il a été rapporté que les semences d’au moins quatre races à viande européennes sont actuellement utilisées pour la production des veaux croisés. La question qui se pose concerne l’opportunité de l’utilisation de toutes ces races. Toutefois, cette question est restée presque sans réponse puisque les résultats actuellement disponibles sur les performances des veaux croisés sont encore insuffisants et fragmentaires et ne permettent pas de répondre objectivement à cette question.
Devenir des femelles croisées. Si le principe du croisement industriel exige que les femelles croisées de 1ère génération soient destinées exclusivement à l’abattage, plusieurs intervenants ont rapporté qu’une certaine proportion de ces femelles est gardée pour le renouvellement, sous prétexte qu’elles ont une bonne conformation et qu’elles se prêtent parfaitement à l’élevage. Cette pratique non saine, de la part de certains éleveurs, mérite une campagne de sensibilisation afin d’expliquer la finalité du croisement industriel et le risque de diminution des performances suite à l’utilisation pour la reproduction des femelles croisées.
Types génétiques des femelles support du croisement industriel. Les intervenants ont mentionné que les semences des taureaux à viande sont actuellement utilisées à la fois sur les vaches des types génétiques local, croisé et amélioré pur, à des proportions variables selon les désirs des éleveurs et les régions. En effet, il a été rapporté dans une présentation que 48% des vaches Holstein de l’échantillon étudié ont été utilisées en croisement industriel. Or, pour un croisement industriel propre, il est recommandé qu’il soit pratiqué sur une partie des vaches locales, les vaches croisées et les vaches améliorées pures qui ne produisent pas de génisses de remplacement. Là également, des efforts de sensibilisation importants doivent être déployés afin d’épargner les bonnes vaches laitières de race pure et de réserver la pratique du croisement aux seules vaches croisées et aux vaches améliorées génétiquement médiocres et/ou en fin de carrière.
Comparaison des performances des veaux croisés. Quelques résultats concernant les performances des veaux croisés ont été présentés. Toutefois, ces résultats, bien qu’indicatifs, doivent être pris avec précaution et doivent être approfondis car ils semblent refléter :
-
- les différences individuelles entre les taureaux et non pas les différences entre les races;
- les différences dues aux races des mères support de croisement;
- les différences de mode de conduite entre les troupeaux.
Etude économique sur le croisement industriel. La majorité des présentations s’est surtout limitée aux performances de croissance et d’engraissement des veaux croisés afin de souligner l’intérêt de l’opération croisement industriel et pour avancer la supériorité d’une certaine race à viande. Or, la comparaison doit également inclure d’autres caractères zootechniques: fertilité des vaches inséminées, viabilité des veaux…, et doit aussi intégrer la composante économique afin de prendre en considération le coût de l’opération (prix de la semence, frais alimentaires, frais vétérinaires, coût des bâtiments d’élevage, coût de la main d’oeuvre…), la plus value dégagée…
Impact du croisement industriel sur les systèmes d’élevage. La pratique du croisement industriel bovin dans notre pays est encore récente. La majorité des éleveurs était plus tournée vers le secteur laitier, et presque tous les investissements réalisés sont faits dans ce sens. L’arrivée de cette nouvelle technologie va en parallèle impacter les systèmes d’élevage, en vue de permettre une nouvelle conduite du troupeau, l’adaptation des bâtiments d’élevage, l’introduction de nouveaux calendriers alimentaires, la recherche de nouveaux types de marchés pour l’écoulement des produits, etc., bref une nouvelle organisation de l’élevage.
2. Coordination entre associations
Les associations professionnelles doivent plus travailler en synergie afin de développer les secteurs lait et viande. Ceci passerait par:
-
l’orientation des efforts de chaque association vers de nouveaux créneaux non encore explorés par une autre association;
-
la diversification des activités de chaque association tout en respectant ses propres spécificités et sa mission;
-
le positionnement de chaque association dans de nouvelles zones où une autre association n’est pas encore implantée…
3. Devenir du secteur laitier
Dans certaines régions, comme la Chaouia et les Doukkala, le secteur laitier est menacé par la pratique du croisement industriel. En effet, beaucoup d’éleveurs se sont convertis dans le croisement industriel aux dépens de l’élevage laitier… Cette conversion impactera sûrement le secteur laitier dans les quelques années à venir à travers l’amenuisement des génisses laitières de renouvellement. Certaines voix ont appelé à orienter l’activité du croisement industriel principalement vers des zones à vocation non laitière.
Session 3 : Acquis de recherche dans le domaine de l’amélioration génétique des bovins
Président : Mhamed Sedrati, Rapporteurs : Moussa El Fadili
Dans la 3ème session, les orateurs ont abordé des thèmes très importants relatifs aux acquis en amélioration génétique des bovins: l’utilisation de la génomique et de la génétique quantitative, la semence sexée et les performances des principales races laitières observées dans des élevages laitiers intensifs du Maroc.
Le 1er exposé a concerné l’expérience française dans le domaine de la Sélection génomique des bovins laitiers en présentant les principes et impacts de cette méthode sur la création du progrès génétique et sur l’organisation de l’amélioration génétique. Il a également traité de l’importance de la qualité de la collecte complexe de données (phénotypage et séquençage), la population de référence, l’organisation et les collaborations nationale et internationale qui sont nécessaires pour développer la sélection génomique, qui constitue de nos jours une véritable révolution dans le domaine de la génétique animale.
Le 2ème exposé s’est intéressé à la comparaison des résultats de l’évaluation génétique des bovins laitiers en utilisant deux méthodes de modèles: la lactation de référence et le contrôle individuel journalier. Après avoir présenté les lacunes du système de lactation de référence et les avantages de la méthode directe des productions laitières obtenues le jour du contrôle, l’orateur a présenté les résultats de l’évaluation génétique des bovins laitiers selon les deux modèles, ainsi que l’estimation du progrès génétique réalisé dans un élevage de vaches laitières privé marocain.
Le 3ème exposé a comparé les résultats de performances de production des deux principales races laitières : la Holstein et la Montbéliarde, obtenus dans les élevages intensifs dans les régions de Tadla, Chaouia, Gharb et Saïs. La question de se limiter à l’utilisation de la race Holstein ou de diversifier les races laitières à exploiter au Maroc a été posée.
Le 4ème exposé a comparé l’effet du pays d’origine (Maroc ou pays étrangers d’importation de génisses) et les effets des facteurs d’environnement sur les performances de production des vaches laitières. Les résultats présentés semblent en faveur des vaches nées et élevées au Maroc.
Le 5ème exposé a traité de l’utilisation de la semence sexée en élevage bovin laitier et il a présenté les premiers résultats réalisés au Maroc dans 3 grands élevages laitiers de production de génisses.
Lors de la discussion générale qui a suivi les exposés, les points saillants suivants ont été soulevés:
Les opportunités et les possibilités qui s’offrent au Maroc pour s’engager dans la voie de la sélection génomique;
- La nécessité de développer des axes de collaboration avec d’autres pays pour mutualiser les moyens voire la population de référence dans le cas où le Maroc veut développer l’indexation génomique;
- la taille de la population de référence minimale et ses caractéristiques dans le cas du Maroc;
- la répercussion sur les closes du CPS lors de l’importation de reproducteurs indexés sur la génomique;
- le coût additionnel à payer par l’éleveur/profession dans le cas d’utilisation des taureaux indexés sur la valeur génomique;
- la nécessité d’avoir des données et un pedigree informatif pour réaliser une évaluation rigoureuse et créer le progrès génétique;
- le prix additif de la semence sexée qui sera supporté par l’éleveur / profession.
Parmi les recommandations :
-
La nécessité de la révision du système de contrôle laitier au Maroc voire son allégement;
-
La nécessité de compléter le caractère production laitière (seul utilisé actuellement) par les autres caractères d’intérêt, à savoir la matière grasse, les protéines et les cellules somatiques pour la comparaison des races ou pour l’évaluation génétique. Il faudra donc mettre en place le système d’analyse de la qualité du lait ;
-
La nécessité de normaliser les méthodes de contrôle laitier, de performances et de calcul d’index;
-
La disponibilité de la DDFP à s’engager dans la voie de l’amélioration du système de contrôle laitier;
-
L’encouragement de la production nationale des génisses dans les unités pépinières puisqu’elles performent mieux et qu’elles sont plus adaptées aux conditions marocaines ;
-
Les subventions accordées ne doivent pas se limiter aux importateurs et aux producteurs des génisses, comme c’est le cas actuellement, mais elles devraient s’étendre également aux éleveurs acquéreurs des génisses produites localement;
-
La nécessité de bien cibler les clauses du cahier des charges lors de l’importation des reproducteurs et de la semence bovine de l’étranger pour garantir le progrès génétique;
-
Améliorer la technique du contrôle de la mobilité des semences produites et importées au niveau du CRIA;
-
La nécessité de créer la commission nationale d’amélioration génétique des animaux impliquant les différents acteurs: Ministère, professionnels, scientifiques… qui aura pour mission, notamment, d’orienter la sélection et l’amélioration génétique en général de l’espèce bovine, mais aussi des autres espèces et d’en assurer la continuité;
-
La nécessité de développer les études de suivi technico-économique pour avoir des éléments précis sur les systèmes de production de bovins (lait, viande) au Maroc;
-
La nécessité de lancer une étude sur le coût de production de la génisse au niveau national et aussi pour comprendre les raisons pour lesquelles la production de la génisse ne se développe pas ou reste faible au Maroc;
-
La nécessité de développer la recherche et la recherche & développement dans les filières lait et viande et lui assurer un financement étatique durable.