Au Maroc, c’est autour du blé, comme denrée de base, que le package stratégique sur la sécurité alimentaire du pays est élaboré, incluant aussi le sucre, les huiles, la viande et le lait. Mais en dépit de son statut de denrée stratégique et des efforts consentis à son développement par les pouvoirs publics, les progrès réalisés sur cette culture depuis plus de 40 ans, restent en deçà des besoins du pays, qui s’élèvent à environ 110 millions de qx/an, contre 60-70 millions produits localement. Comme principales contraintes à cette insuffisance de progrès, il y a les faibles productivités liées à la sécheresse récurrente et la rentabilité très limitée de la filière, ne justifiant pas la reconversion d’autres cultures en blé dans les grands périmètres irrigués.
Introduction
Au Maroc, la céréaliculture est présente un peu partout mais avec un taux d’occupation des terrains plus important dans les régions d’agriculture pluviale. Dans ces zones, la céréaliculture est une composante incontournable du système de culture en comparaison avec les zones irriguées où d’autres choix sont possibles. Elle est présente dans les zones de montagne, les zones arides, les grands plateaux et plaines intérieures et les plaines côtières.
A l’évidence, la problématique spécifique à chacune des grandes régions céréalières du Maroc n’est pas forcément la même, ne serait-ce qu’en raison de la diversité des systèmes de culture et de production (système vivrier, système extensif type monoculture, polyculture/élevage), de la taille des exploitations (petite unité familiale, grande ferme de production) ou de la finalité de la production (multiplication de semence, production du blé commun pour les minoteries). Mais il n’en demeure pas moins que de nombreuses contraintes soient communes à ces grandes régions, en particulier les effets des sécheresses récurrentes qui frappent constamment l’ensemble du Maroc et qui expliquent en grande partie le statuquo actuel sur le manque de progrès substantiel de la filière, faute de rentabilité suffisante. Les facteurs aggravants additionnels sont le coût de production en perpétuelle augmentation, les faibles prix de vente sur le marché dus entre autres à la faible qualité de la production locale, et la concurrence du blé d’importation, subventionné par les pays d’origine.
La difficulté à survivre à l’aléa climatique est certainement plus importante dans les grandes zones très arides du sud du pays où les effets préjudiciables de la sécheresse sont souvent plus graves que dans la partie nord un peu mieux arrosée. Au sein de chacune de ces zones, la situation est plus difficile pour le petit producteur disposant de peu de moyens que pour le grand producteur structuré et techniquement plus performant. La catégorie la plus vulnérable dans ces zones d’extrême sécheresse est sans doute celle qui n’a aucune autre activité agricole que la céréaliculture, faute de pouvoir faire jouer la diversification.
Dans le présent article, on se limitera aux questions managériales et de rentabilité des grands domaines pour lesquels on dispose de suffisamment d’informations pour enrichir le débat sur la filière céréalière au Maroc. Des quatre ou cinq unités que nous gérons, nous avons choisi ici la ferme de Louata spécialisée de longue date dans la céréaliculture, en particulier le blé tendre.
Particularités du domaine étudié
Le Domaine Louata est situé dans la région de Sefrou, au nord-est du moyen Atlas, à 45 km de la ville de Fès. C’est une grande ferme en partie vallonnée et d’altitude très variable (400 à 772 m), qui s’étale sur environ 3.200 ha, dont 415 ha réservés à l’olivier intensif et à l’arboriculture fruitière (pêcher/nectarinier, prunier, poirier, abricotier, jujubier, grenadier) et 2.300 ha aux grandes cultures. Le climat est de type semi-aride à subhumide avec une pluviométrie moyenne de 480 mm/an, caractérisée par une forte variabilité interannuelle (196 mm en 2004/2005 et 734 en 2009/2010) et entre mois (octobre à fin avril pluvieux et mai à septembre secs). La ferme est en partie irriguée par pivots (254 ha) et par goutte à goutte (395 ha). C’est également une zone gélive avec des minima pouvant descendre à -6°C en hiver. L’unité est gérée par une équipe technique formée de trois ingénieurs et 4 techniciens dont un ingénieur et deux techniciens affectés en permanence à la grande culture, qui emploie également près de 30 à 150 ouvriers, selon le besoin et la période de l’année.