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jeudi, novembre 21, 2024

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Eléments agro-économiques pour réussir la culture du blé tendre en Bour

Discussion et conclusions

Depuis plus de 40 ans, nous sommes entrés dans une phase de déficit structurel en céréales, dû au déséquilibre entre la production et la demande exprimée par le marché. D’après les derniers chiffres disponibles, le besoin annuel du Maroc en blé s’élève à environ 100-110 millions de qx contre 60-70 millions produits localement. Dans l’état actuel des choses, le problème du blé et de la céréaliculture en général, est donc avant tout un problème d’insuffisance de volume produit sur place afin de rendre le pays moins dépendant de l’étranger pour sa sécurité alimentaire. A ce besoin en blé standard, il faudrait ajouter une demande non négligeable en blé de haute qualité que le Maroc ne produit pas et qu’il sera toujours obligé d’importer tant que son profil variétal n’aura pas changé.

C’est évidemment le Bour, avec plus de 5 millions d’ha, qui fournit l’essentiel du blé et des céréales locales. Mais cet espace, bien qu’il soit vaste, est globalement un espace à faibles productivités inhérentes à l’aridité du climat. Il est également géographiquement non extensible. Tous les grands plateaux, plaines et montagnes disponibles et recevant un peu de pluie sont déjà presque totalement dédiés à la céréaliculture. Bien sûr, cette réalité climatique, bien qu’elle soit une véritable barrière au progrès sur les céréales, n’exclut pas de façon absolue, la découverte dans l’avenir, de variétés ou d’artifices agronomiques offrant la possibilité de déborder sur les lignes d’iso-pluie minimale actuelle.

L’autre contrainte explicative du faible volume en céréales produit par le Maroc, est la rentabilité trés limitée de la filière ne justifiant pas la reconversion d’autres cultures en blé dans les grands périmètres irrigués. Sauf événement économique ou technique particulier, qui viendrait bouleverser les données actuelles, en irrigué l’équilibre céréales/autres cultures est un équilibre plutôt stable et peu favorable à l’extension des céréales. La marge d’un bon blé (recette de la paille comprise), est dans les meilleurs des cas de 10.000 Dh/ha, contre plus de 15.000 Dh pour la betterave à sucre et plus de 20.000 à 40.000 Dh pour les agrumes.

Dans le contexte économique actuel, le Maroc n’a d’ailleurs pas intérêt à soustraire des superficies supplémentaires à la grande hydraulique pour les affecter au blé. Le Maroc importe aussi du sucre, de l’huile,… et il a besoin d’exporter des agrumes, de la tomate, de la fraise, et bien d’autres produits qui viennent des zones d’agriculture irriguée, afin d’améliorer sa balance commerciale largement déficitaire.

Tout naturellement, aujourd’hui la situation donne l’impression d’une filière en statu quo n’évoluant pas comme on le souhaite, à cause justement de cette énorme contrainte des sécheresses récurrentes, qui ne permet pas de valoriser l’effort agronomique sur le terrain.

Malgré les grands efforts consacrés à l’amélioration variétale, tout comme à l’amélioration de la conduite agronomique, l’impact réel sur le volume est encore globalement timide. Il est plus visible les années humides que les années sèches, comme en témoignent les hautes productivités réalisées quand la pluie n’est pas un facteur limitant.

Sur les 20 dernières années, le volume moyen semble s’établir autour de 60-70 millions de qx et ne plus progresser beaucoup. Il est à chaque fois le résultat de la moyenne pondérée d’une excellente campagne de 90 à 110 millions de qx, qui n’arrive qu’une fois tous les 3-4 ans, et des productions des campagnes restantes plus ou moins médiocres.

En fait, bien qu’on soit en présence d’une filière où de grands progrès rapides sont effectivement plus difficiles, le système n’a pas encore atteint ses limites. Déjà, le volume des 90 à 110 millions de qx réalisés chaque fois en année pluvieuse, ne sont pas le potentiel réel aisément mobilisable du Maroc.

Dans le Saïs, le Gharb, Zaer et bien d’autres régions, de faibles productivités chez une frange importante de producteurs, sont encore le fait de manque d’actions techniques élémentaires telles que le semis à temps, l’apport suffisant d’azote ou l’usage d’anti-graminées. Sur ce plan, en décidant de dynamiser le conseil agricole, le plan Maroc Vert boostera peut-être les rendements chez cette catégorie non encore en phase avec le progrès technique.

Le manque de volume en céréales vient également en partie des milliers d’hectares de terrains collectifs, des terrains Habous,… quelque peu délaissés en raison de leur statut de patrimoine appartenant à tout le monde sans appartenir à personne. Là aussi, il faut imaginer des formes de partenariats gagnant-gagnant avec les ayant droits pour tenter de contourner les difficultés qui entravent jusqu’ici leur mise en valeur, sans toutefois perdre de vue le rôle stabilisateur politique et social que jouent ces terrains dans le milieu rural.

Le manque de progrès sur les céréales est également en partie lié à la difficulté majeure qu’il y a à trouver une solution tangible à la micropropriété qui caractérise le foncier agricole du Maroc. Plus de 70 % des exploitations ont moins de 5 ha, c’est une catégorie majoritaire en nombre, qui ne peut ni investir ni valoriser correctement le progrès technique isolément, en particulier dans la partie aride du pays.

En matière de recherche scientifique, c’est incontestablement dans les étages climatiques d’aridité sévère que les progrès sont plus difficiles et demandent beaucoup d’investissements et un travail de longue haleine.

Sur le long terme, l’avancée peut provenir de la découverte de matériel génétique, de l’amélioration de la conduite agronomique ou des deux à la fois. Par exemple, la mise au point de nouvelles variétés adaptées à ces milieux plutôt naturellement réservés aux espèces xérophytes. Elle peut aussi provenir de la mise au point de techniques agronomiques en vue d’une meilleure valorisation du peu d’eau disponible, en améliorant sa rétention dans le sol avec remise facile au profit des cultures. Certaines de ces techniques sont déjà connues (usage de la jachère, d’outils à dents pour la préparation du sol,…), et d’autres sont encore à l’essai mais très couteuses (usage de produits pour améliorer la réserve utile en eau,…).

Dans des milieux particulièrement difficiles, à la fois sur le plan climatique et pédologique, comme les terrains grossiers et calcaires des contrées arides du grand Haouz (Benguerir, Chichaoua, Dir), on est en droit de se poser la question si la monoculture de blé a réellement une raison d’être sur le plan économique. Du dry-farming de plus longue durée associé à l’élevage n’est-il pas plus rentable que la céréale aléatoire qui engage le producteur dans la dépense chaque année, alors qu’on sait d’emblée que l’espérance d’avoir une récolte significative n’est que d’une année sur 3 ou sur 4. Et pourquoi pas de la céréale fourragère «transpirante» (orge, triticale, blé fourrager) semée dense pour profiter à fond de la pluie hivernale et produire au moins de la masse végétale pour le pâturage, au lieu de s’obstiner à faire du blé semé clair «évaporant» pour le grain.

Pour tenter d’atténuer les effets néfastes de l’aridité, nous avons proposé, il y a une quinzaine d’années, une ébauche de roue de raisonnement pour la gestion des systèmes de culture en fonction de la fréquence de la sécheresse. L’esprit de la roue fait appel entre autres à l’axiome bien établi, au moyen d’études climatiques, selon lequel des épisodes avec deux bonnes années climatiques successives au Maroc sont un fait rare. Le modèle suggère entre autres le «gel» des terres (un peu plus de jachère) et la baisse des charges (moins d’engrais, de pesticides), après chaque excellente campagne, les suivantes étant en termes de probabilités, forcément médiocres ou de moins bonne productivité.

L’autre levier, qui n’est pas des moindres, pour accroitre le volume en céréales à moyen et long terme, est l’investissement dans l’irrigation d’appoint des grands plateaux et plaines qui s’y prêtent. Avec l’hypothèse d’une eau payée au prix actuel (0,35 dh/m3), dans le Gharb et les régions similaires, l’irrigation d’appoint ne soulève à la limite aucun problème particulier de rentabilité. Par contre, pour des régions comme le Saïs dont le projet d’irrigation à partir du barrage M’dez est à l’étude, on ne sait pas pour le moment si l’eau sera livrée avec un coût supportable par la culture de blé ou non, comme on ne sait pas non plus si la mise en eau ne conduirait pas les producteurs vers une reconversion des céréales en arboriculture ou en maraichage, ce qui risque d’encore diminuer la superficie consacrée aux céréales.

Le Maroc prévoit également la construction des autoroutes de l’eau pour l’irrigation d’une partie des grandes régions arides du sud à partir des excédents des bassins du nord. Mais là aussi, et sans anticiper les conclusions de ce projet, il faudrait certainement s’attendre à un coût élevé du m3. A l’immense investissement des 3,6 milliards d’euros déjà annoncé pour réaliser le projet sur les 500 km de distance concernés, il faut ajouter le coût énergétique des multiples pompages exigés sur une telle distance, l’altitude des zones nord du Maroc qui doivent fournir l’eau étant plus basse que l’altitude des plaines du sud à irriguer, en particulier la haute Chaouia et Tensift (Alwahda est à 180 m, Settat à 260 m et Marrakech à 460 m). Au stade où nous en sommes, les premières supputations d’avant-projet sur la partie coût, parlent déjà de 2,5 à 5 Dh/m3, donc d’une eau en tête de parcelle visiblement trop chère pour la production des céréales.

Pour la partie énergétique de ce genre de projets, comme pour celui du dessalement, les énergies renouvelables seront peut–être la solution à terme à condition de produire le KW/h à des coûts supportables par la céréaliculture.

C’est bien sûr aux agronomes qu’incombe de décliner les orientations du Plan Maroc Vert en programmes concrets pour la relance de la production agricole. La mission a déjà été accomplie avec succès dans un temps record pour certaines filières comme les agrumes et bien avancée pour d’autres comme l’olivier et l’élevage laitier. Il reste maintenant la filière des céréales qui en raison des multiples contraintes, passées en revue ci-dessus, va certainement demander beaucoup de persévérance avant de parvenir aux objectifs escomptés.


Aït Houssa A.(1), Oubaki L.(1), Reda-Fathmi K.(1), Drissi S.(1), Lamghari M.(1), Benbella. M.(2), Chraibi H.(1)
(1) Domaine Louata, Providence Verte
(2) Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès
 

Activités du projet ConserveTerra

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