Le caprin: viande du futur en milieu urbain marocain
La viande caprine étant le principal produit du caprin au Maroc n’a pas été plus chanceuse que la diversité génétique. Partout au monde même les pays qui ne sont pas de grands consommateurs de viande caprine tels que la France, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique s’attèlent à faire de cette viande un produit destiné soit aux groupes ethniques s’y trouvant sur leur territoire soit un produit d’exportation. Cet intérêt est soutenu et d’une manière incontestable par des travaux de recherche et des investigations en long et en large sur le caprin à viande allant de la prospection des opportunités du marché à l’analyse sensorielle.
Au Maroc, la viande caprine est perçue comme une viande de deuxième sinon de troisième classe par rapport aux viandes ovines et bovines. Cette perception ne s’est pas développée dans un vacuum mais elle est construite à travers toutes les formes de négligence à son égard. Pour ne mentionner que quelques formes, il y a la négligence du caprin dans les politiques gouvernementales. Le caprin laitier a certainement reçu plus que la caprin à viande. Il y a les actions portant sur la distribution de chèvres dans la cadre de projets en faveur des femmes, notamment dans le cadre de l’initiative nationale pour le développement humain, la création de fromageries, etc.
Tout cela s’inscrit plutôt dans la logique du secteur social et non dans la logique d’amélioration de la production et la productivité du caprin au Maroc. Laquelle logique nécessitera une stratégie d’envergure permettant le décollage du secteur caprin à l’instar du bovin et de l’ovin. Il est vrai que dans son état actuel le caprin reste peu performant et peu rentable surtout en matière de production de viande. Mais le caprin s’impose actuellement sur le marché par ses intérêts diététiques.
Les résultats réalisés dans ce sens sont encourageants. Le caprin a un avantage marketing sur les autres viandes rouges compte tenu de la quantité et la qualité de son gras, sa valeur nutritive, et son goût. De surcroît, la viande caprine se prête éventuellement à la transformation et la confection de produits de qualité.
A l’exception de certains systèmes, la méconnaissance du caprin marocain ne touche pas uniquement les populations elles mêmes mais elle s’étend au manque de données sur les performances, la qualité des viandes, les marchés, la demande, la consommation, etc.
Perspectives
Les perspectives futures du caprin local à viande au Maroc seront matérialisées par une vraie reconnaissance de la part des instances chargées de l’élevage de la stature centrale du caprin dans la société marocaine et son importance dans l’économie des communautés montagnardes en particulier. Cette reconnaissance devra, cette fois-ci aller au-delà d’événements sporadiques, notamment les foires, les séminaires et les journées médiatisées. Cette reconnaissance devra provoquer la réflexion collective, le débat et l’analyse de l’information en vue d’établir des stratégies adéquates de développement de ce secteur. La première pierre angulaire dans ce processus serait de promouvoir les efforts scientifiques requis pour la caractérisation de toutes les populations caprines marocaines. Laquelle caractérisation est le préalable d’autres recherches et d’actions de développement.
Les opportunités citées dessus sont vraies mais requièrent d’être explorées et minutieusement évaluées. Il est important de rappeler également que ces opportunités sont corollaires du caprin en conduite extensive car le type de viande caprine recherché aujourd’hui et les qualités diététiques conseillées par les spécialistes et prisées par les urbains avertis sont intrinsèquement liées aux conditions d’élevage et non pas seulement à l’espèce animale. Les urbains marocains qui cherchent dans le caprin un substitut plus sain que l’ovin ne veulent plus certains graisses ni d’hormones dans leur alimentation.
Cela veut dire que loin des changements radicaux et la course acharné vers l’élevage caprin intensif outre mesure, le caprin à viande nécessite des ajustements sans vraiment détruire ou altérer la nature ou plutôt le caractère extensif de cet élevage. Il s’agira ainsi d’un élevage extensif amélioré. Les caprins resteront dépendants sur les pâturages pour l’essentiel de leur alimentation avec des supplémentations d’appoint, des améliorations non coûteuses de l’hygiène, l’adoption des traitements vétérinaires élémentaires, et l’introduction périodique de nouveaux boucs dans les troupeaux. Cette dernière action est non seulement nécessaire mais elle n’engage aucun coût additionnel ni sur la trésorerie de l’éleveur puisqu’il doit vendre ses boucs ni sur la gestion du troupeau. Cette option est vraisemblablement plus faisable que la séparation des boucs des troupeaux qui pourrait compliquer la gestion du troupeau. Le but ultime de l’action serait d’atténuer, voir même contrecarrer les effets parfois négatifs de la consanguinité.
On ne le répètera jamais assez, toutes ces possibilités ne peuvent devenir fructueuses que si elles sont adéquatement évaluées à travers des recherches scientifiques solides qui s’inscrivent dans la continuité, conjuguant les volets fondamental et appliqué, réalisées par des équipes effectivement multidisciplinaires et multi-institutionnelles, des approches novatrices, participatives et fondées sur le travail de terrain.
Ainsi, la transformation des opportunités signalées en réalités interpelle, en premier lieu, des acteurs avec vision compréhensive à long terme, et en second lieu des recherches substantielles fondamentales et appliquées s’inscrivant dans la continuité, des moyens conséquents spécifiquement dévoués au secteur, des programmes de développement et de promotion réalistes et efficaces, etc. D’autant plus, la complexité et le caractère multiface de l’élevage caprin à viande nécessite l’action de divers acteurs, à commencer par les éleveurs aux instances chargées du développement de cet élevage.
L’Etat est appelé à créer les conditions favorables requises pour le développement du caprin à viande et les moyens nécessaires pour y arriver. De leur côté, les éleveurs de caprins sont appelés à s’organiser et à mieux structurer leur système de production de façon à profiter de la croissance de la demande en produisant des viandes légères et maigres qui répondront aux attentes des consommateurs. Tous ces objectifs sont réalisables par une meilleure connaissance des qualités des viandes désirées par les consommateurs, l’amélioration des infrastructures d’abattage et de transport, de contrôle sanitaire dans les abattoirs, les points de vente, etc.
Sur un autre registre, les structures chargées de l’élevage doivent bien exploiter les données dont ils disposent pour établir des tendances, construire des modèles, chercher des explications, informer les décisions de politique. Ces données doivent être accessibles aux chercheurs, enseignants, étudiants et autres concernés.
Les associations professionnelles sont le meilleur garant de l’évolution du secteur. C’est grâce aux efforts de l’ANOC que certaines avancées ont été acquises en faveur du caprin au Maroc. Les réalisations de l’ANOC dans le cas de chèvre laitière du Nord et le chevreau de l’arganier ne sont pas à démontrer. Au fait, la création du groupement Marmoucha pour l’ovin depuis 2005 s’avère comme une forme d’apprentissage collectif des éleveurs de la zone d’étude. Cela va certainement contribuer à la création et au renforcement des conditions favorables à l’amélioration des systèmes d’élevage pratiqués dont fait partie l’élevage caprin.
Compte tenu des effectifs de caprins et des opportunités à venir, il est peut être nécessaire de considérer la formation d’autres organisations professionnelles totalement dévouées au caprin à viande pour promouvoir et développer le secteur et accompagner les éleveurs. Les chiffres ne donnent ils pas à réfléchir et à s’interroger si 60% des cinq millions de caprins se trouvent dans les Haut et Moyen Atlas ne méritent-ils pas des programmes à la hauteur de leurs potentialités et leur stature.
On reproche souvent au caprin d’être la cause de toutes les destructions des écosystèmes tout en ignorant les autres facteurs causant cette détérioration et sans aucune précision de la part effective du caprin dans ce processus. Les coupes illégales, les faiblesses des programmes de reboisement, les autres abus sur les forêts sont aussi parfois plus nuisibles que le pâturage des caprins. La présence des animaux est même conseillée pour améliorer l’écosystème. Naturellement, le premier et l’indispensable pas vers la valorisation des populations locales réside inéluctablement dans la connaissance, la définition et l’évaluation de ces populations pour des objectifs de développement, de protection et de conservation.
Il y a certainement des belles histoires de réussite dont les réalisations et les contributions dans la création de l’emploi, la génération de revenus et l’allègement de la pauvreté ne peuvent pas être ignorées. Cependant, croire que ces actions vont changer la dynamique fondamentale du secteur caprin à viande serait pure présomption. Seule une stratégie claire et cohérente en faveur du caprin avec des moyens humains, matériels, législatifs et institutionnels parmi d’autres, pourra aider à la mise à niveau du caprin à viande. Ce sont les éleveurs de caprins en zones de montagne et leurs troupeaux qui ont le plus besoin d’actions de vulgarisation avec un vrai encadrement de proximité et un accompagnent engagé.