Des fourrages aux productions de lait et de viande
Les faibles rendements des cultures fourragères, couplés aux chargements bovins élevés dans les exploitations étudiées, se répercutent négativement sur la valorisation des fourrages en produits animaux (Tableau 4, voir fichier PDF). Les rations alimentaires sont dominées par la luzerne, en vert ou fanée. Dans les exploitations 3, 4, 5 et 6 à faible productivité laitière, la luzerne domine le bilan fourrager (jusqu’à 60 % de l’apport énergétique), surtout lors des périodes de grande disponibilité, qui coïncide avec la saison estivale (de mai à octobre).
Toutefois, un manque quantitatif de fourrages par rapport à la capacité d’ingestion maximale des bovins est observé dans toutes les exploitations. En témoigne le faible encombrement des vaches, qui s’élève à peine à 4,5 kg de MS des fourrages consommés par vache et par jour en moyenne alors que des vaches Holstein peuvent ingérer jusqu’à 15 kg de MS d’un fourrage de bonne qualité comme la luzerne.
L’utilisation de la luzerne comme fourrage principal dans les rations entraîne un excès d’apports azotés dégradables (PDIN) par rapport aux apports énergétiques. Le ratio (PDIN-PDIE)/UFL est certes constamment inférieur à 10 dans toutes les exploitations, à l’exception de la troisième en été. Mais les aliments complémentaires les plus usuels (pulpes de betterave et son) et les quantités distribuées n’équilibrent pas les excédents de PDIN. Ceci peut induire des accidents de la reproduction, car l’usage de protéines dégradables comme source énergétique s’accompagne de résidus métaboliques comme l’ammoniac et l’urée qui ont des effets nocifs sur la fertilité des vaches. D’ailleurs, dans toutes les exploitations, la reproduction des vaches révèle des dysfonctionnements manifestes, avec un intervalle moyen entre vêlage et saillie fécondante dépassant 125 j.
L’énergie des concentrés est bien convertie en lait dans les exploitations 1 et 2, à haut niveau de productivité laitière par vache, puisqu’ils fournissent 0,42 UFL par kg de lait. Ceci montre que les règles du rationnement des vaches y sont bien appliquées, sans les effets négatifs des carences azotées ou minérales. L’énergie des fourrages est affectée à l’entretien des vaches et celle issue des concentrés, plus onéreuse, utilisée pour la production de lait. En revanche, ce constat n’est pas valable dans les exploitations à plus faible niveau de production.
L’énergie des concentrés n’est pas entièrement convertie en lait du fait des erreurs de rationnement (insuffisance de l’ingestion énergétique et excès d’azote dégradable principalement) et de leurs répercussions sur la productivité par vache. Au final, le rendement laitier annuel moyen par vache présente est de 3.400 kg, variant de plus de 5.000 kg, dans les exploitations spécialisées (1 et 2), aux alentours de 3.000 kg dans les autres. Cette performance moyenne est très loin des potentialités génétiques des vaches exploitées.
La marge brute moyenne annuelle par vache présente (MBV) se monte à près de 5.400 Dh, hors amortissement des bâtiments et des équipements. Cette marge inclut les revenus tirés à la fois de la production de lait et de viande qui lui est concomitante. A l’exception des exploitations 1 et 2, le poids économique de la production de viande est équivalent (exploitations 5 et 6), voire supérieur (exploitations 3 et 4) à celui du lait, illustrant des stratégies de production bovine mixte où lait et viande cohabitent et peuvent même être en situation de concurrence vis-à-vis des ressources alimentaires de l’exploitation. La MBV surestime les performances économiques, surtout dans les exploitations 1 et 2, où des investissements conséquents ont été réalisés: bâtiments, traite mécanique, génisses importées. Mais seules les exploitations 1 et 2 dégagent des marges élevées de la production laitière, proche de 10.000 Dh/vache, alors qu’elles ne dépassent pas 3.000 Dh dans les autres cas.
Ces résultats proviennent en grande partie des différences de rendement laitier, qui font que les exploitations à haut niveau annuel de productivité par vache (> 5.000 kg) équilibrent l’ensemble de leurs dépenses par les revenus du lait, en dépit d’une utilisation supérieure d’aliments, et disposent du croît de viande comme bénéfice. En revanche, les exploitations à productivité de lait limitée doivent vendre du bétail pour s’acquitter de l’ensemble de leurs dépenses de production.
La valorisation des eaux d’irrigation en lait ne montre pas de différence marquée entre les élevages, avec une valeur moyenne de 1,5 m3 d’eau par litre de lait, variant de 1,2 à 1,8 m3, conforme à d’autres études consacrées à l’élevage bovin laitier et à ses relations à la valorisation de l’eau en milieux agricoles caractérisés par des stress hydriques. La consommation d’eau par litre de lait est la plus élevée sur l’exploitation 4 où la luzerne affiche le rendement le plus faible (15,8 TMV/ha) conjugué à la moindre productivité de lait par vache (2.620 kg par an). En revanche, les exploitations 1 et 3 combinent une forte valorisation de l’eau en lait avec de faibles consommations d’eau à l’ha de luzerne (moins de 17.000 m3) et des productivités de lait par vache élevées (n°1) ou des rendements de luzerne (n°3) ou de maïs (n°1) importants.
La valorisation de l’eau en viande montre qu’il faut en moyenne 42 m3 d’eau par kg de poids vif, avec une forte variabilité entre exploitations. Dans toutes les exploitations bovines étudiées, y compris celles ayant opté pour des stratégies laitières (1 et 2), les ventes d’animaux octroient une plus-value certaine à l’eau utilisée dans la production fourragère. L’activité « production de viande » redresse les déséquilibres économiques de l’élevage bovin dans les étables peu productives en lait et nécessitent des volumes variables d’eau selon les types d’animaux vendus (des vaches de réforme dans l’exploitation 1; des veaux à l’engraissement dans les exploitations 3, 4 et 6.)
Les fluctuations des rendements de fourrages et de leur conversion en produits bovins font que le m3 d’eau brute à l’entrée de la parcelle génère une marge économique variable de l’atelier bovin. Celle-ci est en moyenne de 1,10 Dh/m3 et varie de 0,57 à 2,85 Dh/m3. L’exploitation 1 affiche la valeur la plus élevée, en raison d’une productivité en lait élevée couplée à une intense réforme de vaches, ce qui a induit un très fort volume de ventes de viande. Elle a aussi maîtrisé les consommations hydriques des fourrages et réalisé des rendements satisfaisants de biomasse à l’ha, surtout pour le maïs.
Les autres exploitations ont des résultats proches de 0,6 à 1 Dh/m3, notamment pour des raisons de ventes d’animaux moindres. Globalement, la marge moyenne de l’usage du m3 d’eau en élevage (1,1 Dh/m3) est inférieure à la valeur moyenne de 1,70 Dh/m3 d’eau générée par les cultures irriguées au Maroc, laissant supposer que les termes économiques de la conversion de l’eau en produits animaux souffrent des diverses contre-performances des fonctions de production impliquées, de l’eau aux fourrages et des fourrages au lait et à la viande.
Ces résultats montrent aussi des marges palpables d’eau en produits bovins dans les exploitations qui réalisent les résultats les plus faibles. Cela passe par un ensemble d’interventions, aussi bien à l’échelle de la gestion de l’eau à la parcelle, que dans la maîtrise des itinéraires techniques des cultures fourragères. Finalement, en bout de chaîne, la conversion des nutriments des fourrages en produits bovins est aussi fondamentale, avec la mobilisation des outils classiques du rationnement des animaux selon leurs potentiels de production et de conception de systèmes fourragers économes en eau.