Au sein d’une filière laitière, l’augmentation des revenus ne peut provenir que de deux principaux axes distincts: accroître les volumes traités, soit en augmentant la productivité par vache ou en haussant les effectifs de vaches traites; et améliorer la qualité du lait.
Les entraves techniques, organisationnelles et institutionnelles à l’augmentation du volume de lait traité par la filière dans un pays comme le Maroc ont été amplement étudiées (rareté des ressources fourragères, déséquilibres nutritionnels et saisonnalité de l’offre en fourrages, et faiblesse de l’encadrement des éleveurs). En revanche, les aspects relatifs à l’amélioration de la qualité du lait cru de vache ont été peu étudiés. Or, les caractéristiques de l’élaboration de la qualité globale (physique, chimique et hygiénique) de ce produit et les spécificités du contexte d’élevage bovin au Maroc auraient dû imposer, bien plus tôt, la conduite de travaux de recherche appliqués à cette problématique.
En effet, avec une organisation de l’élevage bovin où interviennent des milliers d’exploitations agricoles, dominées en effectifs par les petites structures, l’offre en lait est très atomisée. Par ailleurs, à l’échelle de tous les bassins laitiers du pays (périmètres irrigués, zones bour, zones suburbaines), cette offre se caractérise par une agrégation très précoce (dans des centres de collecte coopératifs ou privés) de produits d’origine et de qualité très diverses.
Ces caractéristiques induisent pour l’ensemble des intéressés par la qualité du lait cru au Maroc (associations d’éleveurs qui pourraient exiger d’être rémunérés selon la qualité, industriels qui pourraient vouloir payer selon tels ou tels critères, consommateurs et chercheurs) des questions de recherche-action complexes sur lesquelles il faudra se pencher.
À cet égard, ce bulletin vise à éclairer le débat sur la problématique de la qualité du lait cru au Maroc, en présentant l’état de l’art en la matière, et en revenant sur les résultats disponibles actuellement sur ce sujet, à l’échelle du pays. Finalement, il s’agira d’ouvrir la discussion sur les perspectives d’amélioration qui se profilent.
La qualité du lait: un concept aux multiples interprétations
Lorsque la qualité est évoquée, surtout pour un produit aussi variable que le lait, de multiples interprétations subjectives peuvent être adoptées selon les critères retenus pour la définir. Ainsi, selon l’individu et les niveaux au sein de la filière, la qualité du lait aura tendance à différer, car certains acteurs auront tendance à se baser sur des caractères organoleptiques ou même visuels pour l’appréhender (surtout en amont et à l’aval, c’est-à-dire les éleveurs et les consommateurs), tandis que d’autres auront recours à des critères analytiques quantitatifs comme les taux butyreux et protéiques ou encore le taux de contamination en microorganismes (cas des industriels).
Avec le développement des méthodes d’analyse fiables et répétables, il existe trois familles de critères fondamentaux pour caractériser la qualité du lait: les critères physiques; les critères chimiques; les critères hygiéniques.
Les critères physiques sont révélateurs de l’aspect général du lait. Ils sont le plus souvent associés à la densité, au pH et à la température du lait. Toutefois, l’intérêt de ces critères pour l’évaluation de la qualité globale du lait demeure très restreint, à moins de ne suspecter des dénaturations ou des fraudes (acidification en raison d’un stockage inadéquat, mouillage). C’est pourquoi, ils ne suffisent pas à eux seuls pour caractériser la qualité du lait.
Les critères chimiques sont plus associés à la teneur du lait en substances nutritives. À cet égard, l’industrie a mis au point des méthodes analytiques de laboratoire pour doser le contenu du lait en divers nutriments qui assurent la valeur alimentaire du produit et ses usages en transformation laitière. Ce sont traditionnellement les protéines, les matières grasses et, à un degré moindre le calcium. Ces analyses fournissent une image complète d’un volet fondamental de la qualité du lait, notamment pour ses usages alimentaires et industriels. Dans certains pays, ces critères sont très importants dans les grilles de paiement du lait aux producteurs.
Les critères hygiéniques visent à compléter l’image de la qualité du lait en s’attachant à en caractériser les aspects microbiologiques. Ainsi, ils dévoilent l’image de la contamination en microorganismes dans un échantillon de lait. Diverses méthodes ont été mises au point, selon le type de flore microbienne à dénombrer. Les plus communément utilisées sont destinées à mesurer:
la flore mésophile aérobie totale (FMAT), c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes dans le lait à une température de 30°C;
les coliformes totaux et fécaux, c’est-à-dire la flore de contamination d’origine fécale;
les flores pathogènes pour l’Homme, dont les plus recherchées sont Staphylococcus aureus, Salmonella sp., Listeria monocytogenes,…
Pour chacune de ces flores microbiennes, des tests microbiologiques de routine ont été mis au point afin de déterminer leur importance relative dans le lait et fournir, par conséquent, des indications sur les conditions de production et de stockage, voire de traitement du lait avant sa commercialisation et sa consommation par les humains.
Toujours en rapport avec l’hygiène du lait, il y a eu plus récemment l’adjonction de tests supplémentaires qui consistent à détecter la présence d’inhibiteurs de la flore microbienne en vue d’éliminer les échantillons positifs qui pourraient constituer un danger sanitaire pour le consommateur sensible (perturbation de la flore intestinale normale, troubles digestifs, problèmes d’allergie, antibiorésistance des pathogènes), et/ou un danger technologique, du fait que ces laits seraient inutilisables pour la fabrication de produits laitiers fermentés par l’industrie (yaourts, crèmes, fromages). L’utilité de ces tests provient de la généralisation de l’usage d’antibiotiques dans le traitement des vaches laitières (notamment lors de mammites) par les éleveurs, ce qui a tendance à augmenter l’incidence de laits contaminés par ces substances.
La diversité des critères d’appréciation de la qualité du lait montre qu’il s’agit d’un phénomène complexe et multi-facettes nécessitant l’application de procédures coûteuses et répétitives pour une connaissance approfondie et actualisée du sujet. De plus, ces critères ne constituent qu’un pré-requis indispensable pour repérer les incongruités du produit. Il reste ensuite à les associer à leurs facteurs déterminants, notamment les aspects de conduite des élevages bovins (alimentation, hygiène générale liée au logement et/ou à la traite), et ensuite à agir sur ceux-ci pour améliorer la qualité globale du lait.
Dans ce qui suit, nous présentons quelques études de cas à l’échelle du Maroc et les perspectives ouvertes par les résultats obtenus.