Discussion
La comparaison entre les superficies de blé désherbées en 1996-97 et celles désherbées en 1999-2000 montre une augmentation nette de l’utilisation des herbicides. Cette augmentation serait due aux efforts conjugués des acteurs principaux: a) la recherche, b) la vulgarisation, c) les agriculteurs, et d) les sociétés phytosanitaires. Chacun des acteurs a essayé de faire de son mieux malgré les contraintes liées aux ressources humaines et financières.
Recherche
Plusieurs études de malherbologie ont été menées depuis 1980 dans les périmètres irrigués. Elles ont essentiellement concerné: a) la caractérisation de la flore adventice, b) l’interaction entre les mauvaises herbes et les blés, c) l’évaluation des techniques de désherbage, en particulier le désherbage chimique, et d) l’intensification de la production du blé.
Toutes ces études confirment l’intérêt du désherbage chimique précoce qui permet de: 1) contrôler les plantules des mauvaises herbes (graminées et dicotylédones) et arrêter leur compétition avec les cultures, 2) augmenter l’efficience de l’utilisation de l’eau ainsi que le rendement en grain et en paille, et 3) obtenir les rendements en grain et en paille propres, de bonne qualité et commercialisables. Des rendements intéressants ont été obtenus quand le désherbage a fait partie d’un ensemble de techniques agricoles performantes.
Cette première année du programme de sécurisation a été une occasion pour les chercheurs de communiquer les résultats les plus pertinents aux vulgarisateurs lors des journées de formation. Ceux-ci ont été appelés à leur tour à communiquer l’essentiel de ce qu’ils ont appris aux agriculteurs. Ce rapprochement informel entre la recherche et la vulgarisation a été avantageux en matière de désherbage du blé dans le périmètre du Tadla.
En tout cas, les études de malherbologie réalisées jusqu’à présent doivent d’une part être consultées et exploitées par les vulgarisateurs et même les agriculteurs. D’autre part, les recherches doivent se poursuivre pour couvrir tous les périmètres.
Vulgarisation
Chacun des ORMVA dispose d’un bureau de phytiatrie où les cadres font un effort dans le transfert de technologies à travers les Centres de Mise en Valeur (CMV). A chaque campagne agricole, plusieurs séminaires et visites d’essais sont organisés au profit des agriculteurs parfois en présence des spécialistes des institutions de recherche et des représentants des sociétés phytosanitaires.
Pendant cette première campagne agricole de la sécurisation de la production des céréales, les vulgarisateurs n’ont ménagé aucun effort pour participer activement aux séances de formation. Cependant, quelques difficultés se posent:
- les vulgarisateurs qui s’occupent de la phytiatrie en général et du désherbage en particulier sont peu nombreux,
- n’ont pas un programme clair et bien défini,
- n’ont pas suffisamment de moyens pour faire la vulgarisation (résultats de la recherche, documents, véhicules, etc …),
- s’occupent de tous les problèmes phytosanitaires (mauvaises herbes, agents pathogènes, insectes, etc…) à tel point que l’encadrement des agriculteurs pendant l’époque du désherbage du blé (décembre à février) n’est pas toujours une priorité,
- ne font pas suffisamment d’efforts pour acheter, lire et exploiter les documents produits par la recherche (Bulletin de Transfert de Technologie, Al Awamia, Actes de l’IAV, Homme, Terre et Eau, Al Mouzaria Al Maghribi, Le Monde Agricole, Terre et Vie, Compte rendus des séminaires, livres, etc…),
- sont parfois loin des agriculteurs (cas des sièges des ORMVA des Doukkala, Gharb et Souss-Massa qui sont loin de la zone d’action),
- sont parfois incapables d’exprimer leurs capacités et leurs savoir faire devant la hiérarchie complexe et la bureaucratie administrative au sein des ORMVA, et
– ne sont pas assez motivés pour mener à bien leurs activités (salaire, logement, voiture personnelle, couverture médicale, etc…).
D’ailleurs, les zones d’action de chacun des ORMVA englobe de grandes superficies irriguées et également de grandes superficies non irriguées. L’étendue de ces surfaces (et du nombre d’agriculteurs à encadrer) ne pourrait que compliquer et limiter les activités des vulgarisateurs. Les ORMVA s’occupent normalement des périmètres irriguéset les DPA s’occupent des régions bour.
Agriculteurs
Concernant le désherbage du blé et de l’orge, il faut distinguer deux types de céréaliculteurs:
- les agriculteurs qui utilisent les bonnes techniques agricoles (rotation, choix de variété, semis au semoir, semis précoce, fertilisation après analyse de sol, désherbage précoce, emploi de fongicides, etc …). C’est le cas des multiplicateurs de semences qui arrivent à avoir des champs propres (absence totale de mauvaises herbes) et à obtenir des rendements élevés et de bonne qualité.
- les agriculteurs qui considèrent les céréales comme cultures secondaires. Ils utilisent des techniques culturales inadéquates, et ont généralement des parcelles infestées par les mauvaises herbes. Soit ils ne font aucun désherbage, soit ils font de mauvais traitements herbicides. Malgré les infestations des mauvaises herbes, l’irrigation se fait jusqu’à la moisson.
Dans une enquête au périmètre du Tadla, on a trouvé 11 raisons empêchant les agriculteurs d’avoir les parcelles de blé irrigué sans mauvaises herbes. Les 5 principales raisons ontété: 1) infestation jugée faible par l’exploitant au stade approprié des traitements herbicides (24% des parcelles), 2) prix élevé des herbicides anti-graminées (15%), 3) retard des irrigations ou coupure d’eau (13%), 4) stade de traitement dépassé (12%) et 5) ré-infestation après les traitements herbicides (11%).
Sociétés phytosanitaires
Il ne faut pas nier les progrès réalisés en matière d’homologation de nouveaux herbicides. A cet effet, les céréaliculteurs disposent actuellement d’une gamme de spécialités herbicides valables pour le désherbage du blé et de l’orge (Tableaux 2, (voir fichier PDF)). Cette gamme répond à la plupart des problèmes de désherbage. De nouveaux produits utilisables à faible dose, plus efficaces, moins nocifs à l’environnement sont continuellement homologués. Par contre, les produits jugés moins performants et néfastes à l’environnement ne cessent de disparaître.
Pour bien progresser dans la vulgarisation du désherbage du blé et de l’orge, le rôle des sociétés phytosanitaires ne doit pas se limiter à l’homologation et à la commercialisation des herbicides. Il doit également concerner, entre autres, a) le soutien des efforts de la recherche et de la vulgarisation, et b) la révision à la baisse des prix des herbicides anti-graminées (actuellement 400 à 700 Dh/ha).
Conclusions
En comparant les chiffres de 1996-97 et ceux de 1999-2000, les superficies de blé désherbées avec les herbicides ont augmenté. Des efforts conjugués entre les quatre acteurs principaux (recherche, vulgarisation, agriculteurs et profession phytosanitaire) ont été déployés. Et il est recommandé de poursuivre les activités de recherche et de vulgarisation en mettant l’accent sur la formation des agriculteurs à travers les séminaires et les visites d’essais de démonstration (qu’ils soient des essais de recherche, d’intensification ou de vérification en milieu réel). L’objectif est de généraliser le savoir faire acquis au niveau des parcelles des agriculteurs. Car, la vraie mise en valeur agricole réside dans la circulation de l’information scientifique et technique. Les prévisions du programme de sécurisation de 80% de superficies de blé traitées avec les herbicides anti-dicotylédones et 60% traitées avec les anti-graminées sont loin d’être atteintes en cette première campagne agricole. Des efforts de recherche et de vulgarisation restent à faire.
Pour promouvoir simultanément la recherche et la vulgarisation agricoles, il est impératif de grouper ces deux fonctions dans une seule structure. Cette combinaison va permettre la circulation de l’information et les connaissances d’une manière efficace aux agriculteurs. Concernant la production des céréales, l’essentiel est d’arriver à convaincre les agriculteurs 1) à considérer le blé et l’orge dans les périmètres irrigués comme cultures principales (et non pas secondaires), 2) à pratiquer les bonnes techniques culturales (rotation, choix de variété, semences certifiées, semis au semoir, analyse de sol et fertilisation raisonnée, désherbage chimique précoce, traitement fongicide, irrigation d’appoint, etc…), et 3) à considérer le désherbage comme un outil indispensable pour augmenter le rendement et améliorer la qualité du produit récolté. La mobilisation de tous est nécessaire pour améliorer les rendements et contribuer ainsi à la sécurisation de la production des céréales.
Par Dr. Abbès TANJI
Institut National de la Recherche Agronomique, Settat