MÉTHODOLOGIE
Structure du modèle utilisé
La méthodologie adoptée est basée sur un modèle d’équilibre général calculable (MEGC) pour le secteur halieutique développé par Kamili et Doukkali (2018). C’est un modèle capable de retracer les effets sur les variables sectorielles (offre, prix, etc.), les variables macroéconomiques et la situation de la biomasse des stocks exploités. Ce modèle est fondé sur une approche de couplage d’un MEGC (Dervis et al. 1982; Shoven et Whalley 1984; Suwa, 1991) et d’un modèle biologique basé sur le modèle global de Schaefer (1954, 1957).
Les travaux de recherche qui ont développé un MEGC encadrant le secteur halieutique et intégrant ses particularités biologiques et écologiques sont très rares. On y trouve, les travaux réalisés dans le cadre du projet PECHDEV-UE comme celui de Pan et al., (2007) et le travail de Houston et al. (1997) (in Failler et al., 2007). Ces auteurs ont proposé un modèle dynamique optimisant les trajectoires des différentes variables mais sans prendre en compte la contrainte de durabilité des ressources, de plus en plus intégrée dans les stratégies de développement sectoriel (DPM, 2009). Aussi, cette variante de modèle nécessite une qualité exceptionnelle de données susceptible d’entraver son utilisation dans le contexte du Maroc.
Dans le cadre de ce travail, le concept de durabilité des pêcheries, a été introduit dans le modèle à travers les notions de biomasse et de production équilibrées. Pour assurer davantage cette durabilité, la production totale d’une espèce donnée, générée à partir du sous-modèle biologique, ne doit en aucun cas dépasser la production maximale soutenable (MSY[4]).
Sous-modèle MEGC
Le modèle comporte différents équations permettant de retracer l’évolution du prix de production vers le prix de vente final. Les prix d’activité incluent les taxes sur la production mais aussi toutes les taxes imputées lors du processus de production. Le prix d’un produit est donc une combinaison des prix des activités produisant ce même produit. L’interaction entre les prix de production et d’exportation détermine le prix d’offre domestique. Les coûts de transaction domestiques sont supposés incorporés quelque part dans le processus de production à travers les transferts des autres secteurs de production, notamment ceux de transport et de commerce. En conséquence, le prix d’offre domestique est supposé égal au prix de la demande domestique. L’ajout des taxes sur la vente forment le prix composite domestique qui est une combinaison du prix de la demande domestique avec le prix à l’importation incluant les droits de douane.
Le modèle comporte aussi les équations décrivant le processus de production qui combine des fonctions de production à élasticité de substitution constante (CES) et à facteurs de production complémentaires (Leontief). Les facteurs de production, au nombre de deux: capital et travail, sont combinés à l’aide d’une fonction CES. Le producteur peut donc les substituer les uns aux autres afin de réaliser la combinaison optimale de facteurs en fonction de leurs prix relatifs.
Les parts des intrants dans la production d’une activité sont supposés fixes ce qui justifie que les consommations intermédiaires sont données par une fonction Leontief. La combinaison entre valeur ajoutée et consommations intermédiaires est également exprimée par une fonction Leontief. Ce qui signifie que la valeur ajoutée et les consommations intermédiaires représentent chacune une part fixe de la production. Notons ici que c’est à base du processus de calibrage fondé sur les données de la Matrice de Comptabilité Sociale (MCS) que sont déterminés les coefficients des fonctions Leontief et CES utilisées.
Les équations des marchés des biens et services retracent les flux des produits depuis la mise sur le marché jusqu’à la consommation finale. Les productions agrégées d’un bien donné en provenance de différentes activités sont combinés à l’aide d’une fonction à élasticité de substitution constante (CES). La demande de chaque activité en produits est déterminée moyennant la condition de premier ordre de maximisation.
La destination finale des produits supposés être hétérogènes, vers le marché domestique ou vers l’extérieur, est gouvernée par une fonction à élasticité de transformation constante (CET). La maximisation des profits en fonction des prix relatifs conduit donc les producteurs à allouer leur production entre le marché domestique et le marché de l’export.
La minimisation des coûts donnée par une fonction CES détermine la part des produits domestiques et importés dans le produit composite offert aux consommateurs nationaux. Ce produit composite peut servir comme consommation finale pour les ménages et l’État (consommation publique) ou peut être incorporé dans les consommations intermédiaires et l’acquisition de biens durables d’investissement.
Comme l’hypothèse du petit pays est retenue pour ce travail, les prix mondiaux des produits exportés au prix FAB[5] (PWEc) sont donc supposés exogènes. La variable d’ajustement des prix à l’exportation (PEc) est le taux de change (EXR), supposé endogène. L’équation exprimant les prix à l’exportation en fonction des prix mondiaux est l’équation simple suivante:
PEc=PWEc.EXR
Avec (c) représente l’ensemble des produits exportés.
Le scénario d’augmentation des prix mondiaux des produits halieutiques vise donc l’augmentation, à des pourcentages différents, les prix mondiaux (PWEc) relatifs à l’ensemble des produits halieutiques.
Sous-modèle Biologique
Le modèle global de Schaefer (1954, 1957), retenu dans le cadre de ce travail, ne suppose pas que le stock d’une espèce donnée soit en permanence à l’équilibre. En revanche, il est possible de s’intéresser à la situation particulière qui correspond à un état d’équilibre du stock dont l’abondance du stock, exprimée en fonction de l’effort de pêche, est une biomasse équilibrée qui reste constante: dBt/dt=0.
Sur la base de l’une des hypothèses fondamentales des modèles biologiques globaux[6], la capture totale d’une espèce donnée (Yt) peut être exprimée en fonction de l’effort de pêche (E) et de l’abondance du stock (Bt):
Yt=Q×E×Bt
Q: Coefficient de capturabilité.
Le cas particulier qui correspond à l’état d’équilibre du stock est le cas qui garantit la durabilité de la ressource. C’est le cas qui nous intéresse dans cet article. On en déduit, d’après l’équation fondamentale du modèle global de Schaefer:
(dBt)/dt=R ×Bt×[(1-(Bt/K))-Yt=R ×Bt×((1- (Bt/K)]-Q×E×Bt=0
R: Taux de croissance intrinsèque d’une espèce donnée, exprimé en unité de temps-1.
K: La capacité biotique du milieu ou capacité de charge de l’écosystème (en biomasse).
Yt: Capture totale d’une espèce donnée durant l’année t.
L’expression de la biomasse équilibrée (Be(E)) en fonction de l’effort de pêche (E)[7] est dérivée de l’équation précédente:
Be(E)=K-[(Q × K)/R].E
Cette équation montre qu’il existe d’autres situations d’équilibre, avec une biomasse équilibrée qui est une fonction linéaire décroissante de l’effort de pêche.
En situation d’équilibre, l’expression de la capturabilité par espèce est donnée comme suit:
Q=[E×Be (E)]/Ye (E)
Ye: Capture totale équilibrée d’une espèce donnée.
L’effort de pêche est supposé exogène pendant que la captuabilité (Q) est endogène pour servir de variable d’ajustement du sous-modèle biologique (Lleonart et al., 2005).
Méthode de couplage des deux sous-modèles
Le couplage des deux sous-modèles est assuré moyennant un paramètre de couplage supposé fixe (Æj). Ce dernier permet de convertir la production en valeur (QXACj) en production en volume (CAPTUREj) selon l’équation suivante:
QXACj= Æj.CAPTUREj
Avec:j Î AFISH (Ì A): Ensemble des principales activités de pêche considérées dans le modèle {senneurs côtiers, chalutiers côtiers, pêche artisanales et palangriers côtiers, pêche hauturière}.
CAPTUREj: Capture totale en volume par activité (j).
QXACj: Offre intérieure au prix du producteur provenant de l’activité de pêche (j).
Æj: Paramètre de couplage permettant de convertir la production en valeur (QXACj ) en production en volume (CAPTUREj). Ce paramètre est estimé sur la base des données de l’année de référence.
La capture totale équilibrée par espèce, soit (Ye) exprime la production globale de l’ensemble des activités de pêche, tel que: Ye=∑j CAPTUREj
Règles de fermeture du modèle
Les quantités globales offertes des facteurs de production sont fixées aux niveaux observés de plein emploi et l’équilibre entre demande et offre de ces facteurs est assuré par leur prix moyen. La mobilité de ces facteurs est autorisée entre les différents secteurs. Compte tenu de l’hypothèse de «petit pays», les prix internationaux d’exportation et d’importation des produits sont supposés fixes, tandis que les quantités importées et exportées demeurent endogènes. L’épargne étrangère est considérée comme étant exogène alors que le taux de change réel, servant comme variable d’ajustement, varie pour équilibrer le compte extérieur. L’épargne publique est considérée comme étant la variable d’ajustement pour équilibrer le compte du gouvernement alors que le taux d’imposition directe est supposé fixe. Pour assurer l’équilibre du compte «épargne-investissement», la propension marginale à épargner d’une institution domestique non gouvernementale est supposée fixe. Ce qui fait que l’investissement total est déterminé par l’épargne totale disponible dans l’économie.
Cadre comptable du modèle
Le cadre comptable du modèle est basé sur une matrice de comptabilité sociale (MCS) élaborée pour l’année 2010 (Kamili et Doukkali, 2018). Cette matrice met l’accent sur les principaux produits et activités du secteur halieutique. Les activités de production retenues pour le maillon de la pêche regroupent celles de la pêche côtière (senneurs, chalutiers et palangriers), la pêche artisanale, la pêche hauturière et un quatrième groupe rassemblant l’aquaculture et autres activités. Les produits de ces activités sont en particulier la sardine, le maquereau, le poulpe, la seiche, les crevettes et le groupe des autres produits de pêche et d’aquaculture. De leur côté, les activités halio-industrielles et leurs produits correspondants ont été désagrégées dans la MCS selon le type d’industrie de traitement et de transformation du poisson, à savoir les conserveries (conserve), les unités de congélation (poisson congelé), les usines de sous-produits (farine et huile) et les unités de conditionnement (frais ou vivants). Les données exploitées dans la MCS proviennent de diverses sources, notamment du Haut-commissariat au plan (2012), de l’Office national de la pêche (2011), du Département de la pêche maritime (2011), de l’Office de change (2010) et sur la base des entretiens et enquêtes socio-économiques auprès de différents acteurs du secteur. Les données biologiques sont obtenues des travaux du groupe de travail COPACE[8] (2013).
Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF
https://www.agrimaroc.org