INTENSITÉ ÉNERGÉTIQUE RELATIVE DU SECTEUR HALIEUTIQUE MAROCAIN
Au Maroc, la pêche maritime se caractérise par sa forte dépendance au carburant dont la consommation annuelle moyenne est fortement liée au type du bateau et aux engins de pêche utilisés. En effet, selon les comptes nationaux publiés par le HCP en 2012, la consommation intermédiaire des navires de pêche est principalement dominée par les dépenses de carburant à hauteur d’une moyenne de 49 % (Figure 1).
Le Tableau 1 donne une estimation de la consommation annuelle moyenne de carburant par type de flotte de pêche. D’après ce tableau, une embarcation artisanale (petite pêche) ne nécessite que 3,43 tonnes de carburant par an. Alors que pour les navires de pêche côtiers, la demande de carburant varie considérablement en fonction de l’engin de pêche utilisé. Les chalutiers côtiers sont les plus gourmands en énergie avec une consommation annuelle moyenne de 61 tonnes/bateau. Les palangriers et les senneurs côtiers, utilisant souvent des engins passifs, ne demandent que la moitié de cette quantité.
Les données présentées dans le Tableau 1 ne donnent que des estimations moyennes élaborées sur la base des enquêtes socio-économiques. En réalité, les valeurs varient grandement en fonction de la zone de pêche, de l’espèce ciblée, de l’engin utilisé, de la taille réelle des bateaux et de l’expérience des membres de l’équipage, etc.
Pour les navires de pêche hauturière, la consommation de carburant est beaucoup plus élevée compte tenu de la nature de leurs activités (chalutage et congélation à bord). Ceci explique le faible tonnage capturé par tonne consommée de carburant par cette flotte comparativement aux autres flottes de pêche (Tableau 1). Cependant, bien que la production par tonne de combustible utilisée soit faible pour les segments de pêche autres que les senneurs côtiers, les prix des espèces cibles sont souvent plus élevés, ce qui compense leur faible production.
Le Maroc importe presque tous ses besoins en produits pétroliers et dépend donc du marché mondial des hydrocarbures pétroliers. En conséquence, les bénéfices des activités de pêche nationales seraient directement impactées par les cours internationaux du pétrole. En effet, ces derniers ont toujours été caractérisés par une forte volatilité marquée par une tendance générale à la hausse. Le taux de croissance annuel moyen de ces prix est de 12% durant la période 1960-2017 (Figure 2).
APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
La méthodologie suivie vise, sur la base d’un diagnostic général du secteur halieutique et tenant compte de ses particularités biologiques et écologiques, à mettre en œuvre une démarche scientifique qui a pour objectif la simulation et l’évaluation de l’impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur le secteur halieutique et l’état des ressources exploitées. Pour ce faire, le travail opte pour les techniques de modélisation en MEGC qui sont essentiellement des versions numériques du modèle d’équilibre général concurrentiel de Walras, utilisées principalement pour la simulation et l’élaboration de politiques économiques. Le MEGC est choisi principalement pour ses forces qui le font distinguer des autres modèles macro-économiques: les prix sont endogènes, les effets de substitution sont pris en compte et les évaluations du bien être peuvent être facilement obtenues (Seung et Waters, 2006).
La mise en application du MEGC nécessite le développement d’une MCS désagrégée où seront enregistrés les flux de recettes et de dépenses de l’année de référence. Cette matrice doit être adaptée à la problématique de recherche et devrait répondre aux exigences de cohérence comptable du modèle.
Spécification mathématique du Modèle MEGC-H.
Le modèle proposé dans le cadre de cet article est un modèle statique fondé sur une approche mixte faisant appel à un MEGC (Dervis et al., 1982 ; Shoven et Whalley, 1984 ; Suwa, 1991) et à un modèle biologique basé sur le «modèle global de Schaefer (1957)» (Brêthes et O’Boyle (éds.), 1990 ; Laurec et Le Guen, 1981 ; Cadima, 2002). Le couplage de ces deux sous-modèles est assuré moyennant une fonction simple qui permet de convertir les productions (en valeur) générées par le MEGC en captures (en volume) qui seront utilisées comme données de base pour le modèle biologique. Le modèle obtenu (MEGC-H) permettra l’évaluation du système de production halieutique selon une vision macro-économique micro fondée ; et retrace les effets de différentes simulations sur la rentabilité des activités de pêche et l’état des ressources exploitées.
Sous-modèle d’équilibre général calculable (MEGC)
Le MEGC est présenté moyennant un ensemble d’équations mathématiques capables d’expliquer les mécanismes qui régissent la dynamique économique marocaine. Ce modèle reflète les flux et les opérations entre différents agents économiques et différents marchés. Il est structuré globalement autour des prix et taxes, productions et marchés des biens et services.
- Prix et taxes
Le modèle comporte différentes équations permettant de retracer l’évolution des prix de la production à la vente finale. Les prix d’activité incluent les taxes sur la production mais aussi toutes les taxes imputées lors du processus de production. Le prix d’un produit est donc une combinaison des prix des activités produisant ce même produit. L’interaction entre les prix de production et d’exportation détermine le prix d’offre domestique. Les coûts de transaction domestiques sont supposés incorporés quelque part dans le processus de production à travers les transferts des autres secteurs de production, notamment ceux de transport et de commerce. En conséquence, le prix d’offre domestique est supposé égal au prix de la demande domestique. L’ajout des taxes sur la vente forment le prix composite domestique qui est une combinaison du prix de la demande domestique avec le prix à l’importation incluant les droits de douane.
- Production
Le modèle comporte aussi les équations décrivant le processus de production qui combine des fonctions de production à élasticité de substitution constante (CES) et à facteurs de production complémentaires (Leontief). Les facteurs de production, au nombre de deux: capital et travail, sont combinés à l’aide d’une fonction CES. Le producteur peut donc les substituer les uns aux autres afin de réaliser la combinaison optimale de facteurs en fonction de leurs prix relatifs.
Les parts des intrants dans la production d’une activité sont supposés fixes ce qui justifie que les consommations intermédiaires sont données par une fonction Leontief. La combinaison entre valeur ajoutée et consommations intermédiaires est également exprimée par une fonction Leontief. Ce qui signifie que la valeur ajoutée et les consommations intermédiaires représentent chacune une part fixe de la production. Les paramètres des fonctions utilisées sont calibrés sur la base des données de la MCS.
- Marchés des biens et services
Les équations des marchés des biens et services retracent les flux des produits depuis la mise sur le marché jusqu’à la consommation finale. Les productions agrégées d’un bien donné en provenance de différentes activités sont combinés à l’aide d’une fonction à élasticité de substitution constante (CES). La demande de chaque activité en produits est déterminée moyennant la condition de maximisation de premier ordre.
La destination finale des produits supposés être hétérogènes, vers le marché domestique ou vers l’extérieur, est gouvernée par une fonction à élasticité de transformation constante (CET). La maximisation des profits en fonction des prix relatifs conduit donc les producteurs à allouer leur production entre le marché domestique et le marché de l’export.
La minimisation des coûts donnée par une fonction CES détermine la part des produits domestiques et importés dans le produit composite offert aux consommateurs nationaux. Ce produit composite peut servir comme consommation finale pour les ménages et l’État (consommation publique) ou peut être incorporé dans les consommations intermédiaires et l’acquisition de biens durables d’investissement.
Sous-modèle biologique
Le sous-modèle biologique est basé sur le modèle proposé par Schaefer (1954, 1957) (équation 1) qui prend en compte la dynamique des populations des ressources halieutiques exploitées selon une approche globale basée sur une fonction logistique de la production biologique.
dBt/dt=R×Bt×(1- Bt/K)-Q×E×Bt (équation 1)
E : Effort de pêche.
Bt : Abondance de la population en termes de biomasse à l’instant t.
R : Taux de croissance intrinsèque d’une espèce donnée, exprimé en unité de temps-1.
K : Capacité biotique du milieu ou capacité de charge de l’écosystème (exprimée en biomasse).
Q : Coefficient de capturabilité.
Bien que cette catégorie de modèles soit rarement utilisée dans les pays développés, en particulier en Europe, où la gestion des pêches n’est souvent pas basée sur cette approche, ces modèles de gestion halieutique sont toujours d’un grand intérêt et sont largement utilisés dans les pays en développement. Au Maroc, les ressources exploitées sont souvent évaluées par l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH) sur la base de cette catégorie de modèles.
Les équations mathématiques du sous-modèle biologique sont spécifiées à partir du cas particulier qui correspond à un état d’équilibre du stock et donc au cas qui assure la durabilité de la ressource. Cet état d’équilibre est obtenu en annulant l’équation de Schaefer :
dBt/dt=0 (équation 2)
A partir des équations 1 et 2, on obtient la biomasse équilibrée (Be) exprimée en fonction de l’effort de pêche (E)[3], telle que :
Be (E)=K-[(Q × K)/R].E (équation 3)
En situation d’équilibre, l’expression de la capturabilité par espèce est donnée comme suit[4]:
Q=[E×Be (E) ]/Ye (E) (équation 4)
La variable (Ye) représente la capture totale équilibrée par espèce, telle que: Ye=∑jCAPTUREj; avec CAPTUREj désigne la capture totale en volume par activité (j). L’effort de pêche est exogène pendant que la capturabilité (Q) est supposée endogène pour servir de variable d’ajustement du sous-modèle biologique (Lleonart et al., 2005).
Méthode de couplage des deux sous-modèles
Le couplage des deux sous-modèles est assuré moyennant un paramètre de couplage (Æj) estimé sur la base des données de l’année de référence (2010) par activité de pêche (j). Ce paramètre supposé fixe permet de convertir, au moyen de l’équation 5, la production relative en valeur (QXACj) en production nominale en volume (CAPTUREj). La variable (QXACj) représente l’offre intérieure de l’activité de pêche (j) au prix du producteur. Elle est supposée endogène et est générée à partir du sous-modèle économique du modèle MEGC-H.
QXACj= Æj.CAPTUREj (équation 5)
j: Représente les principales activités de pêche considérées dans le modèle {senneurs côtiers, chalutiers côtiers, pêche artisanale et palangriers côtiers, pêche hauturière}.
Conditions au bord imposées au modèle
L’exploitation des ressources halieutiques est soumise à certaines règles et contraintes liées aux modes de gestion et aux particularités de la ressource.
D’un côté, la biomasse équilibrée ne doit pas dépasser les limites naturelles autorisées par le milieu. Ces limites sont exigées dans le modèle par le paramètre de capacité de charge de l’écosystème (K). De plus, pour des raisons de gestion axées sur la durabilité de la ressource, les niveaux de biomasse ne doivent pas être inférieurs aux niveaux irréversibles. Compte tenu de ces raisons, la contrainte suivante a été imposée au modèle[5] :
10%.K≤Be≤95%.K
D’un autre côté, les captures ne devraient pas dépasser un niveau maximum de production. La condition imposée au modèle en ce qui concerne les captures totales tient compte du point de référence de la production maximale soutenable (MSY[6]), de sorte que la capture totale équilibrée ne devrait en aucun cas dépasser ce point de référence :
0≤Ye≤MSY
Règles de fermeture du modèle
Les règles de fermeture des marchés des facteurs, en accord avec l’optique néoclassique, supposent le plein emploi en imposant égalité entre demande et offre des facteurs de production (travail et capital). Les quantités globales offertes des facteurs sont fixées aux niveaux observés de plein emploi. Dans cette situation, comme le stock de capital est supposé fixe, les résultats déduits n’auront qu’une interprétation de « court terme ». C’est donc le prix moyen des facteurs qui varie pour équilibrer la demande et l’offre des facteurs. La quantité demandée en un facteur par une activité donnée est supposée mobile entre les différents secteurs.
Le solde du compte courant du reste du monde implique l’égalité entre ses dépenses et ses revenus. Compte tenu de l’hypothèse de «petit pays», les prix internationaux d’exportation et d’importation des produits sont supposés fixes, tandis que les quantités importées et exportées demeurent endogènes. L’épargne étrangère est considérée comme étant exogène alors que le taux de change réel, servant comme variable d’ajustement, varie pour équilibrer le compte extérieur.
Le taux d’imposition directe est supposé fixe à son niveau observé durant l’année de référence (2010). Pour équilibrer le compte du gouvernement, l’épargne publique est considérée comme étant la variable d’ajustement. La propension marginale à épargner d’une institution domestique non gouvernementale est supposée fixe pour assurer l’équilibre du compte «épargne-investissement». Ce qui fait que l’investissement total est déterminé par l’épargne totale disponible dans l’économie.
Données du modèle
Pour tourner le modèle, une MCS, composée de 72 comptes, a été développée en tenant compte des spécificités du secteur halieutique Marocain. Les données utilisées proviennent de sources différentes :
- Comptes nationaux du HCP relative à l’année 2010, incluant le tableau des ressources et des emplois (TRE) et le tableau des comptes économiques intégrés (TCEI) ;
- Données de production halieutique nationale de l’Office National de Pêche (ONP) et du DPM pour l’année 2010 ;
- Données commerciales des importations et des exportations (Office de changes) ;
- Comptes d’exploitation (Kamili et Maynou, (2011) et données d’enquêtes socio-économiques réalisées par l’INRH durant la période 2010-2016).
Les secteurs retenus dans la MCS correspondent à ceux identifiés dans le TRE (Tableau 2). La désagrégation des activités halieutiques de pêche et d’halio-industrie a considéré deux secteurs : la pêche et aquaculture (B05) et les industries alimentaires et tabac (D01). Les comptes désagrégés pour ces deux secteurs sont présentés dans le Tableau 3.
Les données biologiques nécessaires au calibrage de la partie biologique du modèle sont basées sur les travaux du groupe de travail COPACE, 2013 (Tableau 4).
Les données non calibrées, en particulier les élasticités, sont estimées sur la base des valeurs tendancielles moyennes observées dans des études empiriques similaires telles que celles de Thurlow (2004 et 2008) et Hertel et al., (1997) in Annabi et al., (2003).
Tableau 2: Liste des comptes des secteurs économiques considérés dans la MCS
Code | Les comptes des secteurs |
A00 | Agriculture, forêt et services annexes |
B05 | Pêche, aquaculture |
C00 | Industrie d’extraction |
D01 | Industries alimentaires et tabac |
D02 | Industries du textile et du cuir |
D03 | Industrie chimique et para-chimique |
D04 | Industrie mécanique, métallurgique et électrique |
D05 | Autres industries manufac. hors raffinage pétrole |
D06 | Raffinage de pétrole et autres produits d’énergie |
E00 | Électricité et eau |
F45 | Bâtiment et travaux publics |
G00 | Commerce |
H55 | Hôtels et restaurants |
I01 | Transports |
I02 | Postes et télécommunications |
J00 | Activités financières et assurances |
K00 | Immobilier, location et serv. rendus entreprises |
SNM | Services Non Marchands |
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