RÉSULTATS ET DISCUSSION
Après calibration, la capacité du modèle à reproduire les données de la MCS telle qu’elle a été introduite pour l’année de référence est testée en l’absence de tout choc exogène. Le modèle MEGC-H est donc prêt pour toute simulation.
Rappelons que ce modèle prend en charge le maximum de production soutenable (MSY) en tant que point de référence limite en matière de possibilités de prélèvements sur la ressource. Le modèle MEGC-H projette de simuler le fonctionnement de l’économie et du secteur halieutique selon différents scénarios en étant capable d’isoler les impacts sur plusieurs grandeurs et en assurant la durabilité de la ressource.
Les simulations proposées ont visés l’augmentation, à différents pourcentages, du prix mondial du pétrole et ont permet d’explorer, à différents niveaux, les impacts générés par le modèle. Les résultats retenus concernent principalement les impacts sur les niveaux de production et de rentabilité des activités halieutiques et les conséquences que cela pourrait engendrer sur les prix, le commerce extérieur des produits halieutiques et l’état de la biomasse des espèces exploitées.
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur le prix à l’importation et les quantités du pétrole importé
Compte tenu du taux des droits de douane à l’importation et du taux de change, les résultats du modèle ont montré que l’augmentation du prix mondial du pétrole se traduit automatiquement par une augmentation des prix intérieurs du pétrole et une baisse des quantités importées de pétrole. A titre d’exemple, une augmentation de 20 % du prix mondial du pétrole se traduit par un accroissement des prix à l’importation de 21 % et une baisse des quantités importées d’environ 5 % (Figure 3). Ces résultats ont montré une faible sensibilité des quantités importées de pétrole malgré les fortes augmentations de ses propres prix à l’importation. Ceci est particulièrement évident étant donnée la forte dépendance de l’ensemble des secteurs de l’économie nationale à l’énergie fossile.
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur l’offre globale des produits halieutiques
Le modèle montre, à travers la Figure 4a, qu’une hausse modérée du prix du pétrole pousse la plupart des activités de pêche à augmenter leurs productions dans l’espoir de compenser le coût supplémentaire dû au prix mondial du pétrole. D’un autre côté, les pêcheurs tenteraient de répercuter cette hausse du prix du pétrole en augmentant les prix au consommateur des produits de la pêche (Figure 7). Cette situation finira par une baisse de la demande des produits halieutiques. Par la suite, avec de forte augmentation du prix mondial du pétrole, les pêcheurs seront contraints de baisser leur activité de production. Les activités de pêche énergivores, à savoir celles des chalutiers côtiers et hauturiers, seront les plus affectées (Tableau 1). La production des principales espèces ciblées par ces activités de pêche (poulpe, crevettes et seiche) se trouveraient ainsi en diminution (Figure 4b). Cette situation inciterait les activités moins gourmandes en énergie (pêche artisanale et à la senne) à augmenter leurs niveaux de production, notamment en petits pélagiques tel que la sardine et le maquereau (Tableau 1). De plus, les activités appartenant au groupe des autres activités de pêche notamment celles moins dépendantes à l’énergie fossile, profiteraient également de cette situation et augmenteraient leurs productions.
Toutefois, la hausse de production des activités requérant moins d’énergie aura lieu tant que la hausse du niveau du prix mondial du pétrole ne dépasse pas, en moyenne, 25% du prix de l’année de référence. Au-delà de ce pourcentage, les bénéfices des activités de pêche seraient suffisamment affectés pour entraîner une baisse de la production pour toutes les flottilles. A titre d’exemple, une augmentation du prix mondial du pétrole de 25 % affecterait légèrement le niveau global de la production d’environ -0,1 % pour les senneurs côtiers et -3% pour les chalutiers côtiers mais stimulerait la production de la pêche artisanale et palangriers de 0,67 % (Figure 4a).
En termes de production par espèce (Figure 4b), la faible amélioration en pourcentage de la production des petits pélagiques est estimée considérable en termes de volume étant donné l’importance des débarquements de ces espèces (805 870 tonnes de sardine et 137 526 tonnes de maquereau). En effet, pour une augmentation de 25% du prix mondial du pétrole correspond une hausse de 0,5% de la production de la sardine, ce qui correspond à environ 4000 tonnes. Si cette situation continue très longtemps avec des prix de pétrole ne dépassant pas 25% du prix de référence, cela pourrait générer une pression supplémentaire sur les stocks pélagiques et mettrait en péril ceux qui sont déjà en situation de pleine exploitation ou de surexploitation.
Les résultats de cette étude suggèrent que la hausse continue du prix mondial du pétrole entraînera inévitablement une baisse de la production halieutique. Certains auteurs tels que Capros (2016) et Boyd & Koshal (1992), ont abouti à un résultat similaire, en simulant l’impact des variations du prix de l’énergie sur différents secteurs autres que le secteur de la pêche.
En conséquence, de fortes augmentations du prix mondial du pétrole auraient un impact négatif sur la contribution du secteur à la sécurité alimentaire, découlant de la baisse de la disponibilité des produits de la pêche (Figure 4). Plus encore, l’impact sera plus grand en termes d’accessibilité économique et de pouvoir d’achat. Ainsi, les consommateurs disposant d’un faible pouvoir d’achat auraient la possibilité de substituer les produits de la pêche par des produits de substitution riches en protéines animales et possédant des prix relativement bas comme chez les volailles. Cette substitution aura lieu à moins que les prix des volailles ne soient également affectés par l’augmentation du prix du carburant, sachant que la production agricole agrégée, illustrée dans la Figure 4, a également tendance à baisser. En revanche, cette hausse des prix du carburant aurait un impact positif sur les ressources halieutiques puisqu’elle entraînerait une baisse de leurs captures. Cela permettra d’assurer la durabilité des ressources, mais pourrait mettre en péril la pérennité des activités halieutiques, en particulier celles qui dépendent fortement des combustibles fossiles.
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur l’offre globale des produits halio-industriels
Les impacts générés par l’augmentation des prix du carburant au niveau du maillon des activités de pêche auraient automatiquement des conséquences sur les activités halio-industrielles. Parmi ces activités, celles qui ont montré une baisse des niveaux de production sont notamment l’industrie de conditionnement du poisson «frais ou vivant» et l’industrie de congélation (Figure 5). Par contre, la production de la conserve et des sous-produits (huile et farine de poisson) affiche une hausse en raison de l’amélioration de la production de la sardine et du maquereau (Figure 4b).
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur le commerce extérieur des produits halieutiques
Le commerce des produits halieutiques pourrait être particulièrement affecté par la hausse du prix mondial du pétrole. L’intensité de l’impact différerait toutefois d’un produit à un autre selon que le produit est sujet d’exportation ou d’importation.
De manière générale, une hausse du prix du pétrole affecte négativement les importations des produits halieutiques (Figure 6a) qui, du reste, ne représentent qu’une faible part du marché marocain. Par contre, une hausse du prix du pétrole favoriserait les exportations des produits halieutiques domestiques, dont le reste du monde est fortement demandeur (Figure 6b).
Les produits exportés, fortement affectés par la hausse du prix mondial du pétrole, concernent les sous-produits (farine et huile de poisson) et les conserves de poisson. Ces exportations gardent des niveaux importants en raison du maintien de la production de la sardine et du maquereau (Figure 4) et de l’amélioration de la production des sous-produits et conserve de poisson (Figure 5). Par contre, la chute de la production du «frais ou vivant» et du poisson congelé se répercute négativement sur leurs niveaux d’exportation (Figure 6b).
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur les prix domestiques des produits halieutiques
Une augmentation significative du prix du carburant se traduirait par une augmentation des prix domestiques des produits de la pêche, en particulier du poulpe, sardine, crevettes et, dans une moindre mesure, le reste des produits de la pêche (Figure 7a).
Il convient de noter que même si les trajectoires de la production de la sardine et du maquereau sont presque superposées dans la Figure 4b, puisqu’ils ont la même structure des coûts de production et sont produits par les mêmes unités de pêche, leurs prix montrent deux comportements différents entraînant des trajectoires divergentes dans la Figure 7a. La destination finale de ces deux produits pourrait expliquer cette divergence. En effet, la forte demande pour la sardine, due à la diversité de ses débouchés commerciaux (conserveries, marchés de frais, unités de congélation, industrie de sous-produits de poisson), expliquerait en particulier son prix croissant. Par contre, en raison de la hausse de la production (offre) du maquereau et de la demande inélastique limitée aux conserveries et, dans une moindre mesure aux sous-produits, les prix du maquereau auront tendance à baisser. Les sous-produits affichent à leurs tours des prix en chute dans la Figure 7b, ce qui justifie davantage la faible demande du maquereau et, implicitement, la baisse de son prix.
L’impact sur les niveaux de demande des ménages en produits halieutiques est faiblement négatif. Un accroissement du prix mondial du pétrole de 25% ne génère qu’une baisse moyenne de 1,9% de cette demande. Cette chute de la demande est le résultat évident de l’augmentation des prix domestiques des principaux produits demandés par les ménages, notamment la sardine (Figure 7a).
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur la rentabilité des activités halieutiques
Pour analyser l’impact sur la rentabilité des activités halieutiques, il est possible de se référer à l’analyse de l’impact sur la rémunération du capital. Dans ce sens, il est possible d’isoler la partie de la valeur ajoutée réservée à la rémunération du capital (πaCAP en se basant sur l’équation suivante :
πaCAP= [PVAa.QVAa ] -[∑.WFLAB .WFDISTLABa.QFLABa]
[Rémunération du capital (CAP) dans l’activité (a)] = [Valeur ajoutée globale, nette des impôts, des taxes et des subventions (-)] – [Valeur ajoutée réservée à la rémunération du travail (LAB)]
L’impact de l’augmentation du prix du pétrole sur la rémunération du capital est illustré à travers la Figure 8.
Comme montré par la Figure 8, l’impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur la rémunération du capital des activités de pêche est beaucoup plus marqué pour les activités qui montrent une chute de production en particulier celles fortement dépendantes du carburant (Figure 4).
Quant aux industries de traitement et de transformation, le modèle montre que les unités de «frais ou vivant» et les unités de «poisson congelé» subissent une baisse modérée de la rentabilité due à la chute de leur activité (Figure 5). Par contre, les usines de conserve et de sous-produits affichent une amélioration de leurs revenus profitant ainsi de l’augmentation de l’offre de la sardine et du maquereau résultante du déclin de l’offre des autres produits de pêche au niveau du marché (Figure 4). Évidemment, cela suppose la substituabilité entre les petits pélagiques et les autres produits de pêche.
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur la biomasse des espèces exploitées
Contrairement à ce qui se passe au niveau de la production des activités de pêche, une augmentation significative du prix mondial du pétrole ne peut avoir que des conséquences positives sur l’abondance des stocks exploités. En effet, la Figure 9 montre clairement que la biomasse des espèces considérées dans le modèle s’est nettement améliorée ; en particulier celles des espèces ciblées par les unités de pêche les plus exigeantes en carburant (chalutiers côtiers et chalutiers congélateurs), à savoir la crevette, la seiche et le poulpe. Le niveau d’amélioration de la biomasse de chacune des espèces étudiées est tributaire de leurs propres paramètres biologiques considérés dans le modèle, la biomasse initiale considérée et les conditions d’équilibre du marché.
A titre d’exemple, contrairement aux trajectoires superposées de la production de la sardine et du maquereau, représentées sur la Figure 4b, celles montrées par la Figure 9 sont plutôt divergentes. La différence des paramètres biologiques spécifiques à chacune de ces deux espèces et les considérations du marché expliquent en partie cette situation. En effet, bien que le taux d’accroissement intrinsèque de la sardine (0,97) permette une régénération plus accélérée de la biomasse comparativement à celle résultante du taux d’accroissement du maquereau (0,56), la biomasse de ce dernier se trouve plus améliorée par rapport à celle de la sardine. Les règles du marché qui favorisent la demande de la sardine par rapport à celle du maquereau pourraient expliquer ce résultat. En effet, la demande de la sardine est assez diversifiée pour engendrer une production suffisante et entraver l’amélioration de la biomasse (demande des ménages et des industriels de conserve, de sous-produits et de congélation). En revanche, seules les conserveries demandent la grande partie de la production du maquereau, ce qui expliquerait la baisse du prix de ce dernier (Figure 7a). La baisse de la demande de maquereau entraîne une baisse de sa production et soutient ainsi l’accroissement de sa biomasse à un taux supérieur à la seule prise en compte de l›effet attendu du taux d›accroissement intrinsèque.
Il convient de noter ici que les stratégies adoptées par les pêcheurs font en sorte que la demande du marché et, surtout, les prix ne sont pas toujours des facteurs déterminants dans la décision de sortir en mer pour pêcher. Par conséquent, toute la discussion repose sur l’hypothèse d’un marché où la loi de l’offre et la demande fonctionne pleinement.
Impact de l’augmentation du prix mondial du pétrole sur les variables macro-économiques
Sachant que l’augmentation du prix du pétrole affecte pratiquement tous les secteurs économiques, cela fait que l’impact est cumulatif sur l’ensemble de l’économie et les conséquences sur les variables macro-économiques sont de plus en plus remarquables. En fait, puisque l’impact affecte directement les quantités du carburant importées (Figure 3), l’effet sera forcément plus significatif au niveau macro-économique. Les résultats du modèle ont montré qu’une hausse de 20% du prix mondial du pétrole, pourrait provoquer une régression des ressources de l’État de 2,3% et une régression du PIB de 1,44%. Toutefois, la hausse du prix mondial du pétrole pourrait générer une légère amélioration de la valeur ajoutée du secteur halieutique. En effet, pour une hausse de 20% de ces prix, il y aurait une hausse de la valeur ajoutée du secteur halieutique d’environ 1,3%. Cette amélioration est surtout expliquée par l’augmentation de l’offre en petits pélagiques (Figure 4). Cependant, la hausse de la valeur ajoutée du secteur halieutique ne durera pas longtemps avec de forte augmentation du prix mondial du pétrole compte tenu de la baisse de la production halieutique prédite par le modèle.
De plus, l’augmentation du prix mondial du pétrole se traduirait, en l’absence de toutes mesures d’accompagnement, par une hausse des prix intérieurs à la production. En effet, pour une augmentation de 20% du prix mondial du pétrole, il y aurait une légère augmentation de l’indice des prix à la production de 0,05%, ce qui pourrait affecter négativement le pouvoir d’achat et réduire la demande intérieure. La rémunération des facteurs de production à l’échelle de toute l’économie est affectée négativement avec une baisse moyenne de 1,8%. Les revenus des ménages et des entreprises sont aussi reculés de 1,6% et 2,2% respectivement. Cela pourrait entraîner une baisse des investissements et, par conséquent, une baisse de la croissance économique.
Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF
https://www.agrimaroc.org