RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Le climat aride que la Maroc a connu ces dernières années, influe sérieusement l’activité agricole. Les ressources en eau superficielles et souterraines ont été impactées par ce climat, par conséquent, l’État marocain a opté pour le développement de l’agriculture irriguée afin d’assurer une intensification agricole et contribuer à maintenir une sécurité alimentaire au niveau du pays. Pour ce faire, plusieurs efforts ont été déployés depuis les années soixante aussi bien sur le plan légal et institutionnel que sur le plan technique et financier.
L’évolution des contextes climatique, économique, social et international, a imposé à l’agriculture irriguée de relever les défis majeurs de valorisation des ressources en eau, de productivité, de compétitivité et de durabilité. Les dits contextes nous poussent à conclure que le cadre institutionnel actuel de la gestion des infrastructures d’irrigation, notamment dans les grands périmètres d’irrigation gérés par les Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole (ORMVA), est dans la pratique peu adapté pour assurer la pérennité de ces infrastructures. Il en est de même pour le service de l’eau qui n’atteint pas la qualité souhaitée.
En effet, plusieurs anomalies ont été constatées à plusieurs niveaux: (i) une faible tarification de l’eau d’irrigation et par conséquent un coût qui ne couvre pas les charges de production, de distribution et de la maintenance des réseaux d’irrigation, (ii) des faibles taux de recouvrement des redevances de l’eau d’irrigation, (iii) une dégradation constante des infrastructures d’irrigation et (iv) des programmes de réhabilitation et de maintenance très coûteux financés par le budget de l’État. Ces anomalies se sont aggravées suite à une mauvaise allocation des ressources financières en accordant celles relatives au service de l’eau à d’autres missions régaliennes des ORMVA.
Les financements publics importants destinés à l’aménagement hydro-agricole n’ont jamais pu suivre un rythme permettant à ces aménagements d’être à jour par rapport aux barrages. La conséquence, aujourd’hui, est un décalage de 150 000 ha dominés par des barrages existants et non équipés entraînant un manque à gagner économique en termes de valeur ajoutée agricole estimé à près de 3 Milliards de Dh/an (MAPMDREF, 2016).
Face à ces constats, plusieurs réflexions ont été menées par le département de l’Agriculture depuis la fin des années 1990 en vue d’identifier les meilleures solutions institutionnelles pour assurer une gestion efficace et un développement harmonieux du secteur irrigué. Dans ce cadre, il a été démontré que le partenariat public-privé pourrait apporter des réponses à la hauteur des défis relevés. L’intérêt de ce mode de collaboration a été démontré à travers la réalisation du projet de sauvegarde de la zone agrumicole d’El Guerdane dans la région du Souss-Massa.
Le développement agricole dans cette région a toujours été lié à l’extension des secteurs modernes d’irrigation par pompages individuels au niveau de la nappe. En effet, 70% des superficies irriguées de la région sont alimentées par des eaux souterraines (MAPMDREF, 2016).
Il faut signaler que les études de préfaisabilité et de faisabilité du projet El Guerdane ont duré cinq années. Cette longue période est justifiée par la nouveauté de l’expérience dans le domaine de l’irrigation et la non disponibilité d’expériences à travers le monde qui pouvaient permettre un benchmark et constituer un référentiel pour la mise en œuvre du projet (plusieurs projets en irrigation ont été réalisés avant sous cette forme de collaboration mais ils ne comprennent malheureusement pas les mêmes composantes de ce projet). Pour cette raison, le Maroc a eu recours aux experts de la SFI (Société Financière Internationale filiale de la Banque Mondiale) et aux experts internationaux pour réaliser l’étude de faisabilité.
Cette étude, et notamment l’analyse stratégique a permis d’abord d’identifier parmi plusieurs modèles de structuration de partenariat public-privé celui qui était le plus adapté au cas du périmètre irrigué d’El Guerdane. Ce choix avait abouti à l’adoption d’un type du partenariat public privé BOT (Build – Operate and Transfer) et la désignation de l’Etat comme une autorité délégante (choix entre Etat ou l’ORMVA du Souss-Massa). Ce choix était dicté par la nécessité de centraliser la mission de mise en œuvre et du suivi ainsi que la capitalisation des acquis dans le domaine et la régulation de tous les projets du partenariat public-privé qui devaient être réalisés dans l’avenir.
Cette étape franchie, il a fallu élaborer les documents contractuels notamment le cahier des charges et les contrats annexes à signer avec les autres partenaires (Agence du Bassin Hydrique pour la fourniture d’eau et le contrat de mandatement entre l’État et l’ORMVA du Souss-Massa).
Le cahier des charges a spécificité clairement toutes les obligations des contractants en ce qui concerne le financement du projet, la construction des ouvrages, les responsabilités de chacun, les relations entre le délégataire, les usagers et l’État, les moyens et les rôles de contrôle, les modalités d’exploitation en périodes normale et de crise (inondation, déficit hydrique, etc.), les responsabilités en termes de maintenance et d’entretien des ouvrages etc. Parmi les aspects analysés, on trouve les risques encourus par le projet et l’identification de la partie qui devait les assumer. Ainsi, l’État cherchait à transférer tous les risques liés à la construction et l’exploitation au partenaire privé sauf dans les cas extrêmes où l’équilibre financier du projet était menacé. A ce propos, l’étude de faisabilité avait permis de réaliser une analyse financière du projet qui avait conclu que l’équilibre nécessitait l’application, au démarrage du projet, d’un tarif de l’eau minimal de 1,40 Dh/m3. Ce tarif prenait en compte les charges d’exploitation et d’investissement et la marge bénéficiaire du délégataire. Une enquête avait été réalisée pour analyser la capacité de paiement des bénéficiaires et avait conclu que la majorité des agriculteurs étaient en mesure de payer ce tarif qui constituait le seul critère de sélection du futur délégataire lors de l’appel d’offres international qui a été lancé.
Le choix du périmètre El Guerdane pour une première expérience pilote a été justifiée par la capacité de ses agriculteurs, possédant des vergers agrumicoles dont la production était destinée à l’export vers l’Europe, la Russie et les pays d’Amérique du Nord, de payer ce tarif grâce à une bonne valorisation de l’eau d’irrigation.
Ainsi, le Gouvernement marocain a décidé de réaliser ce projet en partenariat avec un opérateur privé. En se référant principalement aux directives de la Banque Mondiale qui était le conseiller principal du gouvernement pour la structuration du projet.
Le seul texte juridique réglementant toute forme de transaction entre une entité étatique et un partenaire privé, en particulier la délégation du service publique, est la loi 54-05 relative à la gestion déléguée.
L’État a lancé une procédure de concurrence internationale pour le choix d’un opérateur privé. Ce choix a privilégié une société marocaine qui a créé une société dédiée exclusivement à la gestion du projet (société Amensouss). En effet, dans son offre, la société retenue devait s’engager à créer une société filiale qui se charge de la gestion et l’exploitation du projet. Ainsi, une convention de gestion déléguée a été signée en 2005 entre le Ministère de l’Agriculture (Autorité Délégante) et l’opérateur privé (Délégataire), pour cofinancer, réaliser et gérer les infrastructures. La construction par le délégataire a été lancée en 2007, elle a été achevée en juillet 2009 et la gestion par le délégataire a démarré en octobre 2009. En 2018 le projet est toujours opérationnel, ce qui a poussé à envisager une évaluation d’impact. Le financement du projet a été assuré par l’État (48%), le délégataire (44%) et les agriculteurs (8%).