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lundi, décembre 30, 2024

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La régulation du partenariat public-privé en irrigation: Cas du projet El Guerdane dans la région du Souss-Massa

Régulation du projet El Guerdane

L’autorité délégante dispose à l’égard du délégataire d’un pouvoir général de contrôle économique, financier et technique et de gestion du service public délégué, notamment la qualité du service fourni aux usagers. Elle contrôle également la gestion rationnelle des ressources en eau et la protection de l’environnement. L’autorité délégante fixe aussi les modalités et exerce le contrôle conformément aux dispositions de la convention de gestion déléguée, aux lois et aux règlements régissant l’activité du délégataire.

L’autorité délégante peut déléguer, en intégralité ou en partie, l’exercice de son contrôle à une ou plusieurs personnes ou se faire assister par toute personne, conseil et expert de son choix. Elle peut, chaque fois qu’elle le juge nécessaire ponctuellement ou de façon permanente, recourir à une expertise externe à laquelle elle délègue ses attributions en matière de contrôle. Le délégataire, dès la réception de la notification de cette délégation et de son étendue, est, en matière de contrôle, tenu aux mêmes obligations à l’égard de cette expertise externe qu’à l’égard de l’autorité délégante.

Ce contrôle est exercé dans le but d’évaluer, sur pièce et sur place, le respect par le délégataire de ses obligations au titre de la convention de gestion déléguée et notamment, des objectifs de performances techniques, commerciaux et financiers. Le délégataire ne peut, en aucun cas, invoquer l’exercice de ce contrôle pour se soustraire à l’une des quelconques obligations mises à sa charge par la convention de gestion déléguée et le cahier des charges. Ainsi, il s’engage à tout mettre en œuvre, spontanément, pour que l’autorité délégante puisse exercer son contrôle dans des conditions normales et il s’interdit d’entraver l’exercice de ce contrôle.

Pour permettre à l’autorité délégante d’exercer sa mission de contrôle, le délégataire s’engage à lui communiquer tous documents comptables, techniques, financiers ou autres et à lui permettre de prendre connaissance, sur place, de toutes pièces ou écritures relatives au service public délégué.

Le suivi du projet El Guerdane est assuré par une direction technique en charge de l’irrigation du Ministère de l’Agriculture avec l’appui local de l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole de Souss-Massa (ORMVASM). En effet, le Ministère de l’Agriculture a institué en 2009 au sein de ladite Direction une division dédiée exclusivement à la promotion et au développement du partenariat public-privé en irrigation. Cette division est composée de deux services l’un est chargé de la mise en œuvre des projets par leur identification, le lancement des études de leur faisabilité jusqu’à leur aboutissement, notamment le choix de l’opérateur privé, la conclusion du contrat et l’exécution et le lancement de l’exploitation du projet. Le deuxième service est chargé du suivi et de la régulation de ces projets au cours de l’exécution et de son exploitation sur la base d’indicateurs spécifiés par le cahier des charges signés par les différentes parties prenantes du projet.

D’autre part, le projet est piloté par un comité de suivi de l’exploitation (CSE) dont les actions sont spécifiées par un règlement interne. Ce comité a une mission consultative mais décisionnelle dans les conditions de crise surtout les périodes de déficit hydrique. Le comité se réunit une fois par an à la fin de la campagne d’irrigation. Il comprend 11 acteurs concernés par le projet (départements ministériels concernés, autorités locales, agence du bassin hydraulique de la région, ORMVASM, représentants des agriculteurs et le délégataire). Au cours de ces réunions, le comité examine les performances du délégataire à la lumière des cinq rapports qu’il a l’obligation de remettre au terme de l’exercice. Il écoute les réclamations des bénéficiaires et leurs propositions et défend éventuellement des décisions surtout au profit des usagers. Le suivi se concentre sur les risques que le projet peut affronter et sur une batterie d’indicateurs définis dans le cahier des charges de la gestion déléguée concernant tous les aspects du projet: la construction de l’infrastructure d’irrigation, la fourniture et la tarification de l’eau d’irrigation, la gestion du service de l’eau (exploitation, maintenance, recouvrement, etc.), la relation délégataire – usagers, etc.

Comité de suivi de l’exploitation du projet El Guerdane

Le comité de suivi d’exploitation est présidé par le représentant de l’autorité délégante. Il est chargé du suivi de la convention de gestion déléguée. Ce comité est composé du directeur de l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Souss-Massa (ou de son représentant), de deux (2) représentants du Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts, d’un (1) représentant du Ministère de l’Économie et des Finances, d’un (1) représentant de l’agence du bassin hydraulique, de deux (2) représentants du délégataire, de deux (2) représentants des usagers nommés par les associations des usagers de l’eau agricole du périmètre et d’un (1) représentant du gouverneur de la province de Taroudant.

Ainsi, l’analyse et le suivi du projet au cours des sept (07) campagnes d’irrigation écoulées depuis le démarrage de l’exploitation du projet en 2009, ont été riches en résultats. Effectivement, le projet a affronté de nombreuses difficultés qui ont confirmés les hypothèses soulevées par les études de faisabilité concernant les risques auxquels le projet serait confronté au cours de son exploitation. La partie suivante nous donnera un aperçu sur cet aspect des risques et leur nature illustrés par des exemples auxquels le projet a fait face au cours de son exploitation.

Gestion des risques du projet El Guerdane

Pour réussir le projet, celui-ci devait bénéficier d’un mécanisme de partage des risques exploitable, viable et efficace. Les parties prenantes du projet ont des intérêts et des objectifs différents, par conséquent, une répartition efficace du risque a constitué l’élément essentiel de l’élaboration du cahier des charges.

En effet, pour qu’un partenariat public-privé soit efficace et durable, les parties prenantes doivent accepter un certain degré de risque. Chacun des risques afférents au contrat doit être supporté par la partie la mieux apte à le maîtriser, du point de vue technique, économique et financier en prenant en considération l’intérêt général et les caractéristiques du projet conformément aux dispositions et aux modalités prévues dans le cahier des charges conçu à cet effet.

Pour mieux comprendre la démarche adoptée pour la gestion des risques liée au projet du partenariat public-privé pour la sauvegarde du périmètre irrigué d’El Guerdane, nous allons donner des exemples des risques rencontrés pris en compte aussi bien dans la mise en place que dans la gestion et l’exploitation du projet et les dispositions prises par les parties concernées pour y faire face.

Les risques politique, juridique et institutionnel

L’état devrait être en mesure d’assurer un cadre stable pour le développement du projet durant toute sa durée de vie (30 ans), de disposer d’un cadre légal, réglementaire et institutionnel approprié pour garantir la sécurité juridique, financière et économique du projet, car tout changement du cadre juridique peut être perçu comme un risque au projet.

A cet effet, c’est le risque juridique et le statut des terres qui constituaient l’assiette du projet. En effet, afin de pouvoir installer les ouvrages d’irrigation, le projet devait exproprier des terres nécessaires à leur construction. C’est ainsi qu’un projet de décret d’expropriation pour cause d’utilité publique visant à acquérir les terres nécessaires à la construction de l’adducteur (Aoulouz-El Guerdane) et le réseau de distribution a été créé. Une opération d’évaluation des propriétés concernées par l’expropriation a été établie. Grâce aux efforts entrepris par toutes les parties prenantes ainsi que les moyens financiers pris en charge par l’État, aujourd’hui tous les usagers expropriés ont été indemnisés bien qu’avec un certain retard causé par la lourdeur des procédures réglementaires d’expropriation.

Risque financier

Le montage financier du projet El Guerdane a été réalisé sous un objectif de minimisation du risque financier. En effet, ce projet met à contribution l’État, les usagers et le partenaire privé. Le coût du projet a été estimé à 987 millions de Dirhams. Le montant de la contribution étatique s’élève à 475 millions de Dirhams (Fonds de Développement Économique et Social Hassan II a participé avec une subvention de 237,5 millions de Dirhams et un prêt concessionnel de 237,5 millions de Dirhams avec un taux d’intérêt de 1% et une période de grâce de 20 ans). La contribution des agrumiculteurs du périmètre souhaitant se connecter au réseau est de 8 000 Dh/ha, soit un montant total de 80 millions de Dirhams. Le co-financement du délégataire a atteint 432 millions de Dirhams, soit 43% du coût global du projet.

Risque de conception

Pour permettre au délégataire une conception optimale du réseau d’irrigation bien qu’une conception de base a été préalablement établie, il devait identifier les usagers souhaitant adhérer au programme de partenariat public-privé, et ce grâce à un mécanisme de souscription des propriétaires qui désirent être connectés au réseau. La souscription a été accompagnée du paiement d’un montant de souscription forfaitaire à l’hectare.

Cette opération a rencontré de nombreuses difficultés à cause du peu de confiance de la part des usagers inscrits au départ du projet. La souscription finale a concerné d’autres usagers qui ont exprimé leur désir et leur souhait de bénéficier du projet. Cette opération a permis, après son achèvement, la révision et la finalisation de la conception du projet.

Risque de construction

Le délégataire a la responsabilité de la réalisation technique du projet. Le cahier des charges fixe des normes et des critères techniques précis indispensables pour assurer une bonne qualité du service de l’eau d’irrigation et minimiser l’impact de construction. Le choix des matériaux, le tracé du réseau de distribution, certaines modalités de service sont du ressort de la responsabilité du partenaire privé. A ce sujet, le suivi a été assuré rigoureusement par les techniciens du Ministère de l’Agriculture ce qui a permis finalement d’éviter tout problème de qualité des infrastructures.

Risque de la demande

Pour faire face au risque lié à une demande insuffisante en eau de surface, le gouvernement a contribué par une subvention à l’investissement initial atteignant un montant de 475 millions de Dirhams (soit presque 50% du coût total du projet). Ce montant a permis à l’opérateur privé d’appliquer un tarif raisonnable permettant de maintenir la rentabilité financière du projet. Un tel tarif devait être accessible au plus grand nombre d’agriculteurs qui souhaitaient recevoir une dotation en eau de surface. En plus de cette disposition prise par l’État, le cahier des charges exigeait que Le délégataire ne puisse démarrer la construction des infrastructures tant que les souscriptions n’avaient pas couvert, au moins, 80% de la superficie initiale du projet ou un volume égal à 80% du volume d’eau alloué au projet.

Risque de recouvrement

Il s’agit notamment de la possibilité que le délégataire ne réalise pas des recettes suffisantes à atteindre la rentabilité du projet. Pour minimiser ce risque, une structuration binomiale du tarif a été prévue.

Le tarif comprend une part fixe annuelle sous forme d’abonnement (prépaiement de 20% du montant correspondant au volume souscrit par chaque agriculteur) et une redevance de consommation liée au volume consommé. Une telle structure tarifaire permet de réduire les risques de non-paiement, en autorisant le délégataire à ne pas délivrer la dotation en eau aux agriculteurs qui ne paieraient pas leur abonnement en début de campagne, ou leur redevance de consommation. Le tarif est ajusté annuellement pour tenir compte de l’inflation nationale. Aujourd’hui, le tarif du service de l’eau appliqué est arrêté à 1.8 Dh/m³ TTC.

La formule de révision tarifaire est présentée comme suit:

Tn=Tn-1(0,06 Sn-1/Sn-2+ 0,30 In-1/In-2 + 0,64)

Où:

n représente l’année en cours, 1 représentant la première année du projet ;

Tn: représente le tarif d’un mètre cube de l’eau à l’année n ;

T1: représente le tarif à la première année du projet;

Sn: représente l’indice du coût de la vie publié par le Haut-Commissariat au Plan, calibré pour être égal à 1 à l’année précédant la première année du projet (S0=1); et,

In: représente l’indice d’inflation des prix du secteur industriel tel qu’il sera publié par le Haut-Commissariat au Plan, calibré pour être égal à 1 à l’année précédant la première année du projet (I0=1).

Le taux de recouvrement des redevances volumétriques a connu une baisse durant la campagne d’irrigation 2013-2014 par rapport aux campagnes précédentes (93% au cours des 3 premiers trimestres et 28% au cours du dernier trimestre) soit un taux global de 76%. Cette baisse est due essentiellement au problème de disponibilité de trésorerie dont ont souffert les usagers, causée par un effondrement des prix et du tonnage à l’export. Pour faire face à cette situation, le comité de suivi de l’exploitation du projet, en concertation avec la société délégataire «Amensouss», a recommandé lors de la réunion annuelle de juin 2014 de prolonger le délai de paiement des factures de trois mois en faveur de quatre-vingts usagers. Cette situation nous a permis de constater un cas de risque économique provoqué par des conditions du marché international des agrumes auxquelles les usagers ont apporté une solution en changeant la destination de leur production et en prenant des mesures nécessaires pour améliorer la qualité de leur production.

Risque de pénurie

Le risque du déficit est supporté par les trois parties prenantes du projet (l’autorité délégante, le délégataire et les usagers). Le déficit du revenu lié au manque d’eau lors d’une année donnée est limité pour le délégataire à un maximum de 15% du revenu en une année normale. Les usagers en assumeront une partie (au-delà d’un volume de déficit de 15% du volume alloué au projet qui est de 45 Millions m³) par le biais d’une surtaxe tarifaire. L’État indemnisera le délégataire pour tout déficit au-delà d’un volume de 22,75%.

Par exemple, la situation hydrologique de l’année 2013-2014 a connu un certain déséquilibre. En effet, les apports au cours de cette année au niveau du barrage Aoulouz ont été jugés insuffisants ce qui a augmenté le risque d’un arrêt de service d’irrigations et aussi la menace des conséquences graves sur les plantations d’autant que ce déséquilibre ait intervenu à un stade crucial des besoins en eau d’irrigation des agrumes (juin-juillet-aout).

Compte tenu de cette situation critique, le comité de suivi de l’exploitation du projet, après plusieurs réunions de concertation, avec toutes les parties prenantes du projet, a recommandé le transfert d’un volume de 1,5 Mm³ à partir du barrage Mokhtar Soussi vers le barrage Aoulouz pour sauver la campagne agricole.

Cette situation de déficit hydrique a fait jaillir un problème qui n’a pas été envisagé auparavant et qui aurait pu avoir de lourdes conséquences sur l’équilibre financier du projet. En effet, dans cette situation les usagers ont commencé à envisager le recours à d’autres spéculations telles que les cultures maraîchères tout en abandonnant l’activité agrumicole. Cette situation aurait pu avoir des conséquences imprévisibles sur les recettes des usagers étant donné le temps qu’il leur faudrait pour arracher les arbres, pour se doter et maîtriser les nouvelles techniques culturales et surtout rechercher les circuits et les marchés commerciaux pour écouler leur production principalement à l’étranger pour maintenir un même niveau de recettes que celui permis par les recettes des agrumes qui sont, dans la plupart des cas, exportés.

Risque de force majeure

Des événements échappant au contrôle des parties prenantes du projet peuvent se produire rendant l’exécution de leurs obligations très difficile, voire impossible. Les cas de force majeure comprennent, entre autres, les guerres, les tremblements de terre, les tempêtes, les inondations et les actions revendicatives des salariés, à l’exception des cas où de telles actions concernent exclusivement le délégataire.

Par exemple, on peut citer le cas concret des dégâts qui ont été enregistrés suite aux crues et aux inondations exceptionnelles survenues après les fortes intempéries qui ont eu lieu durant la période allant du 18 au 26 décembre 2009. Le complexe hydraulique Aoulouz a enregistré des taux de remplissage qui dépassaient de 100% les apports normaux. Le barrage a déversé et le débit lâché a atteint 1070 m³/s engendrant ainsi des crues exceptionnelles qui ont causé des dégâts au niveau de certaines parties de l’adducteur d’El Guerdane.

Pour faire face à cette situation, le délégataire a réalisé sous sa responsabilité et son propre financement une étude d’exécution pour la réparation des dégâts de crues enregistrés au niveau de l’ouvrage de tête et au niveau d’un tronçon de l’adducteur et a entamé des travaux de réparations sous contrôle de l’autorité délégante. La société délégataire a repris le service d’irrigation du périmètre le 20 février 2010. Ces travaux n’auraient pu être réalisés dans ces délais par l’État car les procédures suivies pour engager des dépenses auraient pris au moins une année le temps pour disposer des fonds nécessaires et d’entamer les procédures d’appel d’offres pour le choix des sociétés de travaux.

Risque environnemental

Pour éviter tout problème environnemental, le projet a adopté des mesures conformes à la législation en vigueur en matière d’environnement. En effet, le délégataire a réalisé une étude d’impact environnemental afin de soumettre à l’approbation de l’autorité délégante un plan d’action pour réduire les risques environnementaux du projet. Ce plan a notamment concerné: la sécurité et la réduction des nuisances durant les travaux, les mesures pour assurer la sécurité de l’ouvrage pendant l’exploitation et la protection de la faune et la flore.

L’un des problèmes environnementaux auquel le projet est régulièrement confronté concerne les périodes de fortes pluies en amont du barrage. Cette situation provoque des crues plus ou moins importantes et entraîne l’arrivée de grandes quantités d’eau chargées en éléments de différentes dimensions au niveau de la retenue du barrage, ce qui nécessite un arrêt des lâchers d’eau. Ces eaux chargées doivent être retenues pour leur permettre une décantation et par conséquence répondre aux exigences de la qualité des eaux d’irrigation qui doivent être conformes aux normes adoptées au Maroc, tel que le prévue le contrat.

A ce propos, l’autorité délégante avait lancé une étude d’expertise pour analyser ce problème de la turbidité (origines, causes, impacts, etc.) de ces eaux chargées du barrage pour l’irrigation et examiner les variantes d’amélioration de la qualité de ces eaux et proposer la solution adéquate en termes de choix du meilleur procédé de filtration de cette eau et de son emplacement. Cette étude n’a pas permis d’aboutir à des solutions convaincantes. La solution relative à la construction des deux grands bassins à l’aval du barrage constituait une solution inconcevable techniquement et financièrement.

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