Exemple des performances du projet El Guerdane
Jusqu’en 2014, l’autorité délégante publiait à la fin de chaque campagne d’irrigation un reporting de suivi des performances d’exploitation du projet. Celui-ci résume l’évolution des indicateurs de suivi par rapport aux précédentes campagnes qui traduisent les efforts du délégataire pour améliorer le service de l’eau. Le dernier reporting date de la campagne d’irrigation 2014-2015.
La superficie raccordée a atteint 9 547 ha (Figure 1) avec un nombre de bénéficiaires de 567. Il faut rappeler qu’en raison du non-respect de la part de certains usagers des exigences de leurs contrats relatifs au règlement des frais de raccordement, de consommation ou d’abonnement annuel, le délégataire peut recourir à la résiliation des contrats avec les usagers. Par exemple, au titre de la campagne 2013-2014, 30 contrats, représentant une superficie de 409 ha, ont été résiliés définitivement.
Comme on a déjà vu, le tarif du service de l’eau assuré par le délégataire est soumis à une indexation annuelle qui tient compte de l’évolution du niveau de vie au Maroc. Comme le montre la figure 2, le tarif du service de l’eau peut baisser comme durant la campagne d’irrigation 2010/2011. Mais généralement, selon les stipulations du cahier des charges, l’indexation du tarif ne peut permettre une baisse ou une augmentation de plus de 3% par rapport au prix de référence indiqué.
Le montant de la redevance volumétrique est un indicateur important pour le suivi des performances financières du délégataire. La figure 3 décrit l’évolution de la redevance volumétrique ainsi que celle du taux de recouvrement des recettes par le délégataire.
Le délégataire procède périodiquement à des mesures de suivi de la qualité de l’eau. Pour la lutte contre le phénomène de développement des algues au niveau des bords de bassin de décantation des ouvrages de brises charges, il a été jugé nécessaire de procéder à l’empoissonnement des bassins. Cette opération est jusqu’à présent très concluante. Le nombre des réclamations de la part des usagers au sujet de colmatage des filtres a baissé d’environ 50 % (Figure 4). Cela est dû à plusieurs facteurs dont principalement l’efficacité et la rapidité d’intervention, au dispositif d’information par SMS mis en place informant les usagers tous les 15 jours de l’état de leur consommation et aussi par l’ensemble des mesures de suivi et de vérification préventives adoptées pour examiner l’état de marche des compteurs suite à chaque opération de relevé d’index et de l’ensemble du réseau.
Quelle différence de régulation entre les périmètres El Guerdane et Issen
Dans le cadre du suivi du projet El Guerdane, nous avons entamé une analyse pour comparer les performances du projet réalisé sous forme de partenariat public-privé avec ceux d’un périmètre géré par un établissement public. Ainsi, un benchmark a été réalisé pour comparer les performances du périmètre El Guerdane et du périmètre Issen géré par l’Office Régional de Mise en Valeur Agricole. Cette comparaison nous a permis d’obtenir des éclaircissements sur les améliorations apportées par ce nouveau mode de gouvernance des périmètres irrigués et aussi sur les impacts éventuels sur la population rurales concernée.
Il faut rappeler que les systèmes de culture et le niveau de technicité des agriculteurs des deux zones du projet se distinguent et ne sont pas au même niveau, l’approche adoptée compare des systèmes de cultures semblables et au niveau de performance très proche. Sur la base de ces critères nous n’avons considéré que les exploitations agrumicoles. La comparaison des indicateurs d’exploitation dans les deux zones irriguées (El Guerdane et Issen) nous montre que tous les indicateurs d’exploitation enregistrés au niveau d’El Guerdane dépassent largement ceux du périmètre Issen. Le tableau 1 indique un taux de mise en valeur au niveau du périmètre Issen plus faible (37%) par rapport au périmètre El Guerdane, alors que la dotation en eau qui lui est accordée par l’ORMVA est assez conséquente et doit permettre la satisfaction des besoins en eau du périmètre (13 000 ha). Elle assure environ 6000 m3/ha ce qui couvre largement les besoins des cultures à l’hectare (il y a lieu de préciser que cette situation est vraie quand l’état du réseau d’irrigation le permet).
Dans le périmètre Issen, on constate que les volumes facturés représentent 45% du volume lâché du barrage et assurent à peine 3000 m³/ha, ce qui démontre que les usagers ont plutôt recours au pompage malgré la faiblesse du tarif (0.60 Dh/m³) comparé au tarif appliqué au niveau d’El Guerdane (1,80 Dh/m³) (Tableau 2). Les causes de ce comportement ont été identifiées et indiquent que les usagers ne peuvent dépendre du réseau public à cause des longues périodes d’arrêt et un mauvais entretien des ouvrages.
Il faut signaler que, par exemple, l’âge des compteurs au niveau du périmètre El Guerdane ne dépasse pas en moyenne 4 ans et le délégataire est dans l’obligation de les changer en cas de détérioration. Alors qu’au niveau du périmètre Issen, ils sont sous la responsabilité de l’agriculteur et la plupart datent de plus de 15 ans. Les usagers ont recours au pompage privé pour assurer continuellement et durablement leurs besoins en eau d’irrigation. Les usagers au niveau du périmètre El Guerdane consomment, malgré le tarif élevé, leur dotation (4000 m³/ha) et font souvent des demandes pour disposer de volumes supplémentaires ou pour raccorder d’autres parcelles leur appartenant. La facturation au niveau d’El Guerdane atteint un taux moyen de 84% et un taux de recouvrement moyen de 98% et dépasse largement le périmètre Issen qui atteint respectivement un niveau de 45% et 80% (Tableau 2).
Les recettes de l’ORMVA permettent à peine de couvrir les dépenses de fonctionnement dont la part des dépenses du personnel atteint 68%. Le ratio du personnel par rapport à la superficie dans le périmètre Issen atteint le double de celui du périmètre El Guerdane (Tableau 3). Il y a lieu de signaler que le personnel de l’ORMVA n’est pas assigné à des tâches de gestion de l’eau contrairement au délégataire dont le personnel est assigné exclusivement à la tâche du service de distribution de l’eau, il est doté des moyens logistiques et de communication (télé relève, télégestion, parc auto nouveau, etc.), ce qui explique une meilleure qualité du service du partenaire privé.
Pour la réalisation de ses programmes d’investissement, l’ORMVA reçoit annuellement des subventions d’investissement, tandis que le délégataire assure son équilibre financier grâce aux recettes exclusives du service de l’eau. Il verse en outre annuellement à l’ORMVA un montant annuel représentant 1% de son chiffre d’affaire pour le financement des opérations de suivi et de contrôle du projet que mène l’autorité délégante. Cette comparaison dégage parfaitement la supériorité des performances du projet El Guerdane en termes de qualité du service public par rapport au périmètre d’Issen.
Nous constatons que les objectifs pour lesquels l’État a adopté le mode de partenariat public-privé ont été atteints, notamment la prise en charge par le partenaire privé d’une partie des risques d’investissement et d’exploitation pour assurer la pérennité de l’outil d’irrigation. Ainsi, la qualité du service de l’eau a été améliorée, la disponibilité de la ressource en eau est devenue meilleure et repose sur la demande, le coût du service de l’eau d’irrigation est pris en charge par les usagers, ce qui a permis d’éviter les transferts du budget de l’État (subventions annuelles) pour la maintenance complémentaire ou le besoin de réhabilitation.
En effet, nous constatons que le délégataire a pris en charge toutes les opérations de maintenance et d’entretien des ouvrages, ce qui assure une pérennité exemplaire et un meilleur service public de distribution de l’eau d’irrigation. Ces dispositions s’améliorent d’une campagne à une autre grâce aux contrôles exercés par l’autorité délégante et l’ORMVASM. Nous constatons également que les réclamations baissent avec le temps.
Quant à la situation du périmètre Issen, et en l’absence de statistiques fiables sur cet aspect, nous avons pu nous rendre compte de la situation lors des réalisations de nos enquêtes sur le terrain. Nous avons constaté des coupures d’eau prolongées à cause des pannes au niveau des bornes d’irrigation qui alimentent les exploitations. Nous avons constaté aussi qu’en cas de panne des ouvrages, c’est l’usager qui doit remplacer le matériel détérioré, contrairement au périmètre El Guerdane où le délégataire est tenu d’assurer le bon fonctionnement des ouvrages et de les remplacer en cas de détérioration selon les conditions du contrat d’abonnement.
Financièrement, nous constatons que l’ORMVA demeure largement tributaire des subventions de l’État pour réaliser ses grands projets d’investissement (76% du budget d’investissement). Les recettes de l’ORMVASM assurent à peine les frais d’exploitation et surtout les charges du personnel. Par contre, le projet El Guerdane s’autogère, se permet même une marge de 12%, et verse une partie de ses recettes au délégataire (1% du chiffre d’affaire pour le contrôle et le suivi du projet). D’un autre côté, le projet verse à la fin de son exercice comptable à la trésorerie de l’État 7% de son chiffre d’affaire relatif à la part de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) sur les ventes de l’eau aux usagers. Alors que l’ORMVA jusqu’à présent trouve des difficultés à facturer la TVA aux usagers. Cette réalité pose actuellement de sérieux problèmes relatifs à la fiscalité de l’ORMVA et prive l’État de recettes conséquentes.
Il est clair que le délégataire s’expose à de nombreux risques de différentes formes depuis le démarrage du projet. Au cours de sa première campagne d’irrigation (2009-2010) des inondations d’une rare force classée millénaire ont détérioré des ouvrages de tête du projet et ont causé l’arrêt du service durant 4 mois, le temps requis pour la réparation et le rétablissement du service. Les travaux ont couté environ 30 millions de Dirhams totalement financés par le délégataire et en un temps record.
Le délégataire a aussi été confronté au cours des deux campagnes d’irrigation (2013/2014 et 2014/2015) au problème de paiement par les usagers des redevances de l’eau. Cette situation a eu un effet très significatif sur la trésorerie de la société du projet puisque le montant avait atteint la somme de 14 millions de Dirhams ce qui représente 20% du chiffre d’affaire annuel moyen de la société. L’État a été contraint d’intervenir en tant que régulateur pour proposer des solutions acceptables à la fois par les usagers et la société. Cette dernière, consciente des problèmes auxquels agriculteurs sont confrontés pour commercialiser leur production, a tenue à échelonner le paiement durant deux campagnes successives. Toutefois certains usagers ont été dans l’incapacité de payer, ce qui a obligé la société à résilier leur contrat et à les remplacer par d’autres usagers qui figurent sur la liste d’attente.
Le déficit hydrique est un autre type de risque que ne devrait pas être négligé. En effet, une sécheresse sévère a causé un grand déficit en disponibilité en eau au niveau du barrage puisqu’au cours du trimestre estivale ou la demande était très forte, les volumes d’eau que pouvaient satisfaire le barrage représentaient à peine 13% de la demande. Cette situation a obligé les parties concernées à tenir des réunions pour prélever des dotations réservées à d’autres secteurs, rendant la situation du projet très critique et l’exposant à prendre une mesure extrême, celle de déclarer l’année de déficit. Cette situation devait aboutir à la prise de lourdes dispositions notamment l’augmentation du tarif de l’eau et la réduction de dotations d’eau des agriculteurs. L’un des impacts du projet, qui relève des aspects environnementaux auquel le projet est confronté, est le fait que les usagers du périmètre El Guerdane exploitent une nappe très profonde et qu’au niveau de certaines zones la surexploitation est allée très en profondeur.
De ce constat, il ressort que le périmètre El Guerdane connaît une forte redynamisation de son activité agricole grâce au projet de partenariat public-privé malgré les problèmes qui ont surgis au cours des deux dernières campagnes d’irrigation relevés de la crise que connaît le secteur de commercialisation des produits agricoles à l’échelle internationale. Cette crise ne s’est déclarée qu’après que l’Union Européenne ait décidé de soumettre les produits marocains à des nouvelles mesures en termes de qualité et de taxes pour l’accès aux marchés européens. En terme financier, nous constatons que le projet assure, par les recettes perçues auprès des usagers seulement, son équilibre financier et se permet une marge annuelle conséquente. Quant à la qualité du service, les usagers en témoignent et les indicateurs de suivi sont toujours en hausse d’une campagne à une autre. Cependant, il va falloir prendre d’autres mesures pour que les performances des usagers s’améliorent et que les risques diminuent.