CRITÈRES DE CHOIX DES ESPÈCES COMPAGNES DANS LES SYSTÈMES AGROFORESTIERS
Le choix des espèces d’ombrage est strictement lié aux avantages/désavantages pour le développement des cacaoyers, pour la diversification des sources de revenus et pour le maintien de la diversité biologique. Dans la majorité des manuscrits, plusieurs critères de classification sont souvent proposés (Beer, 1987; Ravinder et al., 2008 ; Bidzanga et al., 2009). Il faut distinguer les critères purement scientifiques et motivés par des chercheurs (Conseil Café Cacao, 2015), des critères des paysans. Dans les zones de production cacaoyère de la Côte d’Ivoire, nous avons retenus les critères les plus courants dans le choix des espèces.
Sur le plan scientifique, il s’agit essentiellement du statut écologique particulier de l’espèce, des propriétés allélophatiques, de l’origine des espèces et de la production d’une biomasse abondante. Les espèces endémiques ou celles rares ou menacées d’extinction de la flore ivoirienne selon la liste rouge préétablie par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), sont rangées dans la liste de celles ayant un statut écologique particulier (Adou Yao, 2011). Ces espèces natives, sont à privilégier aux yeux des scientifiques, par rapport à celles qui sont exotiques et introduites. Il s’agit entre autres de Terminalia ivorensis, Milicia exelsa, Nesogordonia papaverifera, Entandrophragma spp, Triplochiton scleroxylon, Khaya ivorensis, Lophira alata, Lovoa trichilioides qui figurent toutes sur la liste rouge de l’UICN (2016) pour la Côte d’Ivoire et qui sont couramment rencontrées dans les plantations (Vroh et al., 2015; Adou Yao et al., 2016). D’autres espèces notamment Cola spp qui par leurs racines, peuvent émettre à certaines périodes ou saisons, des substances empêchant le développement du cacaoyer, sont également à éliminer pour les scientifiques (Herzog et Bachman, 1992). Enfin, des chercheurs proposent des légumineuses telles que Albizia spp, Acacia mangium, ou Gliricidia sepium à croissance rapide qui en dehors d’enrichir le sol (Kouadio et al., 2011; Assiri et al., 2012), ont une biomasse importante pour la séquestration du carbone (Cissé, 2013).
Selon Tano (2012), l’idée de tenir compte du comportement des producteurs ivoiriens de cacao dans les systèmes de culture a émergé au début des années 1970. Mais, c’est à la fin de la décennie 1970 que les analyses et les propositions d’action se sont recentrées sur la prise en compte de la capacité des agriculteurs de prendre des décisions cohérentes en fonction d’intérêts et d’objectifs qui leur sont propres. Les critères purement paysans sont liés essentiellement aux usages locaux des espèces d’ombrage. Ces critères renferment les espèces qui présentent des intérêts, médicinal artisanal, traditionnel et/ou coutumier pour le paysan ou pour la gestion des conditions environnementales associées à la plantation cacaoyère (De Planhol, 1947; Adou Yao, 2005). Plusieurs auteurs dont Adou Yao et N’Guessan (2006), Assiri (2007, 2010), Assiri et al. (2009, 2012), Vroh et al., (2015); Adou Yao et al., (2016) citent parmi ces espèces, Entandrophragma angolense, Milicia excelsa, Nesogordonia papaverifera, Terminalia ivorensis, Triplochiton scleroxylon, Alstonia boonei, Anthocleista nobilis, Antiaris toxicaria, Ceiba pentandra, Petersianthus macrocarpa, Pycnanthus angolense, Ricinodendron heudelotii et Sterculia tragacantha.
Les critères paysans tiennent aussi compte des espèces pouvant jouer un rôle économique ou alimentaire. Elles participent ainsi à la diversification des produits ou des sources de revenu du paysan. Pour Tano, (2012), cette diversification des revenus, est une stratégie d’adaptation à la crise cacaoyère des années 1980. Aussi, les paysans reconnaissent le plus souvent, les espèces arborescentes telles que Elaeis guineensis, Cocos nucifera, Cola nitida, Musa paradisiaca, Spondias mombin, Psidium guajava, Mangifera indica, Bombax buonopozense, Dacryodes klaineana, Garcinia kola, Persea americana, Citrus sinensis, Citrus limon et Irvingia gabonensis comme pouvant constituer une source financière importante. Dans cette dernière liste, il est à noter que Cola nitida et Elaeis guineensis, bien que natives des forêts ivoiriennes (Aké-Assi, 2001-2002), sont souvent plantées par les paysans dans les plantations cacaoyères (CEPRASS, 2002).
Dans ce contexte d’opposition entre la recherche et les conceptions empiriques des paysans, il est évident que les recommandations de la recherche paraissent comme une barrière aux innovations de l’agriculteur plutôt que d’améliorer la connaissance locale. D’après Asare (2006), en Côte d’Ivoire les recommandations de recherches sont sorties avec une longue liste d’espèces d’arbres prétendues incompatibles et devraient, d’ailleurs, être éliminées des fermes de cacao puisqu’elles servent d’hôtes alternatives pour des parasites et des maladies. Les plus communes sur la liste sont Ceiba pentandra, Triplochiton scleroxylon, et Cola nitida. D’autres recherches dont celle de Babin (2009), attire l’attention sur le genre Cola qui regrouperait des espèces dont l’aire de répartition est similaire à celle de Sahlbergella singularis, une miride du cacaoyer. Ces colatiers (Cola spp) sont parfois considérés comme des plantes hôtes d’origine de cette espèce (Entwistle, 1972) au Ghana, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, en RDC, et au Nigeria. Un conflit d’intérêt peut naitre parce que ces espèces s’avèrent justement être parmi celles qui sont préférées des agriculteurs, du fait de leurs valeurs économiques et traditionnelles (Padi et al, 1996). Cet exemple montre qu’une importance particulière devrait être accordée au choix des espèces utilisées en agroforesterie.