ANALYSE DE RISQUE DE DISSÉMINATION DU BAYOUD DE ZONES CONTAMINÉES VERS DES ZONES INDEMNES
Si tant est que plusieurs plantations modernes du palmier dattier sont établies sur des terrains jamais cultivés et très probablement indemnes de l’agent du Bayoud, Il n’y a pas d’information suffisante pour confirmer ou infirmer cette hypothèse. En outre, la proximité géographique de la majorité des sites d’implantation de nouvelles exploitations phoenicicoles par rapport aux palmeraies traditionnelles hébergeant des foyers actifs du Bayoud (Figure 4), la monoculture basée sur des variétés à grande valeur marchande mais hautement sensibles (Mejhoul, Boufeggous, Bouskri), l’uniformité génétique, et l’intensification culturale sont autant de facteurs qui augmentent le risque d’attaque par le Bayoud. Devant cette situation, et en l’absence de moyens de traitements curatifs contre la maladie, l’application des mesures de prophylaxie et la détection précoce demeurent les dispositions principales à prendre pour prévenir une expansion épidémique de la maladie dans les zones encore indemnes.
La stratégie d’exclusion du pathogène doit se baser sur la connaissance de la situation actuelle de la maladie et l’évaluation des risques imposés par sa distribution géographique. Les palmeraies traditionnelles constituent la source principale d’inoculum pouvant contaminer les zones d’extensions du palmier dattier. Bien que nos données indiquent que la maladie soit présente dans toutes les palmeraies marocaines et que le mode de conduite, notamment l’irrigation gravitaire et la densité élevée des plantations, soit en faveur d’une distribution élargie de la maladie au sein de ces oasis, de plus amples investigations couvrant systématiquement ces zones sont nécessaires afin d’élargir notre visibilité sur la situation actuelle de la maladie et disposer d’un outil fiable d’évaluation du risque de dissémination de la maladie vers les nouveaux investissements.
STRATÉGIE PROPOSEE POUR UNE GESTION INTEGREE DU BAYOUD AU MAROC
La gestion du Bayoud au Maroc devra capitaliser sur les acquis de recherche pour renforcer les bases scientifiques et techniques de lutte. Spécifiquement, cette approche peut être articulée autour de 3 principaux axes:
- Détection et cartographie de la maladie dans les régions oasiennes;
- Délimitation des zones de palmeraies prioritaires en matière de réhabilitation;
- Déploiement de nouvelles variétés résistantes pour la réhabilitation des zones dévastées par le Bayoud.
Détection du Bayoud
La distribution de la maladie peut être appréciée de deux techniques différentes, l’analyse du végétal et du sol. L’analyse du végétal repose sur la détection de l’agent pathogène dans les tissus des plantes montrant les symptômes de la maladie, tandis que l’analyse du sol se base sur l’utilisation de techniques de la biologie moléculaire, notamment la PCR, pour détecter l’éventuelle présence du Foa dans le sol. Chacune des méthodes présente des avantages et des inconvénients selon le contexte d’utilisation, zones à palmiers symptomatiques versus zones à palmiers asymptomatiques.
En effet, l’analyse du végétal est la technique la plus fiable pour la confirmation de la présence du pathogène dans le sol. L’utilisation du palmier comme plante indicatrice permet de confirmer de manière irrévocable la présence du Foa dans le sol. De ce fait, il est plus judicieux de prôner l’analyse du végétal pour détecter le Bayoud dans les zones de réhabilitation ou la maladie est déjà répandue.
Toutefois la détection du Bayoud dans un palmier ne peut se faire qu’après l’observation des premiers symptômes. Or, dans le contexte de nouvelles plantations, attendre l’apparition des symptômes signifie que la maladie est déjà établie et peut occasionner des dégâts. Par conséquent, il faut adopter une action anticipatrice de surveillance pour prévenir son installation. En l’absence de symptômes sur des palmiers, la PCR reste la seule technique à même de dépister le Bayoud dans le sol. C’est pour cette raison que cette approche s’adapte le mieux au contexte des zones avec des palmiers d’apparence saine ou destinées à la création de nouvelles exploitations.
Une contrainte pouvant affecter la fiabilité de cette technique est la taille des échantillons à analyser. Des études antérieures ont montré que la distribution du pathogène causant le Bayoud dans les sols contaminés est très hétérogènes et la densité relative de l’inoculum par rapport aux autres micro-organismes de sol est très faible même dans les foyers très actifs de la maladie (Tantaoui, 1989). Ceci dit, l’utilisation de la PCR pour la détection du pathogène dans le sol présente un risque élevé d’erreur de première espèce, rejeter à tort l’existence du Bayoud dans un sol légèrement contaminé. Pour pallier ce problème et augmenter la sensibilité du test basé sur la PCR, il faut procéder à un échantillonnage profond avec éventuellement une stratification autour des palmiers et des trous de plantation.
Cartographie du Bayoud et délimitation des foyers actifs
Zones à palmiers symptomatiques
Les palmeraies concernées par la cartographie du Bayoud peuvent être divisées en quadrats à prospecter par des équipes bien formées pour le repérage et le géoréférencement par coordonnées GPS de pieds suspects atteints de la maladie. La confirmation de présence de la maladie passe par l’analyse d’échantillons de feuilles présentant des symptômes du Bayoud à prélever d’arbres présentant des symptômes typiques. L’établissement des cartes de répartition du Bayoud se fera pour chaque palmeraie sur la base des résultats des analyses et de l’introduction dans un système d’information géographique (SIG) des coordonnées GPS des pieds confirmés atteints de la maladie. Cette approche permettra de délimiter les zones prioritaires en matière de réhabilitation après extrapolation des résultats dans chaque quadrat sur la base de la densité des pieds attaqués.
Comme exemple, la vallée de Ziz héberge la palmeraie la plus proche et la plus menaçante pour la majorité des nouvelles plantations du palmier (Figure 5). Cette vallée s’étend sur une longueur d’environ 64 Km (distance estimée sur Google Earth). Elle peut être divisée en 32 quadrats de 2 km de longueur chacun. Le temps estimatif pour la prospection d’un quadrat par une équipe de 4 membres est de 4 jours, soit un volume de travail de 16 homme-jours/quadrat. Ainsi la prospection de l’ensemble de la vallée de Ziz requerra: 32 quadrats x 16 homme-jours = 512 homme-jours.
Zones non-cultivées ou à palmiers asymptomatiques
L’établissement de l’éventuelle présence de la maladie du Bayoud dans les zones d’extension doit être basé sur des analyses du sol par la PCR. Les échantillons du sol à analyser doivent être prélevés autour de palmiers, ou trous de plantation, choisis au hasard et dont les coordonnées GPS sont connues. Pour mieux cibler les parties à haut risque d’infection, les échantillons de sol doivent être prélevés aléatoirement sur un rayon de 1-1.5 m autour des palmiers (ou trous) échantillonnés eu égard au développement racinaire important et aux conditions d’humidité favorables à l’infection induits par l’irrigation localisée dans cette zone d’échantillonnage. En outre, tenant compte de la possible distribution du Foa dans le profil du sol (Tantaoui, 1989) et des conditions physico-chimiques et biologiques requises pour l’infection, les échantillons du sol à analyser sont à prélever de deux profondeurs, 0,20 cm et 20-40 cm. Ainsi, la présence/absence du Bayoud peut être illustrée sur des cartes en utilisant les résultats des analyses de sol et des coordonnées GPS des palmiers échantillonnés dans un SIG.
Le nombre d’échantillons à analyser est à déterminer sur la base de la précision souhaitée en utilisant la formule: n = (z/ME)2 x p(1-p) (http://epitools.ausvet.com.au/content.php?page=1Proportion) où : n est la taille de l’échantillon, z ou z-score est la valeur statistique pour une précision donnée (z = 2,58 pour une précision de 99 %) (https://measuringu.com/zcalcp/), ME est la marge d’erreur souhaitée, p est la proportion attendu (lorsque p est inconnu, on utilise p = 0,5).
Pour 20 000 ha de plantations à une densité de 100 pied/Ha, soit 2 000 000 de palmiers, la taille minimum de l’échantillon à analyser pour détecter la maladie avec une précision de 99 % et une marge d’erreur de 1 % est de 16588 échantillons du sol. Cet échantillon doit être stratifié sur la taille des différentes exploitations.
DÉPLOIEMENT DE NOUVELLES VARIÉTÉS RÉSISTANTES DANS LES ZONES A FORTE INFESTATION
Pour accompagner les efforts en matière de cartographie et délimitation spatiale de la maladie du Bayoud, et dans un souci de diversifier les sources de résistance génétique dans les régions identifiées comme foyers actifs, les zones fortement infestées devront être repeuplées avec des variétés résistantes. Le mix variétal permettra de réduire les populations de l’agent pathogène à des niveaux très bas, ce qui endiguera l’expansion du Bayoud à l’intérieur des palmeraies infestées et diminuera par conséquent le risque imminent de son introduction dans les zones indemnes.
CONCLUSION
Gangrénée par l’occurrence du Bayoud, la somptueuse palmeraie traditionnelle au Maroc est aux abois. Sévissant depuis plus d’un siècle, cette maladie vasculaire du palmier dattier entrave l’intensification de la phoeniciculture dans les oasis marocaines. Qui plus est, la maladie impose un risque important aux plantations du palmier dattier établies dans des zones indemnes mais avoisinantes aux palmeraies traditionnelles fortement infestées. La protection de ces investissements requiert une approche intégrée qui prend en considération la distribution géographique de la maladie comme indicateur de niveau du risque, le déploiement de nouvelles variétés résistantes comme mesure de limitation et de confinement des populations de l’agent pathogène, et l’adoption de techniques de détection précoce pour éventuelle intervention opportune en cas d’apparition de nouveaux foyers.
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