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Analyse technico-économique de la cuisson solaire directe au Maroc

Analyse technico-économique et évaluation de l’impact environnemental de la cuisson solaire directe au Maroc

N. MBODJI1, A. HAJJI1

1  Unité de Recherche du Génie des Procédés et Environnement, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. BP 6202, Rabat, Maroc

Résumé

L’objectif de cet article est de présenter une méthodologie de dimensionnement des cuiseurs solaires directs, faire l’analyse économique et évaluer l’impact environnemental de la cuisson solaire directe au Maroc. Pour satisfaire les besoins énergétiques d’un ménage de 5 personnes consommant 3 kg de repas à midi pour une durée de cuisson de 2,5 heures, un concentrateur parabolique de 1,4 m de diamètre (surface utile de 1,6 m²) est nécessaire. A l’échelle du ménage, l’analyse financière a révélé que le temps de retour d’un cuiseur solaire direct par rapport au butane varie de 4 à 10 années selon le taux de la subvention publique. Par rapport au bois de feu, le temps de retour varie de 0,6 à 10 années selon le rendement du four et le prix du bois. A l’échelle nationale, pour subventionner à hauteur de 50% les cuiseurs solaires directs avec un taux de pénétration de 50% en milieu rural, l’État doit consentir un budget de 1,61 milliard de dirhams (1$US=10 Dirhams). Cet investissement permettrait de réaliser des économies annuelles sur la subvention du butane d’environ 185 millions de dirhams, ce qui correspond à un temps de retour de 8,7 années et un bénéfice de 1,45 milliard de dirhams sur la durée de vie des cuiseurs estimée à 15 ans. Sur le plan écologique, la surface de forêt épargnée serait d’environ 10.000 ha/an et la quantité de CO2 non émise serait de 1,08 Mt/an.

Mots clés: Cuisson solaire directe, évaluation économique, impact environnemental, subvention, butane, bois de feu, Maroc

Article complet et PDF sur Revue Marocaine des Sciences Agronomiques et Vétérinaires

INTRODUCTION

Le bois de feu et le butane sont les principales sources d’énergie utilisées pour la cuisson par les ménages dans de nombreux pays en développement, notamment au Maroc. En raison de sa facture élevée, ces nations ont de plus en plus du mal à maintenir la subvention publique des énergies fossiles.

Dans le monde, près de 3 milliards de personnes n’ont que le bois de feu pour cuire leurs aliments, alors que la quasi-totalité d’entre eux vivent dans les régions ensoleillées. L’organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que chaque année 1,6 millions de personnes meurent de maladies respiratoires provoquées par la pollution de l’air intérieur due à l’utilisation de combustibles solides pour la cuisson (ASDER, 2012). Six cents kilogrammes de bois sont nécessaires par personne et par année, ce qui est équivalent à environ 4 tonnes par famille. Sur un carré de 4 m de côté, le soleil donne plus d’énergie en un an que ces 4 tonnes de bois (ASDER, 2012). Un cuiseur solaire domestique sauve 100 arbres en 15 ans de durée de vie, évite le dégagement de 1,5 tonne de dioxyde de carbone (CO2), donne plus de temps aux femmes et aux enfants qui dépensent 15 heures par semaine pour la corvée des bois (ASDER, 2012) et permet également d’augmenter le pouvoir d’achat. En effet, le budget alloué à la cuisson en bois de feu des ménages à faible revenu à la campagne absorbe une part importante du revenu familial, entre 10-30% selon le pays (Schwarzer, 2004). En ville, le prix de l’énergie de cuisson représente un tiers du revenu familial (ASDER, 2012).

Au Maroc, selon l’agence internationale de l’énergie (IEA) en 2014, l’approvisionnement extérieur des besoins en énergie représente 91%, avec une facture annuelle évaluée entre 90 à 100 milliards de dirham marocain (MMDh). Le Maroc place les énergies renouvelables et particulièrement l’énergie solaire au rang des priorités. Avec un rayonnement solaire incident moyen compris entre 4,5 et 7,2 kWh par jour et par m2, le Maroc a pour objectif d’arriver à une puissance électrique installée en énergies renouvelables dans le mix énergétique de 42% d’ici 2020, dont 14% en énergie solaire, et de 52% d’ici l’horizon 2030. La consommation annuelle du gaz de pétrole liquéfié (GPL) est estimée à 2,4 mégatonnes (Mt), dont le butane et le propane représentent respectivement 90% et 10% (Atouk, 2013). Le butane est utilisé quasi en totalité dans le secteur résidentiel, mais son prix très faible fait que son usage se répand progressivement à d’autres secteurs plus inattendus, comme le pompage de l’eau d’irrigation et le chauffage des serres (IEA, 2014). La subvention publique du butane par l’État coûte actuellement aux alentours de 15 MMDh (IEA, 2014). L’évolution du prix du butane sur le marché international affecte considérablement la part de couverture de subvention de l’État qui a connu une montée vertigineuse entre les années 2009 et 2012 passant de 91 à 224% (Ministère de l’économie, 2014). Le cours moyen de 4 000 Dh la tonne en 2015 représente son plus bas niveau depuis près de 10 ans (Ministère de l’économie, 2015). Toutefois, la contribution de l’État est de 110% et demeure supérieure au prix supporté par le consommateur. La consommation annuelle du bois de feu est évaluée à 11,3 Mt, dont 89% en milieu rural et 11% en milieu urbain (CDER, 2008; Lavieeco, 2012; Atouk, 2013). La moitié du bois de feu consommé (53% ou 6 Mt) provient de la forêt alors que la capacité de production est de 3,25 Mt (Atouk, 2013). Le reste est fourni par les vergers fruitiers (19% ou 2,15 Mt) et les résidus agricoles (28% ou 3,15 Mt) (Atouk, 2013). Les formations forestières boisées (non compris l’alfa) couvrent une superficie d’environ 5,7 millions d’hectares, et sont constituées à 66% d’essences feuillues, 18% d’essences résineuses, 9% de plantations artificielles et 7% de mattorals (Ministère chargé des eaux et forêts, 2000). La déforestation est estimée entre 30 000 à 50 000 ha par année en raison de la sur-consommation de bois de feu et son renouvellement (reboisement) est insuffisant 8% (Atouk, 2013). La collecte s’effectue en moyenne 3 à 4 fois par semaine et dure de 3 à 8 h suivant la disponibilité en bois (CDER, 2008). Le budget énergétique représente 20% des dépenses des ménages liées au logement selon Lahlou (2011) et 24,2% selon Lahlimi (2016).

Toutefois, l’adoption en masse des énergies renouvelables dans le mix énergétique au Maroc n’a pas eu d’impact sur l’utilisation du gaz et du bois de feu, vu la faible part de la cuisson électrique au Maroc. Dans ce sens, une attention particulière est portée sur l’utilisation de l’énergie solaire, en particulier à des fins de cuisson. Son utilisation pourrait être une alternative très intéressante et une solution viable de nature à augmenter le pouvoir d’achat des ménages, à diminuer considérablement l’émission de dioxyde de carbone, la déforestation, et l’érosion des sols, à baisser les mortalités causées par les maladies respiratoires et à participer à la création d’emplois.

La cuisson solaire permet de cuire les aliments grâce à l’énergie solaire ou d’assurer des procédés tels que la pasteurisation et la stérilisation. Les cuiseurs capturent les rayons solaires au moyen de surfaces brillantes qui réfléchissent les rayons du soleil et les concentrent sur des récepteurs qui transfèrent la chaleur aux aliments. Les cuiseurs solaires peuvent être internes ou externes avec des tailles différentes: petite (3-4 personnes), moyenne (5 à 2000 personnes) ou grande (2000 à 50000 personnes). Ils peuvent être moins chers (55 à 270 Dh), moyennement chers (960 à 4325 Dh) ou coûteux (5400 à 10800 Dh) l’unité (Götz, 2005; Nandwani, 2005; Loos, 2012). La cuisson peut être classifiée en 4 catégories selon les plages de températures requises: cuisson (85 à 90 °C), ébullition (100 à 130 °C), friture (200 à 250 °C) et grillade (plus de 300 °C) (Mbodji et Hajji, 2016). Cependant, la classification la plus commune distingue les cuiseurs directs et les cuiseurs indirects (Mbodji et Hajji, 2016). Dans les cuiseurs directs, l’énergie solaire est transférée directement du collecteur vers l’ustensile de cuisson qui contient les aliments et leur rendement varie de 2 à 55% (Yettou, 2015; Mbodji et Hajji, 2016). Dans les cuiseurs indirects, l’ustensile de cuisson est physiquement dissocié du collecteur, et ces systèmes utilisent des capteurs plans ou des capteurs à tubes sous vide ou un récepteur qui transfère l’énergie captée à un fluide intermédiaire qui va chauffer l’ustensile de cuisson et possèdent un rendement variant de 20% à 73% (Mawire et al., 2008; Prasanna, 2011). Les deux modèles peuvent intégrer ou non un support de stockage qui sont sous forme de chaleur sensible ou de chaleur latente ou thermochimique ou parfois une combinaison des différents modes (Muthusivagami et al., 2010).

Plusieurs cuiseurs solaires de type boîte ont été conçus, développés et évalués économiquement dans le contexte indien. Kandpal et Mathur (1986) ont constaté que le prix des carburants classiques utilisés pour la cuisson joue un rôle décisif dans leur utilisation. La cause principale de la mauvaise capacité de leur adaptation en milieu rural est l’utilisation des ressources disponibles localement et gratuites (bois de feu, bouse de vache, déchets agricoles etc.). Nahar et al., (1994) ont construit un cuiseur destiné à la cuisson des aliments pour animaux. Le coût de fabrication du cuiseur est d’environ 200 Dh, et le temps de retour est de 0,45 à 1,36 années, selon le combustible qu’il remplace. Panwar et al., (2013) ont développé un cuiseur solaire destiné à l’alimentation animale dans les zones rurales dans l’état de Rajasthan et contribue ainsi à l’amélioration du niveau de vie des agriculteurs ruraux et aussi à la réduction des émissions de CO2. Le cuiseur peut remplacer la biomasse à 100% et économiser environ 424,8 kg de CO2 par année et 3,6 Dh par jour. Al-Saad et Jubran (1991) ont développé en Jordanie un cuiseur à faible coût en utilisant un matériau disponible localement (argile). Le prix du cuiseur est réduit de 56% passant de 530 Dh à 235 Dh. Beaumont et al., (1997) ont rapporté qu’un cuiseur solaire capable de fournir de la nourriture à 10-12 personnes par temps clair avec des repas autour de midi et au crépuscule a été conçu et construit en Tanzanie avec un coût d’environ 100 Dh.

De nombreuses études scientifiques ont montré que le taux de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 31% au cours des 20 dernières décennies (Sims, 2004). Depuis 1800, 20 Gt de CO2 sont rejetés dans l’environnement, du seul fait de la déforestation, engendrant ainsi la concentration du gaz de méthane dans l’atmosphère, responsable de la destruction de la couche d’ozone. La température moyenne de la surface du globe a augmenté de 0,4-0,8 °C au siècle dernier, au-dessus de la ligne de base de 14 °C à cause des rejets de gaz (Sims, 2004). La promotion de technologies propres avec les énergies renouvelables est devenue une nécessité afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Nandwani (1996) a mené une étude comparative au Costa Rica et dans le monde sur les avantages écologiques des cuiseurs solaires par rapport aux cuiseurs conventionnels en bois et électrique. Il a conclu, en considérant un usage du dispositif de 6-8 mois par an, que le temps de retour d’un cuiseur solaire de type boîte est d’environ 12-14 mois. L’utilisation des cuiseurs solaires peut épargner environ 16,8 millions de tonnes de bois chaque année et éviter l’émission de 38,4 millions de tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère. Dans le même sens, Escobar (1996), visant à réduire la consommation de bois comme source d’énergie, a proposé 3 modèles de cuiseurs solaires de type boîte à faible coût, conçus et développés à l’école de physique au Salvador. Selon les statistiques nationales du Salvador, cette source d’énergie représente 53% de l’énergie primaire consommée dans le pays. Pour cuisiner le déjeuner et le dîner, une famille typique dépensera seulement 0,18 Dh pour le cuiseur solaire, 8,3 Dh pour le bois de feu, et 2,0 Dh pour le cuiseur électrique. Hernandez-Luna et Huelsz (2008) ont présenté l’optimisation de la conception optogéométriques d’un cuiseur solaire de type boîte pour la zone intertropicale (Mexique). Ils ont estimé que le cuiseur peut sauver une quantité potentielle de bois 850 kg par an. Alozie et al., (2010) ont indiqué que le potentiel annuel d’économie de bois est de 346 millions de tonnes. Le marché total de cuiseurs solaires à usage domestique, à petite échelle et l’utilisation à grande échelle, se traduira par plus de 921 MMDh d’économies. Panwar et al., (2011) ont indiqué que sur la période 1971-1995, les émissions de CO2 ont augmenté à un taux moyen de 1,7% par an. Les scénarios prévoient un taux de croissance plus rapide des émissions de CO2 jusqu’à 2,2% par an, pour la période allant jusqu’à 2020. Andrianaivo et Ramasiarinoro (2014) ont comparé le cuiseur solaire de type parabolique SK14 par rapport à deux alternatives: le bois de feu et le charbon de bois à Madagascar. Les résultats de l’étude ont montré que le cuiseur solaire est moins utilisable par temps nuageux ou pluvieux et l’impact environnemental est réduit d’environ de moitié. Par contre, une source d’appoint est obligatoire pour cuire les repas à ces moments. Garba et Danmallam (2014) ont étudié un cuiseur solaire passif de type boîte dans le contexte nigérian pour une application durable dans les pays en développement dont le temps de retour est estimé entre 4 et 12 mois selon le nombre d’utilisations. L’utilisation d’un cuiseur solaire assurant 100% des besoins journaliers permet d’économiser annuellement dans le monde 1281 Mt de bois et 346 Mt de CO2. Par ailleurs, des études sont menées durant plusieurs années sur différents modèles de cuiseurs solaires dans les conditions climatiques de l’Inde avec une évaluation du potentiel d’émission de CO2 par Nahar (1998, 2009) et ont estimé que le temps de retour varie entre 1,58 et 4,89 années suivant la source d’énergie primaire à remplacer. Pour les différents cuiseurs expérimentés, l’énergie économisée est estimée à 5 175 MJ par an.

Les ressources énergétiques renouvelables joueront un rôle important dans l’avenir de la planète, le développement de systèmes à cuisson solaire permettra de répondre aux besoins en matière d’énergie de cuisson et de résoudre certains problèmes liés aux cuissons traditionnelles, notamment dans les pays en développement (Panwar et al., 2011).

L’objectif global de cette étude est de présenter une méthodologie de dimensionnement des cuiseurs solaires directs, faire l’analyse économique et évaluer l’impact environnemental de la cuisson solaire directe. La première partie décrit la méthodologie de dimensionnement des cuiseurs solaires directs, les grandeurs de performance utilisées dans l’analyse économique et l’évaluation de l’impact environnemental. La deuxième partie présente les différents résultats obtenus.

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