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Changements climatiques au Maroc: quels systèmes de culture et quelles biotechnologies pour s’y adapter ?

Changements climatiques au Maroc: quels systèmes de culture et quelles biotechnologies pour s’y adapter ?

AIT HOUSSA1, S. DRISSI1, A. ASEHRAOU2, A. ASFERS1, L. OUBAKI1, H. CHRAIBI1

1 Centre de Formation et de Recherches, Louata, Providence Verte, Maroc
2 Faculté des sciences, Université Mohammed Premier, Oujda, Maroc

Résumé

On présente une étude prospective concernant l’impact probable des changements climatiques sur les systèmes de culture et d’élevage au Maroc. D’après le constat de terrain et dans les limites de ce que signifie ce genre d’étude, l’effet direct du réchauffement climatique peut conduire à terme (et c’est déjà le cas dans certaines contrées) à la nécessité d’une redistribution variétale pour des espèces exigeantes en froid comme les rosacées. Des variétés de pomme, telle que le groupe des Golden, risquent de disparaître des montagnes pour laisser la place à d’autres moins exigeantes comme le groupe des Gala. Le bananier et l’avocatier risquent de migrer vers les régions un peu plus continentales, l’olivier et les agrumes un peu plus vers le pied de la montagne. Le réchauffement climatique peut aussi obliger à faire évoluer les systèmes d’élevage et de culture en faisant déplacer la frontière de la sécheresse un peu plus vers le centre et le nord du pays; l’aride serait peut-être envahi par la désertification, le semi-aride passerait en partie à l’étage aride et le Bour dit favorable en partie dans le semi-aride. Comme corollaire à ce changement, il faudrait s’attendre à une perte de potentiel de ressources en eau qui obligerait probablement à abandonner les cultures pour le grain dans l’étage aride où il n’y aurait plus suffisamment de pluie, au profit de l’élevage, et à revoir les systèmes de culture en introduisant un peu plus d’aridoculture et de variétés plus précoces dans les autres étages d’agriculture pluviale. Dans les grands périmètres irrigués, par manque d’eau l’on serait dans l’obligation de soustraire de ces périmètres toute culture grande consommatrice d’eau telles que le riz et la canne à sucre et, pour des impératifs d’une meilleure valorisation de ce qui va rester, à ne garder que des cultures à forte efficience et fortement rémunératrices. La sécheresse excessive prévisible par certains modèles récents suggère aussi un besoin plus important en barrages dans les plus brefs délais possibles afin de profiter des années très pluvieuses à apports d’eau exceptionnels. Mais, il faudrait aussi optimiser la gestion de cette eau en évoluant rapidement vers la généralisation de l’irrigation localisée et en transférant l’excédent d’eau vers les autres régions déficitaires. Quoi que cela puisse paraître encore lointain, l’eau de mer en tant que ressource inépuisable pour l’irrigation est la vraie solution à terme à condition de lui trouver le déclic technologique pour un usage en grande agriculture à l’instar de l’eau conventionnelle ou de découvrir des variétés permettant de l’utiliser en l’état. Au Maroc, il faudrait penser au dessalage au moyen d’énergies renouvelables (solaire, éolien) et à l’utilisation de cette eau dans une première phase, dans les zones côtières où climat, qualité des terres, soleil et vent sont très favorables à ces projets. Pour anticiper l’avenir au plan sécurité alimentaire du pays, il faudrait envisager l’emploi de ressources facilement mobilisables pour combler le déficit structurel en amidon de blé et en protéines animales. L’étude suggère le recours à d’autres sources d’amidon que le Maroc peut produire aisément comme la pomme de terre, et pour le déficit en protéines, une plus forte consommation de ressources halieutiques encore largement sous utilisées par la population.

Mots-clés: Changements climatiques, système de culture, systèmes d’élevage, biotechnologies, Maroc.

INTRODUCTION

Le climat du Maroc est de type méditerranéen à dominante aride. Il est caractérisé par deux saisons plus ou moins d’égale durée, en perpétuelle alternance. La première, humide et un peu froide, s’étalant de novembre à avril et la seconde sèche et chaude, allant de mai à octobre. Au plan géographique, ce climat peut également être caractérisé par deux axes d’aridité progressive, de pluviosité dégressive en fonction de la latitude. Un axe majeur de plus de 1600 km reliant Tanger à Dakhla et un axe mineur d’un peu plus de 400-500 km, pouvant en première approximation, être représenté par la ligne Rabat – Oriental ou Rabat-Bouarfa. Du fait du rôle vital de l’eau en agriculture, à ces axes est associée une notion corrélative de degré de vulnérabilité des systèmes d’élevage et de culture et, depuis l’avènement des nouveaux changements climatiques, une notion additionnelle de risque de basculer dans le «pire», fonction entre autres mais surtout, de l’aggravation de la sécheresse à laquelle on s’attend dans chaque étage d’aridité. Étant donné les conditions de sécheresse déjà très graves héritées du passé, indépendamment de tout changement nouveau, le «pire» est ici défini comme une forme de bouleversement climatique-surprise ou s’installant à terme, qui déstabiliserait totalement le système d’élevage et agricole en place et/ou qui en affecterait irréversiblement la durabilité. Pour ne pas rester vague, disons par exemple l’apparition d’épisodes de sécheresse de durée et d’intensité jamais vue dans l’histoire récente du Maroc, plus grave que celle des années 80. Un scénario qui aura comme conséquences une perte de potentiel drastique et irréversible de ressources tributaires de la pluie, par rapport à un potentiel de référence. Par exemple le volume d’eau régulé par les barrages eu égard à un volume de référence conventionnel égal à 15 milliards de m3 quand le Maroc aura terminé son programme de construction des barrages (Bouaicha et Benabdelfadel, 2010), ou encore le volume en céréales produit par rapport à un volume de référence égal à 100 millions de qx quand il aura mis à niveau l’ensemble de son secteur céréalier (Aït Houssa et al., 2016).

Un changement climatique sous-entend la mise en évidence statistique, d’une différence significative de la variation observée ΔV sur la grandeur G utilisée pour caractériser ce climat (température, pluie, grêle, gelée,…), sous l’effet d’un facteur (ici le réchauffement climatique) qui la fait passer de la valeur G0 à la valeur G. En climat méditerranéen, la mise en évidence de cette variabilité pour la pluie n’est malheureusement pas chose aisée, du fait de la variabilité intrinsèque très importante ΔV0 qui caractérise déjà cette grandeur, indépendamment de tout changement climatique nouveau (Aït Houssa et Benbella, 1981; Aït Houssa et al., 2014). C’est un inconvénient d’importance majeure et il n’est pas le seul. Il faudrait aussi disposer de bases de données suffisantes et représentatives d’un réel cycle climatique très long pour opérer les calculs (Aït Houssa et al., 2016).

En dépit de la marge d’incertitude qu’elles comportent, les études effectuées sur le Maroc restent dans l’ensemble cohérentes avec les conclusions obtenues dans d’autres régions du monde par divers groupes de travail, notamment le GIEC/IPCC (1995, 1997). Selon les modèles les plus récents, à l’horizon 2050, le réchauffement climatique en cours, conduirait selon toute vraisemblance, à un accroissement de température entre 2,3°C et 2,9°C, à une baisse des précipitations entre 13% et 30%, avec comme conséquences évidentes une baisse de la ressource en eau globale entre 16 et 22 % et des rendements des cultures (Senoussi et al., 1999; Sinan et al., 2009; FAO, 2014).

Dans cet article, on rappelle le degré de vulnérabilité spécifique à chaque étage climatique au Maroc (1), les risques potentiels additionnels que les changements en cours présentent pour les systèmes d’élevage et de culture dans chaque étage (2), puis l’éventail de solutions s’il y en a, que l’agronomie et la biotechnologie peuvent leur apporter (3).

Pour le besoin de l’étude, on subdivisera le Maroc, comme le proposent les agronomes de terrain, en sept zones qui sont l’étage climatique désertique avec ses oasis (isohyète P <100 mm), l’étage aride (200<P<300 mm/an), le semi-aride (350-450 mm/an), le Bour favorable (P> 450 mm), les zones de montagne, les grands périmètres irrigués et enfin la ceinture littorale.

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