DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Pays peu industrialisé et n’exploitant pas d’importantes ressources fossiles produisant du gaz à effet de serre, le Maroc a une responsabilité très limitée dans le phénomène du changement climatique. Il est par contre l’un des pays qui vont en subir les effets et en payer le prix à terme. En attendant la première échéance de 2030, pour évaluer l’écart entre le résultat des modèles prévisionnels et la réalité sur le terrain, par mesure de précaution, le Maroc ne peut rester indifférent et sous préparé à l’impact d’un tel changement, notamment sur l’agriculture et la sécurité alimentaire, quoi que le pays soit déjà quelque peu habitué à gérer des crises climatiques récurrentes. Mais il y a une différence entre la gestion de crises passagères et celles qui risquent de s’installer de façon durable. C’est peut-être un bouleversement réel qui se met en place auquel il faut se préparer, le pays étant déjà affecté par l’aridité héritée de son climat naturel de type méditerranéen.
Dans l’hypothèse d’un réchauffement irréversible, tel que prévu par les modèles, l’important est d’anticiper quel nouvel environnement en naîtra et quelles interactions probables de celui-ci avec les systèmes de culture et d’élevage.
Quoi que d’intérêt économique limité pour le moment, dans certaines zones côtières de culture hors saison, le réchauffement climatique serait plutôt a priori un avantage. En améliorant les minima de 1-2 °C, il améliore les conditions de production en hiver (semis précoce, fécondation, absorption des minéraux, vitesse de croissance, récolte précoce), mais réduit aussi la consommation du fuel en cas de serre chauffées. Le réchauffement peut aussi améliorer le cycle des cultures en hâtant la somme des températures semis-floraison et faire profiter celle-ci des pluies hivernales. Vu sous cet angle d’amélioration de somme de températures, le réchauffement climatique, du moins tant qu’il reste dans des limites raisonnables, peut être favorable aux cultures de blé alternatif dit d’automne au Maroc, et pour toute culture n’ayant pas un besoin en froid particulier (orges, légumineuses, colza, luzerne,…), un hiver doux est un avantage significatif pour mieux valoriser la pluie hivernale et échapper en partie au Chergui de fin de cycle qui menace constamment les cultures, particulièrement dans les zones d’agriculture pluviale du sud et du centre. Cet effet favorable apparent de la température sur le cycle des céréales, n’est qu’une facette du réchauffement climatique. D’autres problèmes sous-jacents qui peuvent contrebalancer cet avantage sont à prendre en compte, notamment l’effet de la température sur l’évapotranspiration qui peut augmenter la consommation d’eau et hâter la sécheresse. Il faudrait donc une approche en termes d’interaction pour avoir une visibilité sur la question.
On a constaté que de très fortes chaleurs d’été peuvent constituer un traitement thermique de nombreux ravageurs comme le pou de Californie sur agrumes (Aït Houssa, 2003). A plus de 48-50°C, sur arbres bien exposés au soleil et bien aérés, la femelle ne reste plus fixée sur le fruit. Elle tombe par terre toute seule sans avoir besoin d’être traitée chimiquement au coccicide. En revanche, la dynamique de population des ravageurs et des maladies cryptogamiques est fortement influencée par le régime des températures. C’est le cas du puceron qui peut raccourcir son cycle ou encore quitter tôt l’hôte primaire pour l’hôte secondaire selon que le cycle est monoécique ou dioécique. C’est aussi le cas de la cératite et de l’acarien qui, au lieu de s’arrêter, ils continuent à pulluler de façon accrue et prolongée au-delà des périodes habituelles. De même, le carpocapse sur pommier et la petite mineuse sur pêcher peuvent développer des générations supplémentaires par suite du réchauffement climatique (Asfers, 2016).
Des maladies comme les septorioses, les rouilles sur blé, l’helminthosporiose sur maïs, ne se manifestent en principe qu’au début du printemps. Avec des hivers doux, il peut y avoir une apparition précoce avec nécessité de stratégie plus chère à 2-3 traitements fongiques au lieu de 1 à 2 traitements réalisés habituellement.
Par son effet direct sur la température et par ses effets indirects en réduisant le régime et le volume des précipitations, le volume en eau d’irrigation, d’importantes retombées sur les systèmes de culture et d’élevage sont attendues au Maroc. Comme effet direct du réchauffement climatique, il faudrait s’attendre à une nouvelle redistribution des cultures en fonction des nouvelles températures minimales, à une disparition corrélative de celles trop exigeantes en froid et, peut-être aussi, à une disparition des zones très chaudes, de celles craignant les fortes chaleurs et le Chergui. Le bananier, l’avocatier, le fraisier,…limités aux zones côtières à climat doux verront probablement leur aire de culture s’étendre aux régions plus continentales, les agrumes qui craignent le froid (θ min < -1-2°C), dont l’aire de culture est limitée aux plaines gagneraient le pied de la montagne, l’olivier dont l’aire de culture est limitée par l’isotherme -10°C, progresserait un peu plus en altitude et le cerisier passerait en plus haute montagne. Pour les variétés, des pommiers de qualité ayant une exigence en froid de plus de 700 h, comme Golden smothée, Galaval, Galaxy, Brookfield, Fuji,…risquent de ne plus être cultivées avec succès à Imouzzer, Azrou et Midelt, qui sont leur biotope naturel. Il faudrait leur trouver du terrain à une altitude encore plus haute, sinon ils risqueront de disparaître et d’être remplacés par d’autres de moindre exigence en froid comme Gala, Ozark gold, qui se conservant peu, aujourd’hui cultivés dans les plateaux (Meknès, Fès). De même que des variétés de plaine qui sont de moins bonnes qualités telles qu’Anna, Dorset Golden, Ein Shemer, Lioraca, auront un espace de culture plus étendu en dehors des plaines. Il faudrait aussi intégrer dans le raisonnement le risque de disparition et/ou de redistribution des cultures à cause de l’élévation des maximas. Dans le Souss en particulier, où la température estivale peut dépasser 48-50°C, des variétés d’agrumes à production externe à la frondaison comme Marisol et Nova, sont très altérées par les coups de soleil. Les dégâts causés à ces deux variétés peuvent atteindre 5-10 % en cas d’été particulièrement ensoleillé. Pour le maïs, de fortes chaleurs aggravées par de grands Chergui dans cette région, obligeraient soit de repousser la date de semis, soit d’utiliser des hybrides à cycle court ou les deux choix à la fois, afin d’échapper aux graves problèmes de fécondation déjà constatés de temps à autre sur cette culture en pleine été.
Il y a un phénomène climatique qui interfère de façon grave avec les cultures et dont les études sur le réchauffement climatique au Maroc parlent peu, c’est le Chergui. D’habitude, ce vent d’Est très chaud apparaît en fin de printemps/été. Mais depuis peu, il commence à se manifester de façon inquiétante à des moments de l’année inhabituels, en automne et en fin d’hiver dès février. Par ses apports advectifs de chaleur, ce vent peut provoquer des dégâts irréparables sur les céréales quand il intervient au stade du palier hydrique du grain, en causant l’échaudage. C’est le cas de la campagne 1994/1995 où d’importantes vagues de Chergui se sont abattues sur les plaines céréalières du pays (Ait Houssa, 1995). La campagne qui avait évolué sous d’excellentes conditions climatiques jusqu’à fin février s’est alors terminée sur un grain ratatiné, d’un poids spécifique très faible (Ps< 75), impossible à agréer comme semence certifiée et sous payé même à l’écrasement au niveau des minoteries. Le Chergui peut aussi causer des chutes graves de fruits sur agrumes en été et changer complètement la configuration du profil variétal proposé à la commercialisation, selon l’importance des variétés touchées. Là aussi le recours à des porte-greffes donnant au fruit une avance de croissance avant l’arrivée du Chergui permet d’échapper à ce phénomène de chute exagéré dite de juin. Le Macrophylla en est l’exemple type, quoique produisant une qualité plutôt moyenne.
Dans un pays déjà touché par l’aridité naturelle, indépendamment de tout changement climatique nouveau, la sécheresse qu’il risque de provoquer, plus que le réchauffement lui-même, reste le phénomène le plus redoutable pour l’agriculture. Selon la vulnérabilité des zones, l’impact serait probablement un peu différent et en partie aussi les solutions. Comme scénario global probable, il faudrait s’attendre à une progression logique du front d’aridité vers le nord. Avec des baisses des précipitations comme prévu de 14 % d’ici à 2030, et de 13 à 30 % d’ici à 2050, une partie de l’étage aride comme le grand Haouz, risquerait d’être envahi par la désertification à l’image du Souss, le semi-aride deviendrait un peu plus aride et le Bour favorable partiellement semi-aride. Sans oublier la baisse significative de potentiel en eau des bassins versants destinée à l’irrigation.
Plusieurs solutions s’offrent au Maroc face à la sécheresse conséquente au changement climatique. Elles doivent être engagées simultanément et aucune d’elles ne doit exclure les autres. Il y a la solution de l’adaptation des systèmes de culture et d’élevage via la biotechnologie (1), l’augmentation de l’offre en eau pour l’irrigation (2), et la baisse de la demande (3).
La biotechnologie et les technologies agricoles d’une manière générale sont des outils puissants pour s’accommoder des effets négatifs de la sécheresse et d’autres problèmes collatéraux comme les inondations, les vents chauds comme le Chergui, les vents violents ou la grêle. Dans les parcours des régions désertiques ou semi-désertique, des espèces végétales telles que les Atriplex ou d’autres plantes nouvelles bien adaptées à la sécheresse, peuvent être introduites pour réhabiliter et améliorer la productivité des parcours. Au plan agronomique et de gestion, il y a aujourd’hui moyen d’en assurer la durabilité par la mise en défens et par une exploitation concertée pour éviter l’effet de surcharge responsable de la dégradation de ces espaces.
Pour faire face à la sécheresse, l’idéal pour l’agronome de terrain serait évidemment de disposer de variétés ultra-précoces de céréales d’un comportement proche des cactacées pouvant donner 20-30 qx/ha avec des hauteurs de pluie de 200-300 mm ou d’un comportement de semi- halophyte ou de vraie halophytes, pouvant produire quand elles sont irriguées avec de l’eau saline. C’est un objectif lointain mais qui n’est peut-être pas impossible si la communauté scientifique l’inscrit comme prioritaire. Compte tenu de l’importance de l’enjeu pour la sécurité alimentaire des pays arides, il faudrait profiter de l’inertie des événements climatiques pour qu’à 2050, le génie génétique soit au rendez-vous sur ces questions. En attendant cette percée radicale, qui va demander un travail de longue haleine, des solutions pour des stress de niveau moyen doivent être recherchées dans le patrimoine déjà existant. Concernant la tolérance à la sécheresse, en faisant jouer le critère précocité, une longue liste de variétés est disponible au Maroc, pour opérer ce choix du moins pour l’irrigué, le Bour favorable et dans une moindre mesure le semi-aride. Par contre, les chances sont minimes dès lors qu’il s’agit de l’espace aride, où le problème est déjà posé même sans aucun changement climatique. Avec une pression de l’aridité encore plus forte, qui réduirait la pluie dans ces territoires à des hauteurs autour de 150 mm, il est impossible d’assurer la production des céréales pour le grain, du moins dans la limite de nos connaissances actuelles. L’alternative inévitable y serait d’abandonner l’agriculture et de basculer définitivement dans l’activité d’élevage exploitant la céréale en végétation ou l’herbe quel qu’en soit le stade.
Parallèlement au choix variétal, la biotechnologie dispose aussi de nombreuses espèces forestières pour réaliser des brise-vents et atténuer le stress hydrique dû au réchauffement, au Chergui, ou dû aux vents forts aggravant l’évapotranspiration.
Nombreux aussi sont les porte-greffes et variétés qui sont proposés pour atténuer le stress causé par l’excès de sel et/ou l’excès d’eau en cas d’inondations. Macrophylla, Volkameriana, l’association Marisol/bigaradier et Nour/ Citrange Carrizo ou Nour/Volkameriana en sont des exemples pour les agrumes. Pour les rosacées fruitières tels que le pêcher, le prunier et l’amandier, citons aussi la résistance relative du GF677 à l’asphyxie à condition de ne pas être dans les cas d’humidité extrêmes.
L’autre solution pour atténuer l’impact de la sécheresse, c’est l’augmentation rapide de l’offre, l’optimisation de sa gestion et sa valorisation. Ceci requiert plus de barrages et dans les meilleurs délais possibles, afin de récupérer plus d’un milliard de m3 encore envoyés dans l’océan.
Il faudrait aussi retirer définitivement des périmètres irrigués, des cultures non indiquées pour un pays aride comme le Maroc tels que le riz et la canne à sucre irrigués au gravitaire (2), et leur substituer des cultures moins consommatrices d’eau (3) faisant partie de la grande demande du marché local (oléagineux, betterave à sucre, fruits, légumes,…), ou fortement rémunérées à l’exportation (4), en l’occurrence la fraise, la tomate et les agrumes. Quel intérêt de continuer à cultiver des céréales ou de la luzerne dans un périmètre irrigué particulièrement déficitaire comme le Souss.
La micro-irrigation, en tant que système d’économie d’eau à des fins d’atténuation indirecte de l’impact de la sécheresse, mérite aussi une attention particulière. Le Maroc, en a déjà installé plus de 400.000 ha et compte aller plus vite dans ce programme pour atteindre 550.000 à l’horizon 2020 (MAPM, 2014). Plusieurs programmes d’envergure sont en cours de réalisation dans le Souss, Tadla, Doukkala, Loukkos et le Gharb.
Étant donné les grandes superficies à équiper et les montants d’investissement qu’elles demandent en devise, le Maroc doit réfléchir à son industrie propre de goutte à goutte (pompes, filtres, PE, PVC, goutteurs, accessoires divers, automatismes,…). Le système doit être renouvelé techniquement tous les 10-12 ans environ, et légalement tous les 8 ans, ce qui offrirait un énorme marché permanent à une telle industrie.
Membre discipliné de la communauté internationale qui croit réellement en ces problèmes de réchauffement climatique, le Maroc est déjà passé aux énergies renouvelables tels que le solaire et l’énergie éolienne, avec d’importants projets un peu partout. Cycle de l’eau de mer et cycle de l’énergie solaire (et de l’énergie éolienne), sont des cycles fermés où rien ne se perd ou du moins répondent bien au principe du renouvellement continuel et de ‘l’inépuisabilité’. Il faudrait maintenant trouver la technologie adéquate pour utiliser ces énergies pour le dessalage à un coût de revient proche de celui des eaux conventionnelles. C’est le projet-salutaire à terme pour le Maroc, voire pour le monde entier si la recherche et l’industrie parviennent à faire de l’eau de mer un usage routinier pour l’agriculture. C’est la vraie solution à la sécheresse. Au Maroc, à cette question de coût près, c’est un projet concevable le long de la côte atlantique, en particulier à Dakhla et régions à climat et terrains similaires, ne serait-ce dans une première étape, que pour les fruits rouges, la fleur coupée et les légumes laissant de fortes marges (myrtille, framboise, rosier, œillet, tomate long life,…).
Tout compte fait, c’est en particulier l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire du pays qui préoccupe le Maroc. Sur le plan fruits et légumes, en principe, il n’y a pas à s’inquiéter beaucoup, le pays en produit en surplus et en exporte, et peut en produire davantage en cas de besoin. En revanche, il y a un déficit structurel en farine de blé qu’il aura du mal à surmonter et dans une moindre mesure en protéines animales. Pour ces deux grands produits, on est tenté de suggérer de substituer l’amidon de pomme de terre à celui du blé et la protéine des ressources halieutiques aux protéines animales. Dans les périmètres irrigués du Maroc, il y a un potentiel énorme à produire de la pomme de terre avec des rendements de 40 T/ha et plus, soit un équivalent énergétique de 30.800 Kcal/ha, au lieu de 16.950 Kcal pour un blé à 50 qx/ha. Le marocain utilise déjà la pomme de terre mais comme légume et non comme aliment de base, avec une ration/h/an d’environ 40 kg. Maintenant, il faut lui demander d’en faire un usage à la manière des pays grands consommateurs (100 à 180 kg/h/an) comme Bélarusse, l’Ukraine, la Russie ou encore le Royaume-Uni (FAO, 2008). D’autant plus que la pomme de terre est sur le marché à un prix compatible avec le faible pouvoir d’achat de la population. Malgré la richesse en ressources halieutiques du pays, le marocain ne fait pas non plus du poisson un produit de consommation courant, sauf dans quelques villes côtières. Il faudrait valoriser le poisson comme source de protéines, entre autres les espèces bon marché reconnues en plus pour leurs bienfaits pour la santé telles que les sardines (Bandarra et al., 1997). Une telle solution pour pallier le déficit alimentaire dans l’avenir suppose de communiquer plus sur ces ressources de substitution en vue de faire évoluer le régime alimentaire du pays.
Le Maroc a beaucoup communiqué sur les changements climatiques à l’occasion de la COP 22 organisée sur son territoire en novembre 2016. Mais l’effort a surtout porté sur le sujet dans sa dimension planétaire avec un plaidoyer particulier en faveur de l’Afrique. Il faudrait espérer qu’à la suite de cette rencontre internationale, les grands pays responsables des émissions de gaz à effet de serre (GES), sont maintenant convaincus de l’application justifiée du principe pollueur-payeur (OCDE, 1992), aux dommages inter-Etats. Et qu’ils doivent s’acquitter ne serait-ce qu’en partie, des nuisances qu’ils causent à l’Afrique et à d’autres pays. Il reste ensuite à mieux communiquer en interne pour sensibiliser la société civile marocaine qu’elle est à la veille d’événements importants auxquels elle doit se préparer. Le débat doit porter sur d’importants points comme la nouvelle responsabilité environnementale du citoyen, ses rapports futurs à la ressource en eau, à la ressource alimentaire, à la ressource énergétique,…et d’une manière générale au nouveau mode de vie restrictif que le changement climatique risque de lui imposer.
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