Introduction
Les stations d’épuration des eaux usées (STEP) sont des installations qui ont pour objectif de dépolluer les eaux usées. Cette dépollution est nécessaire pour protéger l’environnement ainsi que la santé publique. Avec la pénurie d’eau dans certaines régions, ainsi que la croissance de la population et des activités économiques, les eaux usées traitées des STEP sont considérées actuellement comme une source importante d’eau et pourront être utilisées dans l’agriculture ou d’autres applications convenables. Cependant, le traitement induit la production d’une quantité importante de boue dont la gestion constitue une problématique pour les STEP.
Au Maroc, la réalisation des STEP dans 330 villes et centres urbains d’ici 2020 figure parmi les objectifs du Plan National d’Assainissement (PNA) marocain (Ouahidi, 2012). Une station d’épuration des eaux usées produit des boues avec une humidité supérieure à 90% (Bianchini et al., 2015) et une quantité d’environ 150 à 200 kg par équivalent habitant (EH) et par année (Cerra et al., 2014). Ces boues doivent être évacuées des STEP. Avant de les envoyer vers leur destination finale, des traitements ayant pour objectifs d’éviter les risques pour la santé humaine et l’environnement ainsi que la nuisance olfactive doivent être effectués. Les coûts des traitements et l’envoi vers une ou plusieurs destinations finales constituent le coût d’exploitation de la filière boue, ce coût est élevé et peut aller jusqu’à 60% du coût d’exploitation totale de la STEP (Kurt et al., 2015). Parmi les traitements appliqués, le séchage des boues est présent dans plusieurs STEP. Le séchage a l’avantage de diminuer considérablement le volume et la masse des boues à gérer grâce à l’élimination de l’eau. Cette diminution permettra une réduction du coût de stockage, de manutention et de transport. Mais le séchage est une opération énergivore, l’utilisation des séchoirs fonctionnant avec les énergies conventionnelles induit un coût élevé de cette opération. L’utilisation de l’énergie solaire est une solution intéressante et déjà appliquée sur plusieurs STEP actuellement.
L’objectif de ce travail est d’abord de faire le point sur le séchage solaire des boues au niveau international, et ensuite analyser son impact sur la gestion des boues au Maroc.
Dans la première partie de l’article, nous allons présenter des généralités concernant les serres, leurs composantes, leurs performances et leurs principales limites. Nous donnerons aussi un aperçu sur leurs dimensionnements, leurs consommations énergétiques, leurs coûts d’investissement et d’exploitation ainsi que sur la valorisation énergétique des boues séchées en tant que biocombustible. La deuxième partie de l’article, consacrée à la gestion des boues au Maroc, présente l’état actuel et une projection jusqu’en 2030 de la production des boues. On y donne aussi une analyse de la situation de la gestion des boues ainsi que les cadres réglementaires liés aux boues au Maroc.
Séchage solaire des boues
L’utilisation de l’énergie solaire pour le séchage des boues date des années 1910, à Philadelphie aux États-Unis, sur des lits de séchage simple. C’est dans les années 1990 que l’idée du séchoir solaire ou serre pour les boues a été développée par les chercheurs allemands, Tilo Conrad et Markus Bux, professeurs à l’Institut Technique Agricole de l’Université de Hohenheim, dont les premières unités industrielles pour le traitement de boues d’épuration ont été mises en service en 1996 (Adler, 2008).
Généralités
Une serre est une structure formée par des parois (murs et toits) totalement ou partiellement transparentes et qui peut être complètement fermée ou ouverte. Initialement, la serre a été utilisée pour la production agricole (Prakash et Kumar, 2013) et dans les régions froides (Rodríguez et al., 2010). Actuellement, elle est utilisée dans différents domaines tels que le chauffage des maisons, l’aquaculture, ainsi que le séchage à basse température des produits agricoles (Prakash et Kumar, 2013).
Les serres de séchage des boues, illustrées dans la figure 1, peuvent être classées comme suit:
Serre ouverte: circulation naturelle de l’air, ne possède pas de portes et avec des ouvertures sur la partie basse et haute afin de favoriser la convection naturelle;
Serre fermée: circulation forcée de l’air (ventilateurs), avec des entrées d’air (ventelles);
Serre fermée avec chauffage complémentaire: serre fermée qui utilise une autre source complémentaire de chauffage. Cela permet à la serre de fonctionner lors des jours sans soleil, d’avoir un séchage quasi-régulier durant toute l’année et de diminuer la surface de la serre (Veolia, 2014). Deux techniques sont principalement utilisées pour le chauffage complémentaire: le chauffage du plancher et le chauffage de l’air. Pour le chauffage du plancher, une source pratique d’énergie est l’eau traitée à la sortie de la station d’épuration, cette source est exploitée à l’aide d’une pompe à chaleur (Perret et Canler, 2014; Veolia, 2014). L’air peut être chauffé par un aérotherme (Perret et Canler, 2014).
Composantes d’une serre de séchage des boues
Les composantes d’une serre peuvent varier en fonction de plusieurs paramètres tels que la performance à atteindre, le budget, l’emplacement du site… Les principaux éléments sont présentés dans le tableau 1, élaboré à partir des informations de Perret et Canler (2014).
Des composantes optionnelles peuvent être installées en fonction des besoins, comme l’installation d’un plancher chauffant ou une unité de désodorisation de l’air en sortie de la serre.
Performance d’une serre et ses principales limites
La performance d’une serre est généralement évaluée par sa capacité évaporatoire (CE), qui est définie comme étant la masse d’eau évaporée par unité de surface et par unité de temps:
Cette capacité est majoritairement dépendante des conditions climatiques (rayonnement solaire, température, humidité de l’air, …), du lieu d’installation, donc elle est différente selon la situation géographique et les saisons de l’année, ainsi que du type de serre installé. Les résultats de certaines études sont donnés dans le tableau 2 pour donner un ordre de grandeur sur la performance de ces serres.
Bien que dans la majorité des études rapportées dans la littérature, les auteurs recommandent l’application du séchage solaire des boues pour le lieu où l’étude est effectuée, les limites suivantes sont aussi soulignées: son besoin en surface élevée (Amadou, 2007), sa dépendance aux conditions climatiques et sa capacité à ne produire que des boues aux alentours de 70% de siccité et de classe B. Ce type de boue peut présenter un risque dans certaines conditions, sauf avec l’ajout de sources de chauffage supplémentaires, mais augmentera le coût (US Water Environnement Federation, 2014).
Dimensionnement des serres de séchage des boues
Le dimensionnement a pour finalité principale de définir la surface des serres à installer pour le séchage d’une production annuelle de boue donnée. Selon le type de serre à installer, la connaissance de la capacité évaporatoire est nécessaire pour le dimensionnement. Le dimensionnement peut se faire en prenant une moyenne annuelle des capacités d’évaporation mensuelles ou en se basant sur la capacité évaporatoire du mois le plus défavorable. L’utilisation de la moyenne annuelle est plus raisonnable car elle permet d’avoir une surface inférieure à celle de l’utilisation du mois le plus défavorable. En plus, pendant ces dernières périodes, la serre peut jouer un rôle de stockage.
Afin d’estimer la capacité évaporatoire, trois approches sont observées. La première est l’expérimentions à l’aide d’une serre pilote installée sur le lieu et des tests sont réalisés pendant au moins une durée d’une année afin de déterminer une capacité évaporatoire moyenne ainsi que les capacités évaporatoires de tous les mois. Cette démarche a été suivie pour l’étude réalisée en Grèce par Mathioudakis et al., (2013). La deuxième approche consiste en le développement d’un modèle empirique ou un modèle boite noire. Dans cette démarche, la capacité évaporatoire ainsi que les conditions environnementales sont enregistrées lors de plusieurs expériences, ensuite un ou plusieurs modèles sont développés. Seginer et Bux (2006) présentent dans leur travail trois modèles empiriques pour la modélisation de la capacité évaporatoire en se basant sur les données d’une station de séchage solaire des boues de la ville de Füssen, Allemagne. Parmi ces trois modèles, le modèle multiplicatif développé représente le mieux les données enregistrées. Ce modèle est reporté dans l’équation suivante:
Où, ρ (kg air/m3): masse volumique de l’air, Qv (m3/(m² h)): débit d’extraction des ventilateurs, Ro (W/m²): radiation solaire, To (°C): température de l’air extérieur, Qm (m3/(m² h)): taux de déstratification des ventilateurs, σ (kg MS/kg boue): siccité de la boue.
La troisième approche consiste en une modélisation des phénomènes de transfert de matière et de chaleur durant le séchage solaire des boues. À partir de cette modélisation, la capacité évaporatoire peut être déterminée en fonction des conditions climatique du lieu à évaluer. Plusieurs travaux ont été réalisés dans ce sens ces dernières années. Parmi ces travaux, on peut citer celui de Slim et al., (2008), qui a consisté en une modélisation du séchage solaire des boues assisté d’une pompe à chaleur, et celui de Ben Hassine et al., (2017), qui est une modélisation et simulation des transferts de chaleur et de matière durant le séchage solaire des boues avec introduction des conditions climatiques réelles.
Consommation énergétique et coûts d’une serre
La consommation énergétique d’une serre est constituée de l’énergie thermique nécessaire pour l’évaporation de l’eau dans la boue et l’énergie électrique pour le fonctionnement des équipements. Pour les différents types de serre, sauf le cas des serres chauffées, l’énergie nécessaire pour l’évaporation de l’eau est assurée par le soleil donc ne constitue pas un coût pour l’exploitant. Ce gain en énergie constitue l’avantage majeur des serres par rapport au séchage thermique classique.
La consommation d’énergie électrique est fonction du type de serre (ouverte, fermée sans chauffage ou fermée avec chauffage) ainsi que le degré d’équipements (avec unité désodorisation ou pas) et leur mode de gestion (automatisée ou manuelle), mais d’une manière générale cette consommation est faible par rapport au séchoir thermique classique (Meyer-Scharenberg et Pöppke, 2010; Mathioudakis et al., 2013). Le tableau 3, inspiré de Perret et Canler (2014), présente les ordres de grandeurs de la consommation énergétique des serres en fonction du type.
Le coût d’une serre est constitué de son coût d’investissement ou d’installation ainsi que son coût d’exploitation. Ces coûts sont principalement fonction du type de serre ainsi que son niveau d’équipements et d’automatisations.
Le coût d’installation est en grande partie constitué du coût du génie civil (préparation du site, route d’accès, plancher en béton, …), de la serre (charpente, parois et ouverture), des équipements (ventilateurs, système de retournement, …), des installations électriques (câbles, protections, éclairages, …) et des systèmes de surveillance et de contrôle (Mathioudakis et al., 2013).
Le coût d’exploitation est constitué par le coût énergétique de fonctionnement de la serre ainsi que de la maintenance et entretien.
D’après la littérature le coût d’investissement par unité de surface varie autour de 250 à 500 € m-² (Slim, 2008; Kurt et al., 2015), et le coût d’exploitation varie autour de 40 à 105 € par tonne de matière sèche traitée (Meyer-Sharenbeg et Pöppke, 2014; Garonto, 2016).
Afin d’avoir plus de détails récents ces coûts ainsi que les installations, le tableau 4 présente des exemples d’installations réalisées ou des cas d’étude.
Valorisation énergétique des boues en biocombustible et place du séchage
À la fin des traitements des boues, elles peuvent être éliminées ou valorisées. L’élimination consiste en un dépôt des boues à la décharge, cette pratique est abandonnée progressivement dans plusieurs pays dû au caractère organique des boues, ou l’envoie des boues dans un centre d’incinération sans valorisation de la chaleur produite. Pour la valorisation, elle suit principalement deux voies: la valorisation en agriculture et foresterie, soit par épandage directe ou après compostage, ainsi que la valorisation énergétique. Dans cette dernière, les boues peuvent être utilisées en tant que biocombustible comme dans le cas de l’incinération et production de chaleur et/ou d’électricité.
Ces dernières années, on constate un intérêt croissant de la valorisation de ces boues comme biocombustible afin de produire de l’énergie électrique et thermique dans des unités de valorisation énergétique des déchets (Bianchini et al., 2015; Safuan et al., 2014). Ces dernières sont souvent des unités d’incinération des déchets (ménagers et autres) permettant de produire de l’électricité et/ou de la chaleur. Aux États-Unis, 460 de ces unités sont installées dans plusieurs États, avec plus de 13 Gigawatts électrique de puissance (Global Energy Observatory, 2017).
Le séchage des boues est une étape importante avant leur utilisation en tant que combustible. Les raisons sont qu’à l’état de faible siccité, les boues vont constituer des éléments de refroidissement pour ces destinations, comme les fours, les brûleurs ou les incinérateurs (Amadou, 2007), et la récupération directe de l’énergie n’est pas possible (Bianchini et al., 2015). De plus, pour être un combustible de bonne qualité, les boues doivent contenir moins de 20% d’eau (Safuan et al., 2014; Garanto, 2016). Le pouvoir calorifique inférieur des boues, jusqu’à 12,5 -15,8 MJ kg-1 à 90% de siccité (Garanto, 2016), est ainsi comparable aux les autres biomasses utilisées comme combustible (Bianchini et al., 2015), et elles peuvent être considérées comme un substitut au charbon (Garanto, 2016).
Dans son travail, Garanto (2016) présente le système de séchage solaire des boues «Passavant» dont le diagramme de flux est donné dans la figure 2, avec des données d’un projet de Pesa Medioambiente Sau comme exemple. Le système est composé de deux grandes parties: la partie séchage des boues sous serre et la partie production d’électricité. Les boues déshydratées (20 à 30% MS) sont séchées dans une serre. Les boues séchées (85% MS) sont ensuite utilisées pour alimenter le brûleur d’un système de production d’électricité à vapeur. Le chauffage du plancher et de l’air de la serre est une possibilité en utilisant l’énergie provenant de la partie production d’électricité, comme la récupération de l’énergie à partir de l’eau utilisée pour condenser la vapeur saturée à la sortie de la turbine à vapeur. L’électricité produite peut être envoyée dans un réseau d’électricité. Les cendres produites peuvent être valorisés dans des cimenteries ou envoyés à la décharge.
Gestion des boues au Maroc
La santé publique, le respect de l’environnement et l’insuffisance de l’eau sont les facteurs qui ont poussé les autorités marocaines à concentrer plusieurs effort ces dernières années sur l’assainissement et la gestion de l’eau. Plusieurs programmes ont été lancés dans ce sens depuis le début des années 2000. Parmi ces programmes on peut citer le programme national d’assainissement (PNA). Le PNA, qui a été lancé depuis 2005, a pour objectif principal la réhabilitation et l’extension du réseau d’assainissement, le branchement et le renforcement du réseau pluvial ainsi que la réalisation des stations d’épuration pour équiper 330 villes et centres urbains d’ici 2020 (Ouahidi, 2012). Il est inscrit dans ce programme que le niveau de raccordement global au réseau d’assainissement en milieu urbain à atteindre est de 80% en 2020 et 100% en 2030; et le volume des eaux usées traitées à atteindre est de 80% en 2020 et de 100% en 2030. Donc, d’ici trois à dix ans, le volume d’eau usée et le nombre de station d’épuration augmenteront quantitativement, et d’après les prévisions le volume d’eau usée traitée atteindra les 900 Mm3/an à l’horizon 2030 (Ministère de l’agriculture et de la Pêche Maritime, 2011). Le traitement de ce volume générera inévitablement une quantité importante de boues qui nécessitent plus d’attention.
Production de boues
Actuellement, le Maroc compte plus de 131 STEP dont les principales technologies de traitement sont le lagunage naturel, la boue activée et le lagunage aéré (Netherlands Enterprise Agency, 2018). Les détails sur les technologies ainsi que les capacités de traitement de ces STEP, qui sont enregistrés en fin 2016, sont présentés dans le tableau 5.
Les traitements des eaux usées génèrent une quantité importante de boue. En 2014, cette quantité était d’environ 98 000 tonnes de MS (Netherlands Enterprise Agency, 2018), c’est-à-dire environ 392 000 tonnes de boues humides après déshydratation mécanique, et estimée à 110 000 tonnes de MS, c’est-à-dire 440 000 tonnes de boues humides après déshydratation mécanique, à l’horizon 2020.
En utilisant la valeur typique maximale du Maroc de DOB5, qui est de 560 mg/L, ainsi qu’en admettant que le traitement d’une capacité d’un EH produira 50 g de MS par jour, le traitement des 900 millions de m3 d’eaux usées à l’horizon 2030 produira environ 420 000 tonnes de MS ou 1 680 000 tonnes de boues humides après déshydratation mécanique. Cette quantité a été estimée à 500 000 tonnes de MS ou 2 000 000 de tonnes de boues humides après déshydratation mécanique par le Bureau d’études Phénixa (Phénixa, 2010). Ces estimations de production de boues sont synthétisées dans le tableau 6.
L’évolution de la production de boues est représentée dans la Figure 3, qui a été obtenue à partir d’une compilation des données de Netherlands Enterprise Agency (2018) et du Bureau d’étude Phénixa (2010), en admettant une augmentation linéaire entre les années 2020 et 2030.
Dans la Figure 3, on observe que la quantité des boues estimée à l’horizon 2030 est augmentée d’un facteur d’environ 4,5 par rapport à celle de 2020. Cette augmentation est expliquée par la réalisation des objectifs du PNA à cet horizon.
Gestion des boues au Maroc et analyse de l’impact du séchage solaire
Au Maroc, les devenirs des boues ne sont pas encore définis et constituent une problématique pour les gestionnaires des STEP. En général, ces boues sont évacuées dans les décharges, comme le cas de la STEP de Fès (Afgane, 2016) et l’a été pour la STEP de Marrakech, ou à des endroits proches des STEP comme le cas de Nador, à quelque mètre de la lagune (Zerrouqi, et al., 2011). Ces pratiques présentent des risques pour l’environnement et influencent le fonctionnement de la décharge. En effet, la pollution du sol et de la nappe phréatique par les lixiviats ainsi que la production des gaz à effet de serre (non contrôlée) issue de la décomposition de ces boues sont possibles, et ces phénomènes sont accélérés par la pluie (Zerrouqi, et al., 2011; Afgane, 2016). Pour la décharge, les boues peuvent induire le mal fonctionnement des engins utilisés, produire de mauvaises odeurs et du gaz toxique (H2S) pour les ouvriers (Afgane, 2016).
Réalisations et projets relatifs aux boues
Afin de diminuer les effets néfastes des pratiques mentionnées ci-dessus sur l’environnement et sur les décharges, des installations des serres de séchage des boues ont été réalisées, comme dans le cas des villes de Marrakech, Youssoufia et Ben Guerir. D’autres projets d’installations sont en cours de réalisation, comme le cas de la ville de Layoune. La figure 4 présente les serres de séchage des boues de la ville de Youssoufia et de Ben Guerir (Thermo-System, 2017).
L’installation de la ville de Marrakech (Figure 5) représente actuellement la plus grande installation solaire pour le séchage des boues au monde. Cette installation a été réalisée par les entreprises Thermo-System et Waterleau, avec une surface de séchage de 40 320 m² et a la capacité de traiter 75 000 tonnes de boues avec une siccité de 22% par année. L’objectif est de sécher les boues jusqu’à 80% de siccité. Le coup d’investissement de cette installation est de 140 millions de Dirhams (12,7 M€). Le coup d’exploitation est environ 150 DH/t MS (14 €/t MS) par an (Thermo-System, 2018).
L’installation de ces séchoirs solaire des boues représente l’état principal actuel des réalisations dans la gestion des boues au Maroc, ce qui fait que beaucoup d’opportunités sont présentes pour différents acteurs dans cette filière, notamment dans la valorisation de ces boues.
Un autre projet en cours de discussion et d’essai au Maroc durant ces dernières années est le co-compostage des boues des STEP avec les déchets verts. Cette voie n’est pas officiellement pratiquée sur les boues des STEP mais des études et des essais prometteurs ont été réalisés. On peut citer le projet de recherche et d’expérience pilote mené par le laboratoire d’écologie et d’environnement (L2E) de la faculté des sciences Semlalia de Marrakech, lequel a été financé par le ministère délégué chargé de l’Environnement et soutenu par de nombreux partenaires. Cette expérience pilote a été réalisée dans la STEP de la ville de Chichaoua (Jacob, 2016). La figure 6 représente cette plateforme pilote.
Limites du séchage solaire et réflexion sur les autres voies
Les serres solaires ont montré leurs avantages dans les régions à fort ensoleillement, comme le cas du Maroc. Cela diminue fortement le coût d’exploitation de la filière boue, notamment sur l’énergie, le stockage et le transport. Mais le coût d’investissement de ces serres est élevé ainsi que leurs besoins en surface. Dans le cas de la production des boues à l’horizon 2030, c’est-à-dire les 500 000 tonnes de MS, une estimation des coûts sur la base de l’installation des serres de Marrakech est donnée ci-après. En tenant compte du fait que toutes ces boues ne seront pas forcément traitées par le séchage solaire, nous allons faire une estimation sur la moitié de la quantité à traiter, c’est-à-dire les 250 000 tonnes de MS. Un coût d’investissement d’environ 2 milliards de Dirhams (197 M€) ainsi qu’un coût d’exploitation sur 20 ans d’environ 750 millions de Dirhams (68 M€) sont à prévoir. Il est à mentionner que le prix des terrains ne sont pas inclus dans cette estimation et ne sont pas souvent inclut dans les coûts d’installation des serres publiés.
Du fait de ces coûts élevés, une attention particulière doit être portée au dimensionnement de ces serres, notamment sur la précision de la méthode. Le séchage solaire des boues est une opération complexe, donc une modélisation assez délicate. Les constructeurs se basent souvent sur leurs expériences afin d’améliorer leurs méthodes de dimensionnement, mais pour le Maroc ces expériences sont à ses débuts donc des études sont encore nécessaires afin d’établir une méthode de dimensionnement acceptable.
D’un autre côté, le séchage des boues n’est qu’une étape intermédiaire qui permettra principalement la diminution de la quantité de boues à gérer, donc les coûts, ainsi que les pollutions environnementales. D’après ces analyses, les gestionnaires de boues au Maroc ont encore besoin d’identifier la ou les voies d’élimination et/ou valorisation optimales pour leurs STEP. Plusieurs possibilités d’élimination et de valorisation sont possibles, certaines sont des technologies qui sont déjà éprouvées et d’autres sont en cours de développement. Des précautions doivent être alors prises pendant leurs choix. Parmi ces technologies on peut citer l’incinération et valorisation de la chaleur produite en énergie thermique ou électrique, le compostage et l’épandage agricole, l’oxydation par voie humide…
L’installation de ces technologies est onéreuse, et avec les multitudes de choix qui existent, une approche rationnelle doit être suivie afin d’arriver à l’élaboration d’une voie d’élimination et/ou de valorisation optimale.
Réglementation et Stratégie Nationale
Actuellement, sur le plan national, aucune réglementation ni stratégie spécifique à la gestion des boues des STEP n’est mise en place officiellement, et ces lacunes constituent des obstacles pour le développement de ce secteur (Netherlands Enterprise Agency, 2018). L’élaboration de ces réglementation et stratégies trouvent leur importance aussi bien dans la protection de l’environnement et de l’eau que dans l’aide aux gestionnaires des STEP. En fixant les normes à suivre, les gestionnaires sauront quoi faire pour les boues et les risques sur l’environnement seront maîtrisés. D’un autre côté, cela diminuerait la réticence de la population envers l’utilisation de ces boues dans d’autres secteurs, comme par exemple en agriculture dans le cas où elles respectent les normes.
Pour le moment, d’autres lois sur la protection de l’environnement et de l’eau peuvent déjà être appliquées dans la gestion des boues. On peut mentionner les trois lois suivantes (Afgane 2016): la Loi n°28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination, la Loi 10-95 sur l’eau et la Loi 11-03 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement.
Selon la Loi n°28-00, les boues ont le statut de déchet industriel. Ce dernier est défini comme «tout déchet résultant d’une activité industrielle, agro-industrielle, artisanale ou d’une activité similaire» (Loi 28-00, 2006). Cette loi a pour objet de «prévenir et de protéger la santé de l’homme, la faune, la flore, les eaux, l’air, le sol, les écosystèmes, les sites et paysages et l’environnement en général contre les effets nocifs des déchets» (Loi 28-00, 2006).
La Loi 10-95 sur l’eau s’intéresse à l’organisation de «la répartition et le contrôle de l’utilisation des ressources en eau et d’en assurer également la protection et la conservation» (Loi 10-95, 1995).
La Loi 11-03 a pour objet «d’édicter les règles de base et les principes généraux de la politique nationale dans le domaine de la protection et de la mise en valeur de l’environnement». Il est inscrit dans cette loi des règles et principes qui visent à protéger l’environnement contre toutes formes de pollution et de dégradation, quelle qu’en soit l’origine (Loi 11-03, 2003).
Afin d’élaborer des Lois spécifiques à la gestion des boues, les autorités marocaines peuvent s’inspirer des lois et/ou directives qui sont déjà appliquées dans d’autres pays. On peut citer la directive 86/278 de la Communauté économique européenne relative à la protection de l’environnement et notamment des sols, lors de l’utilisation des boues d’épuration en agriculture (Le conseil des communautés Européennes, 1986). On peut aussi citer la partie 503, titre 40 du Code des Régulations Fédérales des États-Unis, qui regroupe des normes pour l’utilisation ou l’élimination des boues d’épuration. Cette partie établit des normes, comprenant des exigences générales, des limites de polluants, des pratiques de gestion et des normes opérationnelles, relatives à l’utilisation finale ou à l’élimination des boues d’épuration appliquées sur le sol, placées sur un site d’élimination en surface ou brûlées dans un incinérateur (U.S e-CFR, 2019).
Conclusion
A l’issue de ce travail qui a pour objectif de faire le point sur le séchage solaire des boues au niveau mondial et ensuite analyser son impact sur la gestion des boues au Maroc, une classification des serres de séchage des boues a été présentée. On distingue les serres ouvertes, fermées et chauffées. Une serre peut être composée d’éléments suivants: la charpente (matériaux inoxydables recommandés), les parois (plastique, verre ou polycarbonate), le plancher (généralement en béton), les systèmes de ventilation (d’extraction et de déstratification), le système de retournement et d’autres composantes optionnelles comme une installation de gestion d’odeur. La performance d’une serre est fonction des conditions climatiques du lieu, des saisons et du type de serre installée. En moyenne, une serre peut avoir une capacité évaporatoire comprise entre 2,2 et 12 kg d’eau évaporée par m² et par jour. La connaissance de cette capacité est nécessaire pour le dimensionnement des serres, elle peut être déterminée par expérience, par une modélisation empirique ou par la modélisation des phénomènes de transfert de matière et de chaleur durant le séchage solaire des boues. La consommation énergétique d’une serre varie de 20 à 1 100 kWh par tonne d’eau évaporée selon le type et les éléments constituants la serre. Le coût d’investissement par unité de surface varie autour de 250 à 500 €, et le coût d’exploitation varie autour de 20 et 250 € par tonne de matière sèche traitée, tous les deux coûts sont fonction du type de serre et ses éléments constituants. Bien que le séchage solaire soit une méthode caractérisée par un faible coût énergétique et non polluante pour l’environnement, il présente les principales limites suivantes: une forte dépendance aux conditions climatiques et une nécessité d’une grande superficie. Sur la finalité des boues, trois voies sont possibles, l’élimination, la valorisation en agriculture et en foresterie ainsi que la valorisation énergétique. Le séchage a une place importante dans la valorisation énergétique car à 90% de siccité, le pouvoir calorifique inférieur des boues s’élève jusqu’à 12,5 – 15,8 MJ kg-1. Dans cet état, les boues peuvent être utilisées comme un substitut du charbon. Une solution prometteuse développée actuellement pour valoriser ces boues est leur utilisation comme combustible dans des unités de valorisations énergétiques. Ces dernières sont des unités de production d’électricité et/ou de la chaleur à partir des déchets.
Sur la gestion des boues au Maroc, la quantité produite augmentera avec l’avancement du PNA. Cette quantité est estimée à 2 millions de tonnes de boues à 25% de siccité par an à l’horizon 2030. L’installation des serres sur des STEP au Maroc permettra la diminution de la quantité de boue à traiter et limitera leurs impacts environnementaux. Ces installations représentent l’état actuel des réalisations dans la gestion des boues au Maroc, ce qui fait que beaucoup d’opportunités sont présentes pour différents acteurs dans cette filière, surtout dans la valorisation de ces boues. Dans l’hypothèse de traiter la moitié de la production de boues à l’horizon 2030 par le séchage solaire, l’estimation des coûts s’élève à environ 2 milliards de Dirhams (197 M€) pour l’installation et à 750 millions de Dirhams (68 M€) pour une exploitation de 20 ans. Le séchage ne représente qu’une étape dans la gestion des boues, une ou des filières d’élimination et/ou de valorisation doivent être encore mises en place. Le co-compostage des boues avec les déchets verts est une application qui est en cours de discussion et d’étude au Maroc mais qui n’est pas encore adoptée officiellement. Du côté de la réglementation, aucune loi spécifique à la gestion des boues des STEP n’est mise en place officiellement, mais d’autres lois sur la protection de l’environnement et l’eau peuvent déjà être appliqués dans la gestion des boues telles que la Loi 28-00, la Loi 10-95 et la Loi 11-03.
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Par
T.A.A. ARISILY, A. HAJJI
Unité de Recherche du Génie des Procédés et Environnement, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II,Rabat, Maroc