Au Maroc, la betterave fourragère est très productive en irrigué (110-120 t/ha). Elle peut être semée en saison, comme la betterave sucrière et les céréales (semis d’automne et récolte de fin printemps) ou en contre saison (semis de fin printemps et récolte de fin automne).
De conservation difficile à l’air libre en été, la betterave fourragère peut être conservée au froid hivernal, lorsqu’elle est produite en contre saison dans les régions continentales ou proches des montagnes. Elle peut aussi être ensilée en mélange 50/50 avec la paille des céréales ou maintenue en parcelle et arrachée au fur et à mesure du besoin du bétail. Sur le plan qualitatif, la composition de la racine produite au Maroc, est très proche des standards rapportés dans les tables alimentaires (UFL = 1,14; UFV = 1,17; PDIN = 62; PDIE = 85).
Incorporée avec l’ensilage de maïs ou de sorgho pour nourrir la vache laitière, la betterave ne soulève aucun problème particulier, à condition de respecter les règles habituelles de la transition progressive de 2-3 semaines, de la MS de la racine dans la ration plafonnée à 5 kg, et une distribution aux animaux de préférence en plusieurs repas. Dans les terrains irrigués avec de l’eau douce, la betterave ne présente pas d’atouts suffisants pour pouvoir concurrencer le maïs ensilage, qui reste la culture préférée de la communauté des agriculteurs/éleveurs, y compris ceux ayant de grands projets d’élevage moderne. Aussi longtemps que le maïs est cultivé dans ces terrains, la betterave fourragère n’aura pas beaucoup de chances de s’y développer. Au nord du pays, elle ne pourra pas concurrencer le nouveau système superintensif dit 3P ou trois productions/an (1 fourrage d’hiver + 2 maïs ensilage) ou intensif 2P (1 fourrage d’hiver + 1 maïs ensilage), du fait de son cycle très long qui ne permet pas de libérer tôt les parcelles. En irrigué, la betterave fourragère restera une culture de circonstances particulières, notamment en intercalaire avec les jeunes arbres pour mieux valoriser les terrains des vergers d’agrumes ou d’olivier durant les premières années. Dans les zones d’agriculture pluviale, les conditions ne sont pas non plus favorables à l’essor de la betterave fourragère, en raison surtout de l’aridité du climat. Même en haute montagne comme le moyen Atlas qui présente quelques traits de ressemblances avec certaines régions d’Europe produisant la betterave fourragère pour le grazing, la culture est impraticable eu égard à la qualité médiocre des terres valorisant peu les pluies et à leur exploitation dans l’indivision pour l’élevage semi-nomade ovin. Pour développer la betterave fourragère, il lui faut des terrains spécifiques où elle présente un certain avantage concurrentiel. Ce n’est pas une halophyte vraie, mais l’espèce s’accommode un peu mieux des fortes concentrations de salinité que le maïs. Elle peut être proposée aux grandes régions du pays (désertiques entre autres) avec des aquifères qui recèlent une ressource en eau abondante mais saline, sous réserve toutefois d’une gestion qui respecte la durabilité du système. Le référentiel qui prouve que cette proposition peut être déclinée en projet réel, en est la coopérative laitière de “Foum El Oued” à Lâayoune, au sud du Maroc, où l’on arrose les fourrages avec des eaux de 4-5 gr de sel/l, depuis plus de vingt-cinq ans.
Introduction
La betterave fourragère date des millénaires. Elle est cultivée dans de nombreuses régions du globe, mais développée surtout là où le climat lui est naturellement favorable, notamment pour le pâturage en culture pure ou associée avec la prairie. C’est le cas des régions des grands élevages allaitants comme la nouvelle Zélande, le Canada ou certains pays de l’Europe. Introduite au Maroc au début du siècle dernier et malgré les efforts de relance assez récents entrepris par les Services Agricoles de l’État, la culture n’a toujours pas réussi à se faire une place parmi les systèmes fourragers conventionnels du pays. En témoigne le très peu de semence importée et les petites superficies consacrées à la culture chez les Groupes privés, encore en quête d’en découvrir les vertus. Dans les bassins laitiers, la betterave fourragère est quasi-inconnue de la communauté des producteurs/éleveurs.
L’expérience que nous relatons dans ce bulletin, avait pour but de vérifier au champ si la betterave fourragère dispose ou non d’atouts suffisants pour faire partie des systèmes fourragers des grands troupeaux laitiers au Maroc. Tout avait commencé avec la création des élevages du Groupe Mazaria/Bassita II dans la région de Larache (Nord-Ouest du Maroc) et de Bassita I à Allal Tazi dans le Gharb, avec un premier effectif de 1500 vaches laitières en 2007, porté à 3000 l’année suivante, 4500 deux ans après, et à plus de 8.000 têtes en comptant les génisses, 4-5 ans plus tard. Inscrits dès le départ dans une stratégie d’autonomie fourragère, l’un des problèmes majeurs des projets à surmonter, était l’insuffisance des ressources fourragères. Malgré un système à 2 cultures par an, sur les 950 ha dédiés à la production de l’ensilage de maïs, le volume global produit en régime de croisière était à peine en équilibre avec la consommation de l’année (60.000 t pour un besoin du même ordre), obligeant les étables à travailler sans stock de sécurité, ce qui est contraire aux règles de gestion des grands élevages laitiers. D’autant plus que l’achat, ne serait-ce que d’une partie de ce besoin, pour un tel effectif d’animaux était à l’époque très difficile, pour des raisons à la fois de disponibilité et d’insuffisance de la qualité, sans oublier le coût exorbitant du transport pour un fourrage qui devait venir de très loin. Etant donné qu’à Mazaria et Bassita II, il y avait un programme de plantation d’agrumes de 700 ha, elle était alors venue l’idée de la betterave fourragère comme appoint, en culture intercalaire avec les jeunes plants durant les 4/5 premières années. Très impressionné par la productivité obtenue en goutte à goutte, le Groupe a ensuite décidé de redéployer la betterave fourragère à Bassita I non pas en intercalaire, mais en plein champ où elle avait été cultivée chaque année sur des soles de 10-20 ha durant environ 7/8 ans (2009/2018). Évaluation de la productivité en parcelle grandeur-nature (1), exploitation directe de la racine fraiche (2), conservation sous forme d’ensilage (3), utilisation dans la ration des vaches laitières (4), détermination du coût économique (5), sont les principaux aspects abordés dans l’expérience du Groupe Mazaria. Fortement intéressé par l’intégration de la culture dans l’alimentation de son élevage laitier, l’étude a été ensuite relayée à partir de 2013 et jusqu’à ce jour, par le Groupe Providence Verte dans ses fermes de la Chaouia et du Saïs. Dans cette seconde étape, il avait été plutôt question de recherches diverses en petites parcelles expérimentales confiées au Centre de Recherches de cet organisme, avec des protocoles scientifiques. Comparaison variétale (6), production en contre saison (7), conservation au froid hivernal (8), valeur alimentaire de la betterave produite sur place (9), utilisation pour l’engraissement des ovins (10), production en milieu salé (11), et bien d’autres aspects que nous passerons en revue, ont été abordés. Le but de ce tour d’horizon est de mettre à la disposition des producteurs/éleveurs, la synthèse d’une première base de données assez étoffée sur la culture de la betterave fourragère dans le contexte du Maroc. C’était aussi une occasion pour enfin comprendre, plus d’un siècle après son introduction, pourquoi la betterave fourragère n’a pas pu trouver de parties prenantes, en un moment où la betterave sucrière elle, a connu un plus grand essor.
Caractéristiques agro-climatiques des régions d’études
En agriculture pluviale au Maroc, la betterave fourragère, que ce soit pour l’usage à l’auge ou pour le grazing est économiquement sans intérêt, voire techniquement impossible dans les régions d’extrême aridité, aggravée par les changements climatiques. Faute de productivité suffisante, la betterave sucrière a été abandonnée dans ces régions et n’est plus cultivée qu’en irrigué où l’eau n’est pas un facteur limitant. Même en haute montagne, bien arrosée comme le moyen Atlas, qui semble présenter des traits de ressemblance avec certaines régions d’élevage prairial de l’Europe, la culture n’est pas envisageable en raison de contraintes majeures liées à la faible qualité des terrains (forte pente, sols superficiels rocailleux, faible pouvoir de rétention en eau) qui ne permet pas de valoriser la pluie, mais aussi de leur statut de parcours communautaires exploités dans l’indivision pour l’élevage transhumant ovin et caprin. Et même si le milieu était propice à la culture, parvenir à mettre en place des modalités pour gérer de la betterave fourragère pour le grazing, sur des terrains mariant indivision et semi-nomadisme serait une première au Maroc. Ce serait peut-être deux fois plus compliqué que la mise en défens pour laquelle le Maroc dispose d’une certaine expérience.
Le comportement agronomique entre betterave sucrière et betterave fourragère n’étant pas fondamentalement différent, nous n’avons pas jugé utile de reprendre les essais sur la culture en Bour. La base de données traitée dans cette étude a été donc constituée d’expériences réalisées en fermes irriguées le plus souvent avec du goutte à goutte. Le tableau 1 donne quelques informations générales sur la localisation des unités concernées.
Les fermes du Groupe Mazaria et Bassita II concernées par les essais sont situées dans la Commune de Laouamra (Larache) sur la côte Atlantique-nord du Maroc, à 5 km l’une de l’autre. Le climat commun de ces deux sites est encore classé provisoirement de type subhumide mais avec un régime pluviométrique très capricieux (350< Pluie < 850 mm/an). Sur le plan agro-pédologique, dans les deux cas, il s’agit d’un sable côtier très drainant (Argile < 7 % et Sable > 80 %), de pH neutre à légèrement acide, de teneurs faibles en matière organique (MO), normales en phosphore assimilable (P), potassium (K) et magnésium (Mg), élevées pour le fer (Fe) et normales pour les autres oligo-éléments. Tandis que Bassita I est sise dans une région agricole un peu plus continentale (45 Km de l’Atlantique à l’Est de Kénitra) avec un peu moins de pluie (421 mm/an), des terrains lourds hydromorphes, de pH alcalin, non calcaires, avec des MO autour de 2,5 %, des teneurs normales en P et en oligo-éléments, et élevées en K, surtout la forme de réserve bio-assimilable. Pour le Groupe Providence Verte, les essais ont été réalisés dans la ferme de Derouat dans la région de la Chaouia avec un climat plutôt aride (Pluie = 332 mm), et de Cusange dans la région de Meknès/Saïs classé au Maroc comme du Bour favorable (Pluie = 511 mm/an). Malgré la distance entre ces deux fermes, leurs terrains présentent beaucoup de points communs. Il s’agit de sols Tirs (Vertisols) plus ou moins profonds, reposant sur un sous-sol calcaire, de texture argilo-limoneuse, avec un taux de MO de 2,5 %, une teneur normale à élevée en K, normale en P et en oligo-éléments. Les essais ont été ensuite complétés dans la ferme de Louata située entre le plateau du Sais, le piémont septentrional du moyen Atlas et le pré-Rif. Pour ce dernier site, la pluviométrie moyenne est de 468 mm/an, les terrains sont vallonnés avec des textures très contrastées allant des formations calcaires franches à des sols argilo-calcaires ou argileux, de profondeur variable. La teneur en MO varie de 3 à 4 % (humus calcique), celle du P assimilable de 15 à 40 ppm, celle du K échangeable (Kéch) de 260 à 700 ppm et celle des oligo-éléments est très variable. D’une manière générale, dans l’ensemble des régions concernées par la présente étude, il s’agit d’un climat à été chaud et à hiver plutôt un peu froid, y compris certaines années sur la côte Atlantique, avec juillet comme mois commun le plus chaud et janvier comme mois commun le plus froid.
Productivités réalisées
Conduite en goutte à goutte, les rendements en betterave fourragère obtenus dans les différentes régions (Tableau 2 et 3) correspondent exactement à ce, à quoi on s’attendait. Ils dépassent largement ceux de la betterave sucrière, y compris le type E connu pour faire du 80 t/ha dans les grands périmètres betteraviers comme les Doukkala. Ces rendements restent aussi sinon plus élevés, en particulier dans les sables du nord, du moins comparables à ceux obtenus en Europe. On ne peut pas présenter la base de données exhaustive constituée en 12 ans d’expérience, mais la dimension de la parcelle, effet année, variété, type de sol, qualité de la conduite, type de cycle cultural sont les principaux facteurs qui ont une certaine influence, parfois très significative, sur la productivité réalisée. D’une manière générale, c’est dans les petites parcelles expérimentales entretenues comme on entretient un jardin, que la productivité a été spectaculaire et peut dépasser 180-200 t/ha (Tableau 2). Comme d’habitude, on note un effet d’échelle important, de baisse de productivité dès lors qu’on passe de la petite pièce expérimentale à des soles grandeur nature. Les rendements-plafond en grande parcelle ont été réalisés dans les formations sableuses de Mazaria (170-180 t/ha) en combinant pour fertiliser le sol, l’apport de lisier et une fertigation copieuse. Par contre, les rendements–plancher (qu’on travaille bien ou moins bien), ont été réalisés dans les terrains lourds hydromorphes de Bassita I à Allal Tazi (100-110 t/ha) où l’on est confronté tous les ans aux difficultés de réussite de la levée, à une croissance plus lente de la plante, au problème d’accès au terrain pour traiter à temps, et à l’hydromorphie temporaire pendant l’hiver. Et la plus faible productivité (60 < R < 90 t/ha) a été obtenue à chaque fois, lorsqu’un aspect quelconque de conduite technique a été raté (peuplement insuffisant, salissement et désherbage tardif, attaque de cercosporiose, trop de pourriture à la maturité).
La betterave fourragère n’as pas été testée partout en irrigué au Maroc, mais dans les limites des résultats obtenus dans les cinq régions concernées, la productivité moyenne à retenir pour la pratique agricole en conditions normales de culture, est de 110-120 t de racines/ha à laquelle il faut ajouter 15-30 t/ha de feuilles et collets. La productivité peut par contre être supérieure à 150 t/ha dans les sables côtiers, sous réserve d’une conduite irréprochable. Sur le groupe de variétés testées en 12 ans, une dizaine au total, nous ne pouvons pas conclure à la supériorité partout d’une variété quelconque. Toutes ont montré un potentiel plus ou moins équivalent que ce soit dans les essais en petite parcelles expérimentales ou en grande culture, du moins lorsque la comparaison est faite sur la base des productivités en matière verte.
Préparation du sol, semis et peuplement
La forte corrélation entre le rendement final de la betterave et la réussite du peuplement/ha a été démontrée depuis fort longtemps. Un constat en quelque sorte valable pratiquement pour toutes les espèces (céréales, maïs, agrumes, olivier, rosacées), à condition toutefois de ne pas dépasser une certaine limite dite «d’optimum de peuplement», au-delà de laquelle la plante est soumise au phénomène inverse de concurrence et de baisse de productivité, de qualité ou des deux à la fois.
A l’instar de la betterave sucrière, dans la présente expérience pratique, les meilleurs rendements ont été obtenus à chaque fois, lorsque le peuplement réel a dépassé 70.000-80.000 pieds/ha. Qualité de préparation du sol, de la graine semée, exprimée par l’énergie germinative et le taux de germination, sont les premières conditions de réussite de la culture, ce qui sous-entend d’éviter l’usage de vieux stocks de semence ayant perdu une partie de leur faculté germinative ou l’achat de semence non certifiée qui ne respecte pas les normes en vigueur. Pour un taux de germination/levée de 85 %, et une perte de pieds pour différentes causes (moins bonne préparation, attaque d’insectes, fongique, concurrence de mauvaises herbes), de 5-10 %, souvent observée sur le terrain, il faut semer environ 100.000 à 120.000 graines/ha, soit l’équivalent de 2 à 2,5 doses de 50.000 graines proposées dans le commerce. Pour obtenir un semis régulier et une levée homogène, la vitesse d’avancement du tracteur doit être relativement lente, environ 4-5 km/h. La graine de betterave est de petite taille; semée trop profonde, le germe aura du mal à atteindre la surface ou atteindra la surface après avoir épuisé toute son énergie, ce qui le rend vulnérable vis-à-vis des conditions agressives du milieu. Comme pour l’espèce sucrière, la règle générale de travail est de semer à une profondeur régulière de 2-3 cm, sur un terrain soigneusement préparé et tassé au rouleau (en cas de sol foisonné), afin d’assurer un bon contact sol/semence et une meilleure imbibition de la graine. Sur les sables côtiers, le semis direct est aussi possible, en apportant une petite transformation aux éléments d’enterrage du semoir de précision. La graine de betterave germe à partir de 3-4 °C et demande environ 150°-160 °J (8-9j à 18 °C) pour émerger. Au Maroc, la germination/levée est généralement rapide du fait du niveau élevé des minima de température dans le sol, en particulier pour les semis de début automne ou de contre saison réalisés à la fin du printemps/début été.
Il ne sert à rien de vouloir «rafistoler» une levée ratée. Vouloir ressemer sur la ligne existante sans la retourner, semer entre lignes, ou chercher à produire de la grosse racine, en faisant jouer l’eau et l’azote, pour compenser l’insuffisante de la densité. L’expérience sur la betterave sucrière au Maroc, montre qu’aucune de ces techniques n’arrive à récupérer la perte de productivité due à un peuplement trop faible. Plus bas qu’un certain peuplement, il vaut mieux retourner rapidement la parcelle et reprendre le semis. Le tableau 4 présente l’effet d’une densité insuffisante sur la productivité de 5 variétés semées en 2019 à Derouat dans la Chaouia. Pour une gamme de densités finales faibles dues à la mauvaise levée entre 37.000 et 54.000 pieds/ha, le rendement est tombé à 68-83 t/ha au lieu de 110-120 t/ha minimum, habituellement obtenus avec les peuplements usuels de 70.000-80.000 pieds/ha.
Dans les grandes exploitations, le semis doit être effectué au moyen d’un semoir de précision. Choix du pignon, du disque approprié, réglage de la boite de distance, du débit d’air sur un semoir pneumatique, permettent d’obtenir l’espacement entre graines sur la ligne de semis, compte tenu du peuplement et de l’écartement entre rangs choisis. En cas de semis en lignes jumelées, le réglage du semoir doit prévoir deux types d’écartement, un premier écartement E (par ex. de 50 cm) entre lignes de betterave et un second E’ (par ex. de 90 cm) entre les doubles lignes. Au Maroc, les séquences de préparation du sol pour la betterave les plus fréquentes (les mêmes utilisées dans cette expérience), sont de type:
– Labour profond CD ou CS + 1 ou 2 CC + billonnage + semis manuel.
– Labour profond CD ou CS + 1 ou 2 CC + semis mécanique.
– Labour profond CD ou CS + HR ou 2 HR + semis mécanique
Où CD désigne la charrue à disque, CS la charrue à socs, CC le Cover-crop, et HR la herse rotative.
Qu’elle soit sucrière ou fourragère, la betterave dispose d’un pouvoir puissant à prélever l’eau et les nutriments du sol. Si elle doit être produite en intercalaire, notamment avec de jeunes plants d’agrumes ou d’olivier, il faut prévenir les phénomènes de concurrence. Ceci sous-entend de semer soit loin du jeune plant lorsqu’on décide de semer sur le rang ou (ce qui est encore mieux) de ne semer que la bande située entre les rangs, en particulier en présence d’un verger avec une densité de jeunes arbres trop serrée de type 6×2 ou encore 6×1.5m fortement exposés à la concurrence. Eu égard aux recherches menées sur l’enracinement des agrumes et de l’olivier, le développement racinaire du jeune plant est d’environ 40-50 cm autour du tronc à la fin de la première année, 80-105 cm après deux ans, et 170-250 cm au bout de 3-4 ans, selon le type de sol, le porte greffe, les conditions générales du milieu, et surtout selon que l’on déplace ou non la rampe porte-goutteurs plus ou moins loin de la frondaison. En intercalaire, le nombre de lignes simples ou jumelées à semer, doit aussi prévoir le passage du tracteur pour les traitements aussi bien de la betterave que des jeunes arbres. Pour un verger d’olivier en intensif planté à 7m entre rangs, on sèmera 6-7 lignes simples selon que le tracteur est équipé ou non de roues étroites.
Valeur Nutritive et Conservation
Comme on peut le constater sur les tableaux 5 et 6, évaluée au moyen de l’UFL/kg, UFV/kg, PDIN, PDIE, la valeur nutritive à la récolte, de la racine de betterave fourragère produite au Maroc, est très comparable aux standards rapportés à l’étranger. Pour une productivité de 120 t/ha, aisément réalisable en irrigation avec goutte à goutte, un taux de MS de 16 %, et un UFL de 1,14/kg, le rendement énergétique à la récolte et d’environ 21.900 UFL/ha. Des performances encore plus fortes sont réalisables dans les sables du nord si la culture est très bien entretenue. Au Maroc, le problème majeur est comment préserver cette qualité contre la dégradation une fois la racine récoltée. Avec des pics de plus de 35-45°C en été, il est impossible de conserver la racine de betterave à la température ambiante. Perte de poids, ramollissement, brunissement, et putréfaction s’installent à un rythme effrayant, surtout en présence d’un pourcentage important de racines blessées ou présentant déjà un début de pourriture au sein du lot.
Pour améliorer la conservation à l’air libre, des techniques originales existent au Maroc. Sur la côte Atlantique nord, par exemple, la semence de pomme de terre produite dans les champs est souvent stockée dans la fraicheur des forêts voisines d’Eucalyptus, depuis la fin du mois 5 jusqu’au début du mois 11. A Bassita I, nous avons tenté l’exercice, en entreposant au mois de juillet, 40 t de racines sous un îlot de pacaniers de la ferme, mais le résultat n’a pas été très positif, vraisemblablement en partie en raison de la différence de fraicheur entre le bord de la mer et cette région un peu plus continentale (meilleur brassage d’air sur la côte, ΔT = – 2,7°C vers midi en aout). Plus de 15 % des betteraves stockées étaient devenues impropres à l’alimentation au bout de 3 semaines. Ce sont surtout les racines situées en surface, mal effeuillées ou blessées qui sont touchées par la pourriture, alors que celles situées au milieu sont généralement restées intactes. Cette expérience n’a pas été répétée avec un peu plus de précautions, peut-être que le résultat aurait été meilleur si le bois utilisé avait été plus dense et le lot testé trié de façon minutieuse pour en éliminer les racines mal effeuillées ou avec un début de pourriture ? Bien évidemment, au-delà de son intérêt technique, ce mode de conservation réservé à la pomme de terre soulève la question de sa rentabilité quand le couvert forestier à utiliser est très loin du lieu de production, pour une culture comme la betterave qui ne peut pas supporter les coûts de transport et de gardiennage sur site.
En plein été, l’un des meilleurs moyens pour conserver la betterave fourragère est de la garder en parcelle, puis de l’arracher au fur et à mesure pour l’alimentation du bétail, à la condition de ne pas couper l’irrigation et (ce qui est encore mieux), de continuer à injecter un «filet» d’azote pour soutenir la croissance de la plante. Dans le cas contraire, la racine réagit par une sénescence rapide du feuillage, suivie d’une propagation de la pourriture par plages, rappelant d’autres constats déjà rapportés sur la betterave sucrière dans les sables du nord. Le phénomène donne l’impression d’être plus important en sol lourd hydromorphe de Bassita I avec la variété Jaune géante de Vauriac qu’en sol sableux de Mazaria avec les autres variétés plus riches en MS. Il est également beaucoup plus important pour la récolte d’été que pour la récolte de fin automne début hiver.
La betterave est une espèce bisannuelle. Maintenue dans le sol après maturité, non seulement son rendement ne diminue pas, mais tend même à augmenter grâce à l’allongement du cycle, avec des gains quotidiens pouvant atteindre 800 kg/jour/ha. Dans les expériences réalisées plusieurs fois dans le cadre de cette étude, avec ce système dit in situ (en parcelle), la racine peut être conservée au moins 30 à 40 jours, voire jusqu’au mois de mai pour la récolte d’hiver, à condition d’être saine et non blessée. A l’évidence, la méthode sous-entend de réquisitionner la parcelle qui ne peut être libérée que petit à petit. Ceci ne permet pas de préparer le sol pour un second semis en système intensif ou superintensif à 2 ou 3 culture/an. Même si le phénomène n’a jamais été très flagrant, il y a aussi l’inconvénient constaté au champ d’une certaine tendance à la montée à graines, surtout sur la Jaune géante de Vauriac dans les Dehs de Bassita I. L’autre technique de conservation de la betterave qui n’est pas des moindres, testée avec succès, est l’ensilage de la racine après hachage en mélange binaire 50/50 avec la paille broyée d’avoine. Que ce soit pour la conservation en sacs ou en silo taupinière, la betterave ensilée est restée intacte et sans traces de moisissures, d’odeur désagréable ou d’élévation de température. Aucune remarque particulière défavorable n’a été non plus signalée durant son utilisation, sur la production laitière ou la santé des vaches laitières.
Après récolte, la racine de betterave reste un organe végétal vivant qui transpire, respire, et dégage de l’eau et de la chaleur aux dépends de ses réserves. C’est aussi un organe qui reste sensible aux attaques des maladies de conservation. Dans les pays d’Europe à hiver rigoureux, la betterave se conserve au froid naturel à une température négative ou proche de zéro où l’activité physiologique et l’infection par les champignons est presqu’à l’arrêt. Au Maroc, des conditions d’hiver très froid proches de celles de l’Europe, ne sont vérifiées qu’en haute montagne dont on a expliqué que le développement de la betterave n’est vraiment pas possible. Dans la présente étude, les essais ont été réalisés plutôt dans les grandes régions d’élevage bovin, à hiver un peu froid (Figure 1, Tableau 7), soit au pied de la montagne (Cusange/ Louata), un peu plus continentales (Derouat) et par curiosité, à Mazaria sur la côte atlantique où il fait généralement beaucoup moins froid.
Déposée à l’air libre sous un filet noir d’ombrière, à Mazaria la perte de poids de la racine n’a pas été importante, en particulier pour la variété Gerty (7 %). Par contre, il a été noté un taux de pourriture très élevé, vraisemblablement dû à l’humidité de la mer et/ou à la pluie survenue en automne, conjugué au réchauffement des lots (Tableau 7). Dans les autres régions, la perte de poids en conservant la racine dans des hangars semi-ouverts, a été par contre très importante mais la pourriture quasi-nulle. Au bout de quatre mois à quatre mois et demi de conservation, on constate aussi un certain noircissement interne des racines avec une baisse de la qualité évaluée au laboratoire par l’UFL, l’UFV, et les autres critères de qualité (Tableau 5 et 6). Dans les conditions réelles de la nature expérimentées, avec des températures hivernales autour de 8-10 °C la nuit et 15-20 °C le jour, les réactions internes sont encore physiologiquement actives même si elles ne sont pas à leur maximum. Ces phénomènes de catabolisme qui se traduisent par des pertes d’eau, d’hydrates de carbone, d’azote, et par une certaine augmentation des minéraux par effet de concentration, ont été depuis longtemps signalés sur la betterave dans la littérature. Ils sont marqués surtout sur la MS (-12 %) lorsque la racine séjourne dans les silos au-delà d’une période de six mois. De même qu’il a été signalé qu’en cas de manque d’aération, on peut aussi assister à d’importants dégâts de pourriture par réchauffement du silo au printemps.
Le modèle régissant la perte de poids en fonction du temps est présenté ci-dessous. Il montre une pente (p), une ordonnée à l’origine (Y0) et un coefficient de détermination R2 très proches les uns des autres (Figures 2 et 3), attestant par-là, d’un comportement commun des trois variétés soumises au test de conservation réalisé dans un hangar. On ne constate pas non plus de grande différence entre le comportement de la racine à Louata et à Cusange, vraisemblablement en raison des conditions expérimentales quelque peu comparables entre les deux sites.
La perte d’énergie à la fin du stockage est de 2,63% sur l’UFL/kg et 2,56 % sur l’UFV/kg. Ceci correspond, pour une hypothèse de MS de 19 t, à une perte absolue d’environ 500 UFL/ha, et, calculée en équivalent Dh, à une perte financière respective de 645 Dh, soit environ 65 $/ha.
Pour des raisons de coût mais aussi de logistique et de difficulté d’accès à l’analyse, il n’a pas été possible d’élaborer le modèle empirique qui régit le phénomène de perte d’énergie par la racine entre la récolte et la fin de la conservation (123-137 j). Mais toujours est-il que la perte finale absolue ci-dessus est la valeur maximale attendue puisque elle suppose une quantité de racines stockées sur laquelle il n’y a eu aucune consommation entre temps, alors que dans une étable, l’incorporation de la racine dans la ration, peut commencer dès le premier jour du stockage. Donc pour être juste, les calculs de perte doivent normalement se faire pas à pas en retirant chaque jour de la masse globale stockée, celle déjà consommée par le troupeau. Pour une hypothèse de dégradation a sur l’UFL (α étant supposé constant), une durée de consommation T, un équivalent énergétique M0, pour 19.000 kg de MS, le modèle théorique pour corriger la perte est:
M0 et T dans cette expérience sont connues mais pas la valeur de a. Par contre, on sait que plus le temps passe, plus la racine se dégrade et par voie de conséquence, plus a augmente pour atteindre la valeur finale de 2,63 % enregistrée à l’analyse. Avec l’hypothèse d’une valeur linéaire de a = 2,63/135j = 0,019, la vraie perte serait de ΣP de n= 1 jusqu’à n = 135 j.
Irrigation
Qui dit betterave en goutte à goutte dit un investissement très important dans le matériel d’irrigation, du même ordre de celui du maraichage de plein champ, du fait des faibles écartements entre rangs et d’un faible espacement entre goutteurs, surtout en sols sableux vallonnés où il faut en plus un goutteur autorégulant assez onéreux. D’où l’idée d’une culture conduite en lignes jumelées où chaque rampe de goutteurs irrigue deux lignes de betterave, ce qui ramène le coût d’équipement à moins de 70.000 Dh/ha, en grande partie supporté à l’époque, par la subvention de l’État.
D’habitude, le cycle cultural d’une betterave au Maroc est annuel et se confond avec celui des céréales. Il est d’environ 6/7 mois (5/6 mois en semis d’été), soit un équivalent degrés-jours d’environ 2600 à 2800°C. Pour le cycle de saison, la culture est semée en automne et récoltée fin du printemps/début été et pour le cycle d’été, elle est semée à la fin du printemps et récoltée à la fin de l’automne. A durée de cycle égale, la betterave est plus exigeante en eau qu’une céréale. Avec 400-450 mm de pluie bien répartis, on peut atteindre d’excellents rendements en blé et en orge pouvant dépasser 70-80 qx/ha dans les bons terrains, tandis qu’une betterave exige environ 700-800 mm pour atteindre un bon rendement. Mais tout en étant exigeante en eau, la betterave est aussi très sensible à l’hydromorphie et craint l’excès d’eau qui se traduit parfois par la mort subite des racines par plage.
En agronomie, le raisonnement de l’irrigation est une affaire de bilan hydrique, quel que soit le système ou le mode de conduite et quelle que soit la culture. Les deux éléments majeurs de ce bilan sont la demande climatique ETo et la pluviométrie (P), qui toutes deux dépendent de la région et de la période considérée. A l’échelle de la parcelle, il faut aussi tenir compte de la réserve du sol en eau au démarrage, fonction de l’état hydrique du profil, de la texture et de la profondeur du sol exploitée par les racines. L’autre paramètre à considérer pour ajuster la dose journalière, au moment de vouloir irriguer, c’est le coefficient cultural Kc, spécifique à chaque stade de la culture ou, plus exactement, à l’importance de la surface foliaire transpirante au-dessus du sol à chaque stade. Pour la betterave, en première approximation Kc = 0,35 au début; 1,20 en pleine croissance et 0,70 vers la fin du cycle. Si le producteur ne dispose pas de données météo pour établir un bilan hydrique, il existe alors des méthodes simples de pilotage de l’irrigation comme les tensiomètres, les sondes capacitives, ou encore la méthode du mini-lysimètre in situ empruntée aux cultures maraichères sous serre, récemment améliorée sur l’arboriculture en proposant l’idée d’un goutteur libre de contrôle pour déterminer la restitution exacte pour le lendemain.
Comme on s’y attendait, les grands constats faits sur l’irrigation de la betterave fourragère en douze ans de suivi, dans la présente étude, sont à peu de choses près, les mêmes que ce qu’on savait déjà de la betterave sucrière. La dose d’irrigation apportée par le goutte à goutte pour la betterave varie en sens inverse de la hauteur et du régime de pluie de l’année. Plus la pluie est importante et bien répartie, moindre est la dose d’irrigation d’appoint à apporter pour compléter le cycle. Elle peut aller de 150-200 mm en année humide à 300-500 mm en année sèche. Et le besoin en eau d’irrigation est à son maximum lorsque la culture est produite en contre saison, c’est-à-dire en été/automne, qui sont généralement des saisons très sèches au Maroc. Elle est également majorée de 10 à 15 % en cas de cycle de saison avec culture maintenue plus longtemps en parcelle et récolte échelonnée sur 40-50 jours. Le tableau 8 présente un extrait des données sur l’irrigation obtenues dans les différentes régions dans le cadre de la présente étude. Pour les semis de contre saison en particulier, sur lesquels le Maroc ne dispose pas de données, la consommation d’eau pour produire d’importants rendements en goutte à goutte se situe autour de 750 à 850 mm. Les périodes des plus forts besoins correspondent à la phase active de croissance qui a lieu durant les mois de juin/juillet (450 mm) et aout (180 mm), et les périodes de plus faible besoin au démarrage et aux mois d’octobre/novembre qui parfois coïncident avec l’arrivée des premières pluies d’automne.
Ces consommations d’été sont très comparables à celles signalées dans la littérature sur la betterave sucrière de saison au Maroc, mais sous aspersion. Si l’eau est un peu salée, il faut prévoir une majoration de cette dose de 10-15 % si l’on veut assurer la lixiviation des sels et empêcher leurs effets néfastes sur le sol et les cultures. Peut-être pas au nord du pays où il y a un nettoyage naturel cyclique par les fortes pluies hivernales, mais surtout dans les régions arides et désertiques du centre et du sud où il pleut moins ou très peu. Dans les limites des résultats obtenus, il faut globalement entre 2,6 à 8,4 mm comme appoint d’irrigation pour produire une tonne de racines de betterave fourragère, selon la pluviométrie de l’année et la productivité de la parcelle.
Fertilisation
Eu égard à la base de données constituée en 12 ans, alliant expérimentation, analyse de sols et du végétal, et pratiques sur le terrain, les informations obtenues sur la fertilisation de la betterave fourragère sont, à quelques détails près, très proches de celles rapportées sur la betterave sucrière que ce soit au Maroc ou ailleurs. Les figures 4a, 4b, 4c, 4d et 4e, donnent les rythmes d’absorption des cinq éléments majeurs (NPKMgCa) obtenus à Derouat pour une productivité de 130 t/ha et les tableaux 9 et 10, un extrait de données sur le prélèvement en NPK, les éléments secondaires et oligo-éléments, dans des essais réalisés à Louata et Cusange en 2017/2018.
D’une manière générale, l’absorption des macroéléments suit l’élaboration de la MS par la plante. Elle est faible au départ, passe à un rythme exponentiel à partir du 80/90ème jour (60/70ème pour le cycle d’été) après levée et se poursuit jusqu’au 150/160ème jour (120/130ème jour pour le cycle d’été), pour ensuite diminuer de nouveau à l’approche de la récolte, avec la baisse du rythme d’accumulation de la MS dans la racine, l’arrêt de la croissance du bouquet foliaire et la sénescence du feuillage basal de la plante.
Entre la racine et la partie aérienne, l’immobilisation relative des minéraux n’est pas la même. Les éléments majeurs tout comme les macroéléments secondaires et les oligo-éléments sont surtout concentrés dans les collets et les feuilles. Comme le montrent les chiffres des tableaux 9 et 10, les ratios les plus importants concernent dans l’ordre, le Ca, le NaCl, le B, le Mg et le Fe, pour ne citer que ces cinq composants. Une tonne de racines fraîches à 16 % de MS prélève 1,68 U d’azote contre 3,81 U dans la partie aérienne, 0,76 U/t de P2O5 contre 1U/t pour la partie aérienne et le potassium avec un prélèvement d’environ 2,91 U/t de K2O pour la racine contre 5,67 U/t pour les feuilles et les collets. La betterave fourragère se montre donc plus exigeante surtout en potassium, sensiblement moins en azote et présente un plus faible besoin quantitatif en phosphore. Pour un rendement de 120 t/ha de racines et 25 t/ha de feuilles + collets, la fumure moyenne de première approximation basée sur les exportations serait NPK= (300)-(116)- (491) en faisant l’hypothèse que la plante entière est exportée et NPK = (202)-(91)-(349), avec l’hypothèse que seule la racine est enlevée de la parcelle et les feuilles + collets restitués au sol. Ce qui correspond à des équilibres de base respectifs de type 1-0,39-1,64 et 1-0,45-1,72. Cette quantité est donnée à titre indicatif, elle suppose un rendement modéré en goutte à goutte et un sol à l’entretien avec recyclage ou non des verts. Elle est susceptible de modification en fonction de nombreux paramètres liés entre autres, au niveau réel de productivité de la parcelle, à la fertilité du milieu, à l’apport externe ou non de matières fertilisantes d’origine organique comme le fumier ou le lisier, à la quantité et la qualité de ces matières. Elle doit être augmentée en cas de rendement plus élevé en sols à haut potentiel (Rendement >150 t/ha) chimiquement pauvres comme les sables côtiers de l’Atlantique nord, et diminuée en sol plus fertiles ou à potentiel de production limité. Certains terrains du Maroc sont très riches en K natif, comme les sols Dehs de Bassita I, les sols de la Moulouya et les sols jeunes de dépôt de Souihla. Sauf analyse de laboratoire ou expérimentation récente qui viendrait utilement réactualiser notre connaissance sur le sujet, en principe l’apport de potasse n’est pas indispensable sur ces sols particulièrement riches.
Le Maroc a aussi utilisé des engrais de fond riches en phosphore de type N-2P-K (14-28-14; 13-26-16,12-24-12), pendant plus de 30 ans, ce qui a engendré, quoi qu’à des degrés différents, un enrichissement net des sols en P et un appauvrissement inverse en K, dans certaines régions comme les Doukkala. La réduction ou l’impasse provisoire sur la fumure phosphatée est donc aussi possible dans tous les terrains où l’analyse montre encore la présence d’un reliquat important de P biodisponible. Le tableau 11 donne le résultat d’une synthèse récente de la base de données sur la fertilité en P et en K de quatre régions agricoles parmi les plus importantes du Maroc. Il permet de se faire une première idée de l’espérance qu’il y a, à faire l’impasse provisoire dans l’engrais de fond, sur le P ou le K ou les deux à la fois.
Sur des sols à fort potentiel de minéralisation, même la fumure azotée est aussi susceptible d’une grande réduction. Le tableau 12, donne les rendements obtenus à Cusange derrière Jachère en culture intercalaire avec des jeunes plants d’olivier de 2/3 ans. Avec une dose qui ne dépasse pas 110 unités de N en 2017 et 75 U/ha en 2018, il a été possible de réaliser plus de 150-200 t/ha de betterave deux années de suite, vraisemblablement grâce à l’azote produit par les phénomènes de minéralisation. On retrouve ainsi les résultats des recherches menées par le Département d’Agronomie de l’ENA de Meknès sur la jachère dans les années 80 dans ce même type de sol, assez profond et riche en MO, confirmés récemment dans les sols argileux de Louata et ceux de Sidi Ayache dans le Gharb. L’azote minéral (NH4+ + NO3-) produit par minéralisation entre octobre et mars est respectivement de l’ordre de 110 U/ha dans le premier site et 70 U/ha dans le second.
La réduction de la dose d’engrais NK, de 15 à 20 %, voire plus, est aussi possible si l’eau d’irrigation utilisée est riche en azote et/ou en potassium. Avec des concentrations de plus de 80-100 ppm de nitrates dans la nappe, la région de Larache en est un exemple typique où la baisse de la dose d’azote sur les cultures est à prévoir lorsqu’elles sont irriguées avec cette eau. Dans la région de l’Oriental, les données dont nous disposons montrent aussi des concentrations de K dans l’eau parfois significatives pour en tenir compte dans les programmes de fumure. Dans les fermes d’élevage, les apports de lisier et de fumier à 40/50 t/ha permettent aussi de réduire fortement la fumure NPK. D’après les résultats d’analyses réalisées dans le cadre de la présente étude, une tonne de lisier ou de fumier bien décomposé, peut apporter 2-3 U de N, 1-1,5 U de P2O5 et 7-9 U de K2O, en plus des éléments secondaires Mg/Ca/S et des oligoéléments Fe/Zn/Mn, Cu/B/Mo.
C’est dans les Dehs de Bassita I au Gharb, moyennement pourvus en Kéch mais très riches en K libérable et bénéficiant chaque année d’épandage suffisant d’effluents d’élevage, qu’on a pu montrer la possibilité d’une fumure potassique nulle en K sans qu’aucune baisse de Kéch ne soit notée sur le long terme. La stratégie de la ferme depuis 15 ans, que ce soit pour le maïs ensilage ou la betterave fourragère, est de type 30-40 t/ha de fumier/lisier, du (N)-(Peu de P)-(Zéro K). Pour prévenir l’appauvrissement des sols, la stratégie est couplée à une surveillance régulière de fertilité du sol par l’analyse.
En agriculture moderne, il faut disposer de tests et de normes d’interprétation fiables pour pouvoir décider de façon rationnelle de la fumure réelle à apporter chaque année. Au Maroc N (NO3– + NH4+), P(Olsen) et Kéch sont les tests de base pour évaluer la fertilité et la biodisponibilité NPK. En irrigué, les barres à l’entretien pour pouvoir commenter ces tests sont d’un Pmin = 30 ppm, d’un Kmin en ppm = équivalent Argile (‰) + 30 ppm et d’un Nmin en ppm = 15, quoi que l’interprétation d’un test d’azote minéral en conditions de climat méditerranéen, soit encore plus délicate, qu’elle ne l’est dans d’autres contextes à climat plus stable et plus régulier. Une même quantité d’azote minéral mesurée à la même date, sur le même terrain, n’a pas toujours la même signification agronomique selon qu’elle a été mesurée derrière jachère ou derrière un blé récolté à maturité pour le grain. Alors que derrière jachère, un maïs ensilage comme culture suivante présente une croissante et une vigueur remarquable, tandis que derrière un enfouissement de beaucoup de chaumes, sur sol pourtant aussi riche en N, on constate une impressionnante faim d’azote après la levée du maïs, par suite d’une immobilisation de N par la microflore du sol.
Dans la présente expérience, les fumures minérales utilisées sur la betterave fourragère ont été très différentes selon le site et selon les années, mais ont toutes permis une productivité plancher respectable (110-120 t/ha) à parfois élevée (>150 t/ha). Ces fumures se situent globalement entre 160 et 200 U/ha pour N, 46 et 140U pour P2O5 et 0 et 220 U pour K2O, selon le niveau d’apport de fumier/lisier effectué, la fertilité du sol, la richesse en NK (P) de l’eau d’irrigation. Comme pour les autres cultures, il faut établir un bilan matières Entrées/Sorties pour calculer le complément de fumure minérale à apporter par l’engrais.
Dans les limites des données disponibles, la betterave fourragère semble beaucoup moins sensible au manque de bore, que l’espèce sucrière. Dans les cinq régions concernées par l’étude, il a été toujours noté une certaine présence de carence en B, mais pas aussi flagrante que sur la betterave à sucre. Partout où les notations avaient été réalisées à la récolte, moins de 5-10 % des racines ont manifesté un indice de carence (noircissement, craquelures, racine creuse), contre parfois 40-50 % chez la betterave sucrière.
D’autre part, nombreux sont les essais réalisés sur la fumure boratée dans le cadre de la présente étude, mais aucun d’eux n’a jamais montré une réaction positive de la culture aux doses croissantes de cet élément que ce soit au sol ou en application foliaire. En dépit d’un certain enrichissement chimique parfois important de la feuille, la productivité reste statistiquement égale à celle du témoin sans bore. Le tableau 13, illustre cette absence d’effet malgré un niveau du sol considéré faible d’après la littérature (< 0,5 mg/kg) et malgré la forte productivité réalisée.
La betterave fourragère n’a pas d’exigence particulière vis-à-vis de la nature de l’engrais. Urée 46 %, ammonitrate (33,5 %), MAP (12-61-0), DAP (18-46-0), chlorure de potasse (KCl 60 %) ou sulfate de potasse (48/50 %), nitrate de potasse en foliaire, utilisées sur les principales cultures, sont aussi indiquées pour la betterave fourragère.
Désherbage et protection phytosanitaire
Qui dit variété monogerme, semée à écartement normal, dit indice foliaire insuffisant au démarrage pour couvrir le sol contre le développement rapide des mauvaises herbes, en particulier en semis d’automne/ début-hiver où la faible température du sol limite la vitesse de croissance de la plante. D’après les informations réunies dans la présente étude, la rapidité avec laquelle les adventices s’installent est aussi fonction du stock semencier que recèle le sol. Dans les terres très fertiles du Gharb, la poussée des mauvaises herbes est l’ennemi premier de la betterave fourragère. Sans désherbage tôt, un énorme tapis d’adventices se développe sur la ligne et entre les lignes. Il entre en concurrence avec la culture pour l’eau, les nutriments, l’ensoleillement, et finit parfois par étouffer la plante. Passé le délai de 70-80 jours après levée, il devient même très difficile de maîtriser le désherbage, que ce soit manuellement, par des moyens mécaniques ou par voie chimique. Et même quand on arrive à faire le désherbage, c’est généralement au prix d’une réduction du potentiel de productivité, en raison des pertes de pieds et de la baisse du poids de la racine, sans oublier le coût exorbitant que l’opération exige. Le problème est par contre moins grave et plus facile à maitriser dans les sols sableux de la côte Atlantique ayant un potentiel de salissement beaucoup moins important. Il en est de même pour les semis d’été dans les autres régions, où l’on constate souvent une densité d’adventices très faible et aisément maitrisable.
Il n’y a pas de stratégie universelle unique pour désherber la betterave, par contre la règle d’or de travail, c’est la nécessité d’intervenir précocement afin de garder la culture propre dès le départ. En fonction de la pression des adventices, le désherbage peut être manuel (1), mécanique (2) au moyen d’une bineuse, couplé ou non à un démariage au stade 4-6 feuilles selon qu’on a affaire ou non à une polygerme (de moins en moins utilisée). Il est aussi possible d’associer désherbage mécanique et chimique de post-levée au Betasana trio (Ethofumesate + Phenmediphame + Desmediphame) ou avec un mélange sélectif d’antidicotylédones (Betasana Trio 1,25 l/ha + Safari 30 g/ha) et d’anti-gaminées (Fusillade 1 l/ha). D’autres produits peuvent aussi être utilisés en combinaison avec le binage, notamment Goltix 90WG + Betanal Expert (1 kg + 1 l/ha). Dans certaines circonstances de forte pression, une seconde intervention peut s’avérer nécessaire contre la poussée printanière des adventices. Sur betterave fourragère, on retrouve à peu près les mêmes attaques de ravageurs et de maladies que la betterave sucrière. Noctuelles et casside en particulier, sont aussi rencontrées quoi qu’avec des dégâts nettement moindres. Les traitements utilisés sont aussi les mêmes, ils font appel à des produits basiques et moins chers comme le Karaté (150 cc/ha) ou le Décis (75 cc/ha) et/ou à des spécialités plus élaborées mais plus chères comme Avaunt (125 cc/ha) en cas de forte attaque. Dans le Gharb en particulier et dans le nord au bord de la mer, d’importantes attaques d’escargots apparaissent parfois et nécessitent le traitement au métaldéhyde. Cercosporiose, en particulier au bord de la mer, et d’autres maladies fongiques comme l’Oïdium sont les plus rencontrées dans le cadre de cette expérience. Plusieurs spécialités sont utilisables pour traiter ces attaques dont l’Impact RM (0.25 L/ha) ou des fongicides équivalents.
Gestion de la récolte
Dans cette étude, nous n’avons jamais expérimenté le semis pour le grazing direct. Au Maroc, il n’existe pas d’ailleurs de terrains adaptés à ce type de pratique. Il en est de même pour les essais à l’auge, avec la betterave seule, que ce soit en l’état ou après hachage. En douze ans d’expérience, qui ont porté essentiellement sur la vache laitière (beaucoup moins sur les autres catégories d’animaux), la betterave a été toujours incorporée après hachage dans une ration totale mélangée. Une seule expérimentation a été conduite sur les ovins et semble conclure à la possibilité d’utiliser la racine broyée avec succès, pour alimenter les agneaux. Pour mieux valoriser la racine de betterave, il faut la récolter à maturité, qui correspond visuellement au début du desséchement du feuillage basal de la plante et morphologiquement, à un moment tardif du cycle où la plante n’accumule plus beaucoup de matière sèche. Selon la variété et selon qu’on a affaire au cycle de saison ou au cycle d’été, la maturité est atteinte après 190 à 220 j, soit un équivalent en somme de températures ∑θ°C de 2600 à 2800 °j. Pour de petites quantités, le hachage de la racine peut être réalisé de façon manuelle ou au moyen d’un petit broyeur entrainé par un moteur électrique fabriqué localement. Le broyage direct de la racine par la déssileuse à axe horizontal est aussi possible, mais au prix d’importantes pertes de jus par terre, faute d’étanchéité en bas de la trémie de la machine, du moins avec les modèles utilisées. Dans le commerce existent par contre des hacheurs professionnels à poste fixe ou pour manutention hydraulique-avant du tracteur. Le modèle fixe introduit d’Allemagne à Bassita I était d’une capacité de coupe d’environ 500 à 800 kg/min selon les conditions générales de travail. La dimension des «cossettes» ne doit pas excéder une taille de 100-200 gr, un hachage très grossier provoque une toux insupportable chez les vaches durant les premiers repas, même si par la suite, elles finissent par s’y adapter.
A chaque situation, une stratégie appropriée de gestion de la récolte. Superficie cultivée, éloignement de la parcelle par rapport à l’étable, texture et état hydrique du sol au moment de vouloir récolter, quantité de racines à broyer chaque jour, besoin ou non d’un nettoyage préalable de la racine, sensibilité de la variété à la pourriture en cas de forte chaleur, nombre de repas distribués par jour, sont autant d’éléments à prendre en compte pour la gestion de la récolte.
Le cas de gestion le moins problématique est la betterave ensilée à proximité des fosses d’ensilage de maïs. La distributrice charge la paille, la luzerne (si elle fait partie de la ration), passe pour charger ensuite l’aliment composé, la mélasse et les additifs minéraux vitaminés puis l’ensilage de maïs ou de sorgho et l’ensilage de betterave, Dans les grands projets, ce mode de distribution a comme principal avantage Zéro temps morts, si ce n’est les quelques minutes que prend la machine pour passer d’un silo à un autre, pendant lesquelles il y a d’ailleurs affinage du broyage de la paille et meilleur mélange de la ration. Et le cas le plus compliqué est celui où l’on décide de garder la culture en parcelle avec récolte quotidienne. Dans les étables avec présence côte à côte, à la fois de vaches laitières, de veaux, de génisses, avec plusieurs lots par catégorie, voire aussi plusieurs repas par jour pour les vaches hautes productrices, l’usage quotidien de la betterave à l’état frais est plutôt une astreinte supplémentaire pour la distribution de la ration. Elle demande une parfaite synchronisation entre l’approvisionnement en betterave et le temps de travail minuté des distributrices, dont le nombre est souvent calculé juste, étant donné le prix élevé d’une machine automotrice. Tout dysfonctionnement à ce niveau, entraîne une réaction en chaîne préjudiciable au travail. Il commence par l’arrêt momentané des distributrices, le temps que la betterave arrive du champ et/ou soit hachée (1), décalage des repas (2), retard pour finir le programme d’alimentation des génisses, des vaches taries ou d’autres catégories, le plus souvent servies les dernières (3), retard des ouvriers pour regagner les villages, immobilisation dans le bus, le temps que l’étable finisse son travail, d’autres employés non directement concernés par l’activité d’élevage, en cas de moyen de transport interne en commun. En conséquence, c’est pour une raison quelconque, l’approvisionnement en racines doit être quotidien, par temps chaud, l’arrachage doit se faire la veille en fin d’après-midi, et le hachage tôt le lendemain afin d’avoir constamment du stock et en même temps éviter la dégradation de ce stock par la chaleur. Ce qui n’est pas sans soulever le problème de la suite des taches à confier à l’équipe chargée de la récolte et du hachage de la racine.
Précautions d’usage
Une littérature abondante a été publiée sur l’interaction de la betterave avec les autres fourrages dans la ration des vaches laitières. Il a été entre autres démontré que l’utilisation de la betterave fourragère améliore aussi bien la production de lait, que le taux butyreux et le taux protéique. Les partisans de la culture parlent aussi d’impact positif sur la qualité bactériologique du lait et d’effets bénéfiques sur la santé de la vache. La racine de betterave contient beaucoup de sucres fermentescibles et moins de cellulose et de protéines. Dans le raisonnement de la ration, elle est le plus souvent assimilée à un concentré. Pour des impératifs de bon fonctionnement du rumen, betterave et concentrés ne doivent pas excéder 60 % de la ration. Son utilisation en forte quantité dans l’alimentation de la vache laitière n’est pas indiquée. Elle peut provoquer l’acidose par suite d’une chute importante du pH du rumen avec pour conséquences une réduction de la production laitière et un impact grave sur la santé de l’animal. Pour éviter ce genre d’accidents digestifs, on considère en général, que dans une ration, l’incorporation de la betterave ou d’autres produits équivalents ne doit pas conduire à une proportion de cellulose inférieure à 15 %. Aussi, la meilleure valorisation est obtenue avec des taux d’incorporation dans la ration ne dépassant pas 5 kg de MS, soit 20-25 kg de produit brut. C’est la quantité utilisée comme référentiel de travail dans la présente étude pratique, en mélange avec l’ensilage de maïs, de sorgho et parfois des deux, en particulier à Bassita I où le suivi a duré pendant 6/7 ans. Comme à l’occasion de tout changement de ration, il faut observer une période de transition d’au moins trois semaines afin d’adapter la microflore (microbiote) du rumen à la nouvelle ration. On commence en général avec un kg/j au début, pour passer ensuite progressivement à 2-3 kg après deux semaines et à 5 kg après 21 jours. Ces dispositions sur la transition n’ont bien sûr de sens que pour un stock de betterave suffisant pour justifier l’incorporation du produit dans l‘alimentation pour au moins deux à trois mois d’affilés. En cas de très faible quantité, il faut soit réduire la quantité par tête pour ne pas perturber inutilement la microflore du rumen, soit carrément s’abstenir de l’administrer aux vaches laitières et de la distribuer à un petit lot d’autres catégories comme les mâles à l’engraissement ou les vaches en instance de réforme.
Performances de production, qualité du lait et santé de la vache
Dans la présente étude, il n’a jamais été question de comparaison scientifique entre ration à base d’ensilage et ration à base d’ensilage + betterave. Une telle comparaison est d’ailleurs difficile dans les grands élevages sans équipements réservés uniquement à la recherche. Elle aurait demandé, entre autres, de mobiliser quotidiennement une grande salle de traite de 2×20 ou 2×40, ce qui est impossible en cas de trois traites/j (3×8), comme c’est le cas dans le Groupe Mazaria/Bassita I et Bassita II.
Faute de mieux, c’est le suivi de la courbe de lactation qui a été utilisée pour évaluer l’effet de la substitution partielle de la betterave à l’ensilage de maïs et de sorgho dans la ration. Toutes choses égales et en l’absence de stress quelconque, dans le Groupe Mazaria, on considère que cette courbe est en principe très stable sur une courte période de quelques jours. Les variations arbitraires autour de la traite de la journée ∆Lj, pour la Holstein sont en général de l’ordre de 1,5 à 2,5 %, contre – 4 à -10 % en cas de stress important, notamment pour cause d’introduction d’un ensilage de mauvaise qualité dans la ration (Figures 5a, 5b, 5c), ce qui correspond à 1,6 à 2 t d’écart pour une traite de la journée de 80-85 t. Dans les limites de ce que vaut cette démarche pratique, il n’a jamais été soulevé de problème particulier à propos de l’utilisation de la betterave fourragère pour nourrir la vache Holstein dans les étables du Groupe Mazaria, en particulier à Bassita I où l’expérience a duré plusieurs années pour mériter une certaine crédibilité. Comme c’est dit en partie plus haut, pour être reproductible, à l’évidence un tel résultat suppose le respect total de l’ensemble des paramètres que requière une bonne ration (transition, MS betterave inférieure à 5 kg/j, énergie suffisante, apport protéique suffisant, CMV).Pour l’effet de l’incorporation de la betterave dans la ration, sur la santé de la vache laitière, il n’y a pas eu non plus de remarques particulières de la part des vétérinaires chargés du suivi des élevages.
Très peu d’essais significatifs ont été réalisés sur les autres espèces en dehors de la vache laitière. Sur ovins, dans une expérimentation conduite par le Département des Productions Animales de l’Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès, il a été montré que la substitution partielle du sorgho par la betterave fourragère a permis d’améliorer les performances de croissance et le rendement carcasse des agneaux. Sur toute la période d’engraissement, qui a duré 85 jours, les meilleurs résultats (+ 53 %) ont été obtenus avec le régime 50 %/50% entre ensilage de sorgho et betterave fourragère incorporée dans la ration après broyage de la racine. Le GMQ (Gain Moyen Quotidien) le plus élevé de la tranche d’âge 0-28 jours, soit 246 gr/jour, a été également réalisé par les animaux ayant reçu le régime 50/50.
Tolérance de la betterave à l’excès de salinité
Dans le cadre des travaux menés par le Centre de Formation et de Recherches de Providence Verte à Louata, durant trois années consécutives, la betterave fourragère a été cultivée au champ et irriguée avec de l’eau salée à différentes concentrations par rajout externe de NaCl. Comme dans d’autres essais de ce genre, les résultats obtenus montrent un rendement corrélé négativement à l’accroissement de la salinité de l’eau. L’effet du sel est plus atténué pour le semis d’hiver où la pluie assure un double effet de dilution et de lessivage, qu’en été où l’on assiste à une accumulation nuisible du sel dans le profil. Le rendement est à son maximum dans le traitement témoin arrosé à l’eau douce du barrage voisin (EC = 1,1 mmhos/cm) et à sa plus faible valeur pour des salinités anormalement fortes de 12 et 16 mmhos/cm. Toutes proportions gardées, la réduction est également plus importante pour le feuillage que pour la racine, traduisant le rôle que joue la feuille dans les mécanismes de régulation vis-à-vis de l’excès de sel, qui consiste entre autres, à réduire la transpiration en réduisant la surface foliaire, afin de lutter contre la forte pression osmotique imposée à la plante. Le modèle empirique régissant la relation rendement (t/ha)/salinité est présenté dans la figure 6.
Les traitements choisis ne permettent pas de tracer le palier de tolérance réelle de la culture correspondant à zéro perte de productivité. Par contre, en faisant l’hypothèse que la réaction est de type linéaire comme le modèle semble le montrer, par interpolation, la perte de 10 % généralement retenue pour parler de tolérance dans les tableaux de la FAO, est donnée par la valeur de l’EC voisine de 2 mmhos/cm (139,6 t/ha).
A l’inverse de Louata, dans la ferme de Derouat, malgré une EC de l’eau d’irrigation de 3-4 mmhos/cm, en 4/5 ans d’exploitation, il n’a été noté aucune chute de productivité ni sur la betterave ni sur le sorgho ou la pomme de terre. Le rendement donne même l’impression d’augmenter avec le temps passant pour la pomme de terre, d’environ 40t/ha les premières années à 53 t/ha la 4ème année, et pour la betterave d’environ 90 t à plus de 130 t. Pourtant, dans ce terrain argileux (A > 40 %), pour la même période, la salinité (extrait 1/5ème) est passée de 0,30 mmhos/cm à plus de 2 mmhos/cm, soit 17 mmhos/cm équivalent pâte saturée en utilisant un coefficient de conversion de 8,5. De même que le terrain a commencé à manifester un début clair de dégradation de sa structure et de difficulté de préparation que ce soit à l’état humide ou à l’état sec, par suite des phénomènes de sodification.
Bien sûr, quoi que des recherches anciennes réalisées notamment en Angleterre, aient montré l’effet bénéfique du NaCl, sur la productivité, notamment de la betterave sucrière, lorsqu’il est utilisé à une dose modérée, il ne faut surtout pas accréditer dans les esprits que l’arrosage avec l’eau salée augmente le rendement des cultures ou que la bonne productivité obtenue parfois les premières années, ne va pas chuter avec le temps. Tous les travaux menés sur le sujet, un peu partout dans le monde, ont montré que la productivité diminue, de façon souvent irréversible, lorsqu’on irrigue avec de l’eau contenant un excès de sel. La salinité est une question d’accumulation dans le profil. Jusqu’à une certaine limite, sols et plantes disposent d’un «pouvoir de résilience» pour contrecarrer, ne serait-ce que provisoirement, les effets délétères de sodisation et de toxicité surtout par le sodium, auxquels ils sont soumis. Et tant que la salinité du milieu n’aura pas dépassé cette limite, il peut y avoir maintien temporaire du niveau de productivité. C’est l’impression que donne la production à Derouat où il faut interpréter la salinité du milieu comme offrant encore une certaine marge de progrès sur le rendement grâce probablement, en 2021, à un meilleur choix variétal, mais vraisemblablement aussi à l’effet lixiviant de la pluie hivernale de la campagne. D’ailleurs dans cette région, très connue pour être spécialisée dans la carotte, une espèce encore plus sensible à la salinité, la règle de travail en matière de rotation est de ne revenir sur la même parcelle qu’au bout de 3-4 ans. Des observations réalisées il y a 30 ans dans la même région et les régions voisines en arrosant par pivot avec la même eau, non pas la betterave, mais les céréales à paille, ont montré un délai de latence pour que la dégradation du sol et la chute de productivité s’extériorisent, très différent d’un site à l’autre, de 2/3 ans dans certains cas et de 8/10 ans dans d’autres.
D’une manière générale, les plantes réagissent à la présence d’excès de Na+ en limitant l’absorption de Na+ par la racine, en accumulant des solutés pour contrecarrer l’effet osmotique, en gérant son transport et son exclusion hors des racines et des feuilles ou en se débarrassant des vieilles feuilles enrichies de sel. Du fait de leurs propriétés physico-chimiques de «faux jumeaux», Na+ entre également en compétition avec l’ion potassium (K+), un élément nutritif majeur chez les plantes, en particulier la betterave. Sur les sols (lourds en particulier), l’excès de Na+ dans l’eau d’irrigation présente aussi un risque énorme sur la dégradation de leur arrangement structural en dispersant les agrégats. Ce risque est en première approximation estimé par le taux de saturation ESP = 100 Na/CEC et/ou le ratio d’adsorption du sodium (SAR) défini comme étant le rapport (Na)/[(Ca+Mg)/2]1/2. Normalement, les valeurs respectives limites pour l’usage de l’eau d’irrigation sans beaucoup de risque correspondent à un ESP < 15 et un SAR < 9, au-delà, il faut des dispositions agronomiques particulières pour limiter le risque. Parmi celles-ci, citons le choix du système d’irrigation, la manière de gérer la dose d’eau apportée afin de contrôler l’accumulation du sel dans le profil, le choix de la culture. Comme c’est dit plus haut à propos du terrain de Derouat, selon la valeur de l’ESP ou du SAR et selon le contexte général sol/climat considéré, le changement d’état structural du sol peut demander un temps plus ou moins long.
Rentabilité et compétitivité de la culture
La crise actuelle a fortement déstabilisé l’économie mondiale. En agriculture, les inputs ont vu leur prix multiplié parfois par 4 comme c’est le cas des ammonitrates et de la potasse. Transport, carburant, engrais, pesticides, aucun intrant ou service n’a été épargné. Et personne aujourd’hui ne sait s’il s’agit d’une situation irréversible obligeant d’oublier les prix de revient du passé et commencer à parler de nouveaux prix de revient également irréversibles ou bien d’un simple choc conjoncturel de sortie de crise de post-Covid 19. Aussi le prix de revient présenté ici n’est qu’une indication en attendant que la situation du marché des intrants soit clarifiée. Cette importante remarque étant soulignée, techniquement parlant, la conduite agronomique de la betterave fourragère, n’est pas très différente de celle de la betterave sucrière. Il en est de même des besoins en intrants et du coût de revient correspondant. Avec une majoration globale d’environ 30 % pour tenir compte des nouveaux prix sur le marché, le prix de revient de la betterave fourragère actualisé, obtenu en production grandeur nature dans cette étude, serait de 36.736,00 Dh/ha à Bassita I, qui se répartissent en première approximation, entre la préparation du sol/semis (11,6 %), le fumier et les engrais (13,2 %), l’entretien de la culture (3,3 %), l’irrigation (18,4 %), la main d’œuvre (21,9 %), l’amortissement du matériel (7,10 %), la récolte et les dépenses diverses, y compris la location du terrain (24,5%). Pour la betterave sucrière, le nouveau coût communiqué récemment par l’Industrie Sucrière, tenant compte de ces nouvelles augmentations des prix, est de 35.000,00 Dh/ha.
Ramené à la tonne de betterave fourragère produite, ce coût est susceptible de variation selon le cycle cultural et les conditions de culture. Il doit être revu légèrement à la baisse en prenant l’hypothèse de variétés plus productives, semées sur de bons terrains en automne, et un peu plus à la hausse en cas de faible productivité et grande consommation d’eau d’irrigation, particulièrement en zone où l’eau coûte très chère à cause des frais de pompage comme à Louata. Pour une betterave à 120 t/ha avec 16 % de MS présentant un UFL de 1,14, le prix de revient de ce dernier serait de 1,68 Dh.
En irrigué, où cette culture est à la fois possible et productive, il faut raisonner sa compétitivité non pas en terme de coût de revient par tonne mais par rapport au système fourrager global sur une période de douze mois. Au Maroc, la betterave fourragère ne pourra jamais rivaliser avec le maïs ensilage, en particulier avec le système superintensif ou intensif (dit respectivement 3P ou 2P) mis au point par le Groupe Mazaria depuis quelques années (3 productions/an, soit 1 fourrage d’hiver + 2 maïs ensilage à Larache ou deux productions/an à Allal Tazi, soit 1 fourrage d’hiver + 1 maïs ensilage), ne serait-ce qu’en raison de son cycle très long qui ne permet pas de libérer tôt les parcelles. Dans les sables côtiers du nord, une betterave même à 20,8 t/ha de MS produit environ 23.920 UFL/ha, tandis qu’un système superintensif à 3P peut produire entre 37.500 et 43.000 UFL/ha dont à peu près 19,4 % provient du fourrage d’hiver, 46,4 % du premier maïs de saison semé début mars et récolté début juillet, et 34,3 % du second maïs d’été, semé début juillet en semis direct et récolté fin octobre/début novembre (Tableau 14). Même avec l’hypothèse d’une betterave suivie d’un maïs d’été, le total de l’apport énergétique des deux cultures serait toujours moins compétitif, en raison du faible rendement en maïs (< 45 t/ha), obtenu dans le Tangérois en semis d’été, vraisemblablement, faute d’ensoleillement suffisant durant la phase exponentielle de la croissance. Sans oublier que pour libérer rapidement la parcelle, il faut récolter la racine dans un délai record et l’ensiler en mélange binaire paille/betterave 50/50 (le seul procédé expérimenté avec succès dans la présente étude). Ce qui soulève le problème de disponibilité et de coût de la paille (20-25 Dh/botte hors transport) en années sèches, qui sont très fréquentes au Maroc.
Discussion et conclusions
Le développement de la betterave fourragère au Maroc n’est pas une question de manque d’informations techniques sur la culture. Sur ce plan, la présente étude n’a d’ailleurs rien apporté de nouveau si ce n’est de confirmer que le train technique de cette espèce est à peu près le même que celui de la betterave sucrière, sur laquelle le pays dispose de plus de 70 ans d’expérience. Eu égard aux conditions naturelles du pays, il faut des variétés pour une utilisation à l’auge et non pour la grazing. D’après l’expérience étrangère, pour les vaches laitières, les variétés fourragères et fourragères/ sucrières sont les plus recommandées, tandis que pour les bovins à l’engraissement et les moutons, les fourragères sucrières et les sucrières fourragères sont plus indiquées. Du fait de la petite taille de la graine, il faut une bonne préparation du sol et semer à une profondeur ne dépassant pas 2-3 cm. Dans les sables des plaines côtières du nord de l’Atlantique, le semis direct est aussi possible, voire même recommandé pour baisser le coût et gagner du temps. En goutte à goutte, le peuplement final recherché doit être de l’ordre de 70-80 mille pieds/ha, ce qui requiert une densité de semis d’environ 110.000 à 120.000 graines/ha. Le désherbage doit être réalisé tôt, soit chimiquement soit mécaniquement et on doit lutter contre les mêmes ravageurs et maladies classiques inféodés à l’espèce sucrière (insectes du sol, cercosporiose, oïdium).Pour une productivité de 120 t/ha de racines, une hypothèse de sol à l’entretien et feuilles et collets enfouis, le besoin en engrais se situe autour de 200 unités d’azote, 90 unités de phosphore et 300-350 unités de potasse. Si l’irrigation est assurée avec le goutte à goutte, il faut prévoir un appoint d’eau variable de 150 à 300 mm pour le cycle de saison qui profite en partie des pluies hivernales et 750-850 mm pour le cycle d’été qui, au Maroc, est une saison presque toujours très sèche.
Le mérite de cette étude est peut-être d’avoir montré pour la première fois la possibilité de cultiver la betterave fourragère en contre saison et de la conserver au froid hivernal, dans les régions continentales ou proches des montagnes un peu à la manière de l’Europe (1), mais aussi de pouvoir l’ensiler sans problème en mélange avec la paille (2) ou encore de la garder en culture et de l’exploiter au fur et à mesure du besoin du bétail (3).
Avec l’irrigation au goutte à goutte, la productivité et la qualité obtenues au Maroc sont, sinon meilleures, du moins les mêmes que celles rapportées dans les grandes régions de production à l’étranger. En conditions normales de conduite, le rendement réalisable dans la pratique est d’environ 120 t/ha, légèrement moins en sols hydromorphes, et beaucoup plus dans les sables côtiers du nord si la culture est bien entretenue et bénéficie d’un apport confortable de lisier et d’une fertigation copieuse. La valeur alimentaire de la betterave produite sur place est de 1,14 UFL/kg de MS, 1,17 UFV/kg de MS, 62 gr de PDIN/kg de MS et 85 gr de PDIE/kg de MS. Elle est de ce fait très proche des standards rapportés dans la littérature.
D’autre part, techniquement parlant, il n’y a aucun souci à utiliser la betterave fourragère pour nourrir des vaches laitières, à la condition de respecter un délai suffisant de transition et de ne pas dépasser 5 kg de MS dans la ration. Aucun impact négatif sur la courbe de lactation, la qualité du lait ou la santé de la vache n’a été relevé par les étables durant les 7/8 années d’utilisation que ce soit à Mazaria, Bassita I ou Bassita II. Il a été également démontré l’intérêt d’utiliser la betterave pour nourrir les ovins.
Culture très productive, aliment frais, très appétant, riche en énergie, comparable à un concentré, mais qui a du mal à faire sa place au sein du système fourrager conventionnel dans les grands bassins laitiers du pays. Avec plus de 60 mille ha et une production de 3 millions t/an, on est en droit de s’interroger sur les atouts majeurs qui expliquent l’essor relatif de la betterave sucrière dont la betterave fourragère ne dispose pas.
En fait, l’enjeu pour ces deux espèces n’est pas vraiment le même. Fortement ancré dans les habitudes alimentaires du pays depuis des siècles, le sucre fait partie des produits éminemment stratégiques dont le Maroc ne peut pas se passer. Avec un besoin réel, d’environ 1,21 millions de t/an, qui n’est satisfait aujourd’hui qu’à hauteur de 50 %, la betterave, en tant que principale culture pour l’extraction du sucre, a encore un important marché demandeur, contre une demande quasi-nulle pour la betterave fourragère (1). Pour des impératifs de stabilité sociale, le sucre est aussi subventionné, et le restera sans doute pour longtemps, alors que la subvention des fourrages est loin d’être du même niveau de préoccupation pour l’Etat (2), du moins pour le moment.
D’autre part, Services Techniques, Industriels, Semenciers, Associations de Producteurs, et bien d’autres opérateurs, chacun en ce qui le concerne, apportent leur soutien au secteur sucrier, alors qu’aucun organisme ou association n’a jamais été créé au Maroc à notre connaissance, pour la promotion de la betterave fourragère.
A ce manque de parties prenantes, s’ajoutent des éléments climatiques et agro-pédologiques défavorables au développement de la betterave fourragère. La culture est très exigeante en eau sachant qu’elle ne peut donner des productivités intéressantes que si elle bénéficie de l’irrigation. Or, dans les grands périmètres irrigués (à l’eau douce), la betterave ne peut rivaliser avec les cultures à forte valeur ajoutée tels que les agrumes, les espèces fruitières ou la betterave sucrière, comme elle ne peut concurrencer le maïs ensilage, qui reste la culture préférée de la communauté des agriculteurs/éleveurs, y compris ceux ayant de grands projets d’élevage moderne de 2 à 3 mille vaches laitières. Et aussi longtemps que le maïs est cultivé dans ces territoires, la betterave n’aura pas beaucoup de chances de se développer. En irrigué, avec de l’eau douce, la betterave restera une culture de circonstances particulières notamment en intercalaire momentanément avec les jeunes arbres dans les vergers plantés larges, d’agrumes, d’olivier ou d’arboriculture fruitière d’une manière générale.
D’autre part, pourquoi faire-compliqué quand on peut faire plus simple ? Comme partout ailleurs, le maïs ensilage est l’aliment de référence pour la vache laitière. Il n’a que des avantages et pratiquement pas d’inconvénients. Il se cultive facilement, se conserve pour longtemps, il est riche en énergie et se mélange sans grande difficulté avec les autres aliments lors de la préparation de la ration. Que ce soit au sein du Groupe Mazaria ou à Providence Verte, en 12 ans de collaboration quelque peu «forcée» avec les chefs d’étable, nous n’avons pas trouvé de candidats réellement prêts à faire de la betterave fourragère (mais de leur propre gré), une source d’alimentation pour la vache laitière. Blé, avoine ou mélange céréales/légumineuses, occasionnellement le sorgho BMR, et surtout maïs sont pour le moment l’ossature du système fourrager la plus appréciée par les Gérants des grands élevages au Maroc.
Pour développer la betterave fourragère, il faut lui trouver des territoires propres où elle présente un certain avantage concurrentiel. Ce n’est pas une halophyte vraie, mais l’espèce s’accommode mieux des fortes concentrations de sel que les autres fourrages comme le maïs. Ce qui suggère un certain intérêt de la proposer pour les régions avec des ressources en eau salée (désertiques entre autres).
Jusqu’à une EC pâte saturée de 7, betterave et maïs, supportent l’ambiance salée du milieu et produisent l’un comme l’autre, 100 % de leur potentiel. Par contre à une salinité un peu plus forte de 9, le maïs ne produit plus que 75 % de son potentiel contre 90 % pour la betterave fourragère. La betterave a aussi l’avantage d’être une culture quelque peu nettoyante du sel, même si la quantité exportée demeure faible au regard de celle déposée par l’eau d’irrigation. Une betterave avec un rendement de plus de 130 t/ha peut exporter du sol l’équivalent d’une tonne de NaCl/ha contre 3-4 t/ha déposés par l’eau si celle-ci est très salée. Encore faut-il, pour être nettoyante, que la plante entière soit exportée et son prélèvement de sel ne retourne pas au sol sous forme de fumier ou de lisier.
Des eaux saumâtres existent partout au Maroc, du nord au sud et de l’Est à l’Ouest. Mais la question est comment les valoriser dans la durée sans exposer le système sol/culture/environnement à une dégradation irréversible par des phénomènes accrus de salinisation, de sodification ou des deux à la fois. Ce concept de durabilité, définie par certains comme étant l’aptitude d’un système à rester viable, rentable, sans nuisance pour l’environnement et transmissible aux générations est un élément décisif. Vis-à-vis de la salinité, cette durabilité, rappelons-le, est d’un point de vue pratique, en rapport direct avec le risque de dépôt du sel dans le profil, lui-même fonction des possibilités de lixiviation soit naturellement par l’eau de pluie dans les régions où il pleut assez, ou artificiellement en majorant la dose d’irrigation (Leaching requirement des anglo-saxons), dans les régions où il pleut peu ou pas. Ce qui suppose de disposer d’une ressource suffisante en eau. D’après les tableaux FAO, la relation approximative entre la conductivité électrique de l’eau d’irrigation (ECi) et la salinité du sol est ECe = 1,5 ECi, si environ 15% de l’eau appliquée est drainée.
Ici nous parlons d’eau d’une salinité élevée raisonnable (< 4 gr/l). Pour des concentrations encore plus fortes de 10-15 gr/l ou proches de de celle de l’eau de mer, la ressource en l’état est évidemment impropre à l’irrigation des cultures conventionnelles dans la durée et nécessite le dessalage. C’est la solution idéale mais dont le coût est pour le moment impossible d’être supporté par des cultures à faible marge comme les fourrages. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette technologie n’a pas été évoquée dans cet article.
C’est dans les formations sablonneuses drainantes du sud, que le Maroc dispose de projets pilotes ayant montré la possibilité d’irriguer avec de l’eau salée de façon durable. Pour des niveaux de salinité de l’eau d’irrigation autour de 2,6-2,8 mmhos/cm, on conseille de visiter les différents projets agricoles de Dakhla, quoique, pour soulager la nappe, la stratégie de l’Etat aujourd’hui, est d’évoluer vers l’irrigation avec l’eau de mer dessalée aux énergies renouvelables produites sur place. Un premier projet de 5000 ha est en cours dans les grandes Grara de la région.
Pour des salinités d’eau supérieures, nous conseillons de visiter la coopérative laitière de “Foum El Oued” sise dans les faubourgs de la ville de Lâayoune. Dans ce second projet, maïs, luzerne, sorgho et bien d’autres espèces sont produites pour l’alimentation du troupeau laitier en arrosant exclusivement avec l’eau de nappe d’une EC de 4-6 mmhos/cm et parfois plus. En 25 ans d’existence du projet, le système a clairement prouvé sa durabilité quoi qu’avec des niveaux de productivité plutôt faibles à modérés. Eu égard à l’expérience tentée sur la betterave fourragère dans la zone par la Direction Régionale de l’Agriculture (Tableau 15); semée mi-décembre et récoltée en juin, le rendement en racines a été de 95,3 t/ha et le rendement avec feuilles de 128,2 t/ha.
Aït Houssa A.1, Amlal F.1, Touhami D.3, Drissi S.3, Belabsri M.2, Loultiti My A.2, Dhassi K.1, Asfers A.1, Khalki Y.1 1 Providence Verte, 2 Groupe Mazaria, 3 ENAM