Valorisation de l’eau dans l’agriculture irriguée
des chantiers structurants pour relever le défi de l’eau pour la souveraineté alimentaire
L’agriculture irriguée au Maroc: une priorité des politiques publiques
Valorisation de l’eau dans l’agriculture irriguée
Le secteur de l’eau au Maroc a toujours bénéficié d’un intérêt particulier des pouvoirs publics et a été au centre des préoccupations des politiques économiques et sociales du Maroc en raison de son rôle déterminant pour réaliser la sécurité hydrique et alimentaire du pays et pour accompagner son développement socio-économique, notamment de l’agriculture irriguée.
Le contexte hydrologique du Maroc reste principalement influencé par une irrégularité annuelle, une variabilité interannuelle très marquées des précipitations et une hétérogénéité de leur distribution. L’alternance de séquences de forte hydraulicité et de séquences de sécheresse d’intensité et de durée variables est également un trait dominant des régimes hydrologiques du pays.
Selon les statistiques du département de l’eau, sur une période d’observation de plus de 70 ans, le volume annuel des précipitations est de 140 milliards de m3. Le potentiel hydrique mobilisable, dans les conditions techniques et économiques actuelles ne représente que 16%, soit 22 milliards de m3 dont 18 milliards à partir des eaux superficielles et 4 milliards en provenance des eaux souterraines. Une forte variabilité marque ce volume qui peut varier de 5 à 50 Milliards de m3 selon les années.
La politique des barrages et de la grande hydraulique, entamée il y a plus de 50 ans et poursuivie dans la continuité, a doté le Maroc d’un patrimoine hydraulique de 154 grands barrages d’une capacité de stockage d’eau de près de 20 Milliards de m3 et d’une infrastructure d’irrigation en grande hydraulique associée aux barrages de l’ordre de 700 000 hectares. Les infrastructures d’acheminement d’eau entre bassins d’une longueur totale de 785 km et d’une capacité de 175 m3/s permettent d’assurer une répartition plus équitable de l’eau entre les régions riches en eau et les régions moins pourvues en eau.
Les aménagements collectifs de petite et moyenne hydraulique principalement sous forme de captages et de seuils de dérivation pour le prélèvement au fil de l’eau, de Khettara et d’adduction et de distribution de l’eau aux parcelles permettent de canaliser l’eau et d’irriguer jusqu’à 440 000 Ha répartis sur l’ensemble du territoire national notamment dans les zones de montagne, de piedmont et dans les oasis.
Aux aménagements hydroagricoles collectifs, viennent s’ajouter les aménagements d’irrigation individuels réalisés à l’initiative privée sous forme principalement de captage d’eau souterraine et d’équipements de parcelles.
Toutes ces aménagements hydroagricoles permettent d’irriguer jusqu’à plus de 1,6 Million d’hectares dont les deux tiers ont été équipés par les pouvoirs publics.
Bien qu’elle ne concerne que 18% de la superficie agricole utile, l’agriculture irriguée contribue à diversifier et à stabiliser les productions agricoles et ainsi l’agriculture irriguée participe en année moyenne à environ 45 à 50 % de la valeur ajoutée agricole, cette contribution peut atteindre 70% pendant les années sèches. L’agriculture irriguée joue ainsi un rôle central dans la sécurité alimentaire, l’amélioration du niveau de vie et la stabilisation de la population rurale, le maintien des prix des produits agricoles de base à des niveaux supportables par les consommateurs et contribue au renforcement de la résilience face aux chocs climatiques et économiques notamment les sécheresses, les pandémies et les conflits internationaux. L’agriculture irriguée joue également un rôle socio-économique prépondérant par la contribution à l’emploi jusqu’à 40 % de l’emploi en milieu rural et à hauteur 75% des exportations agricoles.
La sécurité hydrique face au défi du changement climatique
Malgré les avancées et les acquis notables en matière de mobilisation des ressources en eau et de maîtrise de l’eau d’irrigation, la garantie de l’eau pour l’agriculture et la résilience des systèmes d’approvisionnement en eau d’irrigation constituent le principal défi au développement de l’agriculture irriguée.
En effet, depuis plus que quatre décennies, l’agriculture irriguée est confrontée à une raréfaction grandissante des ressources en eau sous les effets conjugués des sécheresses successives et prolongées et de la compétition sur l’eau du fait de l’augmentation de la demande en eau des secteurs de l’alimentation en eau potable, de l’industrie et du tourisme.
Le potentiel des ressources en eau mobilisables se trouve de plus en plus fortement impacté avec des réductions en année moyenne de plus de 30 % des apports d’eau aux barrages par rapport aux prévisions des documents de la planification de l’eau.
Dans ce contexte de forte tension sur les ressources en eau et sur les terres arables, accentuée par les menaces des changements climatiques et la globalisation des échanges, l’agriculture irriguée se trouve confrontée à de nouvelles exigences et au défi de produire plus avec moins d’eau et de manière durable et compétitive.
Ces tensions ont particulièrement affecté les périmètres d’irrigation à partir des barrages. Elles ont exacerbé les déficits en eau des périmètres irrigués dont l’approvisionnement a enregistré des restrictions drastiques dans les bassins agricoles irrigués de la Moulouya, Doukkala, Tadla, Haouz, Souss Massa, Tafilalet et Ouarzazate. Les restrictions hydriques opérées ces dernières campagnes sur plusieurs années successives, ne sont plus soutenables et affectent négativement toute la chaîne de valeur de la production, notamment les prix de certains produits agricoles de base et les emplois.
A titre d’illustration, pour la campagne agricole 2023-2024, la dotation d’eau allouée aux grands périmètres irrigués à partir des barrages n’a pas dépassé 900 Mm3 soit un taux de couverture d’à peine 17% de la dotation en eau prévue dans les documents de planification de l’eau fixée par les plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau (PDAIRE) à 5 300 Mm3/an.
Contrairement à certaines idées reçues, le secteur de l’irrigation, n’utilise que le reliquat des ressources en eau des barrages après satisfaction des demandes en eau potable et des autres secteurs. Il reste de ce fait, le secteur le plus impacté par les restrictions hydriques. Par ailleurs, cette façon de comptabiliser la consommation en eau fait que les chiffres souvent évoqués en matière d’utilisation de l’eau en irrigation comprennent toutes les pertes le long des canaux d’adduction contrairement aux autres secteurs où la consommation est comptabilisée au niveau de la prise de l’eau au niveau des unités de consommation (c’est-à-dire à partir de l’arrivée de l’eau à ces unités, donc les pertes dans les canalisations d’adduction ne sont pas comptabilisées).
Une politique volontariste pour renforcer la résilience climatique
Pour faire face à la baisse des ressources en eau allouées à l’agriculture et rétablir l’équilibre entre les besoins en eau agricole et les ressources mobilisables, les politiques publiques, notamment dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green et du programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation PNAEPI 2020-2027, ont actionné plusieurs leviers complémentaires pour développer l’offre hydrique et améliorer l’efficacité d’utilisation de l’eau.
Amélioration de l’efficacité hydrique et la résilience de l’agriculture irriguée
La stratégie agricole du Plan Maroc Vert 2008-2020, a placé la maîtrise de l’usage de l’eau en agriculture irriguée au cœur des mesures transverses visant à lever la contrainte de la raréfaction des ressources en eau et à relever le défi de produire plus avec moins d’eau et de manière compétitive et durable.
Les résultats du Plan Maroc Vert (2008-2020) ont démontré la pertinence des choix opérés, notamment en matière de politique de maîtrise de l’eau et sa rationalisation.
Cette politique a permis à notre agriculture de produire plus dans un contexte de ressources en eau et en sols limitées tout en améliorant la résilience aux aléas et changements climatiques.
Dans le cadre de la nouvelle stratégie agricole Génération Green 2020-2030, et du programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 lancés par SM le Roi Mohammed VI que Dieu L’Assiste, et déclinés sous Ses Hautes Orientations Éclairées, cette dynamique est poursuivie avec un effort d’investissement dans l’irrigation de l’ordre de 50 Milliards de Dh. L’ambition est de doubler l’efficacité hydrique à l’horizon 2030 et de faire de l’agriculture irriguée un levier de développement humain et de développement durable.
Cette politique de maîtrise et de gestion de l’eau en irrigation est traduite par quatre programmes structurants:
Programme d’extension de l’irrigation à l’aval des barrages
Dans le cadre de ce programme, plusieurs projets d’aménagement hydro-agricole d’envergure régionale sont prévus pour l’extension de l’irrigation sur 72.000 ha. Ces projets sont (i) en cours d’achèvement sur une superficie de 38.100 ha (Projet Saïss 30.000 ha, Kaddoussa 5.000 ha et PMSIA 3.100 ha) et (ii) en cours de lancement des travaux sur une superficie de 31.800 Ha. Il s’agit du Projet d’aménagement hydro-agricole de la zone sud est de la plaine du Gharb associé au barrage Koudiat Borna sur une superficie de 30.000 ha et du projet d’aménagement hydroagricole du périmètre de Sidi Mohamed Chrif associé au barrage Ouljet Essoltane sur une superficie de 1.800 ha.
Programme de modernisation des réseaux d’irrigation et de reconversion à l’irrigation localisée
Ce programme a pour objectifs d’atténuer les effets de la raréfaction des ressources en eau et d’améliorer l’efficience de leur utilisation en agriculture, à travers (i) la modernisation des réseaux de transport et de distribution d’eau pour améliorer leur efficience et favoriser la transition vers une agriculture plus efficiente et plus adaptée au changement climatique notamment pour les petites exploitations agricoles et (ii) le développement de l’irrigation localisée pour atteindre une superficie totale nationale équipée de 1 Million d’hectares à l’horizon 2030.
Pour sa mise en œuvre, l’État prend en charge la modernisation des réseaux collectifs d’irrigation et les incitations financières accordées aux agriculteurs pour l’équipement des exploitations agricoles en systèmes d’irrigation localisée. Ces incitations peuvent atteindre 100 % dans le cas des petits agriculteurs (< 5 Ha) ou des projets réalisés dans le cadre de l’agrégation ou des projets de reconversion collective.
A ce jour, près de 850 000 ha sont déjà équipés en technique d’irrigation économes en eau à l’échelle nationale dont 600 000 ha atteints au terme du Plan Maroc Vert et 250 000 ha depuis 2020, début de Génération Green. Le programme se poursuit pour dépasser 1 million d’ha en 2030.
Programme de réhabilitation des périmètres de la petite agriculture irriguée
Ce programme consiste en la mise à niveau des aménagements hydro-agricoles des périmètres de la Petite et Moyenne Hydraulique sur 200.000 ha durant la période 2020 à 2030 principalement à travers:
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L’amélioration des systèmes de captages d’eau (sources, ouvrages de dérivation au fils de l’eau, khettaras…);
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La réhabilitation et revêtement des réseaux de séguias sur une longueur de 4.770 Km;
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La réhabilitation de 228 Khettaras
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La protection des ouvrages d’irrigation contre les crues;
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La construction d’ouvrages de recharge de la nappe;
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L’ouverture et stabilisation des pistes de circulation et d’accès aux périmètres.
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L’appui et le renforcement des capacités des associations d’irrigants (AUEA).
A ce jour, près de 80 000 Ha ont déjà été réhabilités, soit 38% de l’objectif fixé par la stratégie Génération Green à l’horizon 2030.
Programme de promotion du partenariat public privé pour le développement de l’irrigation et des ressources en eau non conventionnelles
Ce programme a pour objectif la promotion du partenariat public privé en irrigation à travers notamment le développement de projets d’irrigation par le dessalement de l’eau de mer couplé aux énergies renouvelables conduits dans le cadre du partenariat public privé (PPP).
Ainsi, outre le suivi des projets PPP actuellement en exploitation sur 28 200 ha (projet de PPP El Guerdane sur 10 000 ha, Projet de PPP d’Azemmour Bir Jdid sur 3200 ha, Projet PPP de dessalement de l’eau de mer de Chtouka sur 15 000 Ha), le programme prévoit le développement de nouveaux projets d’irrigation par dessalement de l’eau de mer à Dakhla (travaux en cours), Sidi Rahhal, Tan-Tan, Guelmim, Boujdour, l’Oriental, Souss Massa et Oum Erbia-Tansift.
A présent, en plus des projets de dessalement de l’eau de mer comme ceux de Chtouka qui permet de sauvegarder le bassin de production des primeurs sur 15 000 ha actuellement achevé et mis en service et le projet Dakhla en cours de réalisation sur 5 000 ha avec le recours à l’énergie renouvelable, il est prévu de développer l’irrigation par les eaux non conventionnelles à travers 9 projets supplémentaires en cours d’étude pour diversifier et sécuriser les zones de production sur une superficie totale cible de l’ordre de 120.000 ha à partir de dessalement de l’eau de mer dans plusieurs régions favorables et disposant de potentialités agricoles.
La politique poursuivie en matière de maîtrise de l’eau a permis à notre agriculture de gagner en efficience, en productivité et en résilience malgré le contexte de ressources en eau et en sols limitées et les effets des changements climatiques.
Des avancées notoires en matière de maîtrise de l’eau, de résilience et d’adaptation aux changements climatiques sont réalisées grâce aux nombreuses réalisations et réformes dont les plus remarquables sont aujourd’hui:
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La généralisation des techniques d’irrigation économes en eau avec des superficies équipées en irrigation localisée qui ont atteint 850 000 hectares, soit un taux de pénétration de l’irrigation localisée de 65% des superficies sous irrigation contre 9% seulement en 2008;
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Le développement de la petite agriculture sur plus de 180.000 ha dans le cadre d’une approche inclusive et solidaire permettant aux petits agriculteurs d’améliorer l’efficience, la productivité et la valorisation de l’eau et leurs revenus;
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Des réformes audacieuses fondées sur la promotion du PPP pour permettre au secteur de l’irrigation de faire un saut qualitatif en matière d’amélioration des performances hydriques, d’amélioration du service de l’eau aux agriculteurs, d’amélioration de l’efficience des réseaux d’irrigation, d’amélioration du recouvrement des coûts et de durabilité des infrastructures d’irrigation et d’utilisation des ressources en eau non conventionnelles et des énergies renouvelables.
Développement de l’offre hydrique
Plusieurs projets structurants dans le secteur de l’eau sont également programmés, notamment par la poursuite de la mobilisation des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles afin de renforcer la résilience des systèmes d’approvisionnement en eau. Il s’agit particulièrement de:
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La poursuite du développement de nouveaux barrages dans les bassins qui disposent encre d’un potentiel de mobilisation (bassins du Loukkos, Sebou et Bouregreg). Actuellement 18 grands barrages sont en chantier, ce qui permettra d’élever la capacité de stockage à près de 26 Milliards de m3;
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L’interconnexion des bassins (Sebou-Bouregreg-Oum Rbia-Tensift, Loukkos-Tangérois) pour retenir le maximum des eaux actuellement perdues en mer. Ce qui permettra de mobiliser un volume de près de 1 Milliard de m3 par an;
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L’approvisionnement en eau des grandes villes côtières par dessalement de l’eau de mer. Ce qui permettra de libérer des ressources au profit des périmètres irrigué déficitaires;
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Le développement des projets d’irrigation par dessalement d’eau de mer spécifiques pour la sauvegarde et l’extension de l’irrigation. Ceci permettra de mobiliser à terme un volume de près de 1,7 Milliard de m3 par an.
Du renforcement de la résilience climatique à l’affirmation de la souveraineté alimentaire
Les programmes de mobilisation des ressources en eau et d’irrigation réalisés et en cours permettront à terme de sécuriser et de pérenniser un stock hydrique stratégique au service de la souveraineté alimentaire nationale, qui contribuera à:
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Consolider nos acquis en matière de productions de légumes, fruits, huile, sucre, lait, viande, etc., par la pérennisation des dotations en eau des périmètres irrigués existants;
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Stabiliser un niveau de production en céréales, par le développement de l’irrigation de complément pour des assolements céréales/légumineuses/oléagineuses. Ce programme cible 1 million d’ha en irrigation de complément réservés aux systèmes céréaliers à travers le pays;
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Sécuriser un approvisionnement durable et régulier du marché national en légumes et fruits et consolider notre offre export en produits agricoles selon une approche équilibrée (approvisionnement du marché national et export), qui permet d’assurer et de rentabiliser les investissements nécessaires.